Hal Vaughan

Pendant la Grande Guerre, les femmes se fiaient entièrement aux savons à la soude de leurs grands-mères pour leur hygiène personnelle. Plus tard, elles utilisent des extraits de fleurs – violette, rose, fleur d’oranger, jasmin – ou des extraits d’origine animale. Pour la soirée, les femmes les plus raffinées se poudrent et vaporisent sur elles des essences florales. Les hommes préfèrent les eaux de Cologne Bay Rum ou Roger & Gallet dont ils s’aspergent pour masquer des odeurs corporelles déplaisantes.

En 1920, Paris est une véritable Mecque pour tous ceux qui écrivent, peignent, composent et sculptent. La ville, débordante de joie, attire artistes, musiciens, compositeurs et écrivains. Chacun veut faire partie de cette nouvelle ère : boire et goûter la vie qui regorge d’allégresse, de plaisirs, d’inventions et de créations. La bonne société parisienne se retrouve dans les cafés, les ateliers et les soirées émaillées de conversations brillantes, de musique et de la passion des arts.

La métamorphose de Chanel est complète. À plus de quarante ans, cette enfant abandonnée, cette orpheline déshéritée, cette courtisane, s’est transformée en princesse d’âge mûr.

Les invertis sont toujours aux pieds des femmes : “Ma beauté, mignonne, mon ange, ma sublime…” Ils leur passent autour du cou des guirlandes de compliments, des colliers de flatteries fleuries, avec lesquels ils les étranglent. […] La mort, la drogue, la laideur, le divorce, le scandale, rien n’est trop bon pour anéantir la concurrence et se venger de la femme. Les folles veulent être des femmes, mais sans y arriver.

Elle souhaite transformer les femmes d’objets de glamour poudré en silhouettes graciles portant de courtes robes noires et des accessoires, tel le boa. Elle va faire fortune en tant que phare des ambitions et de l’émancipation féminines : libres de gagner de l’argent, d’aimer, de vivre comme elles le souhaitent ; et non sous le joug de l’homme – « affranchies des préjugés, ne dédaignant pas les aventures saphiques.

Il est aisé d’imaginer ce qui l’attire chez elle : menue, le teint mat, sexy, pleine d’esprit et d’intelligence, la langue bien pendue. À quarante-deux ans, elle joue au garçon manqué séduisant qui impose sa simplicité luxueuse toute personnelle. Chanel n’a pas de mal à subjuguer un homme qui se contente d’exercer son charme sur des ladies britanniques solennelles et des filles faciles.

Lorsqu’il s’agit de poser une goutte de parfum derrière l’oreille d’une femme, sur un poignet ou dans le creux du cou, on flaire tout de suite l’odeur du succès ; d’ailleurs, d’après Paul Valéry, « Une femme qui ne porte pas de parfum n’a aucun avenir ». Mais il s’agit également de savoir comment se vêtir, comment avoir l’allure d’une Parisienne.

Les Allemands ne tardent pas à penser que les réparations exigées par les vainqueurs sont la cause des épreuves économiques et financières dévastatrices qui s’annoncent. Hitler va jeter ce traité aux orties en arrivant au pouvoir dans une Allemagne ravagée par la défaite, mais qui ambitionne de retrouver sa grandeur.

Malgré son indépendance, Chanel, cette femme passionnée, a besoin d’admiration et d’amour. Il lui faut un homme à ses côtés. Elle cherche l’amour sans cesse. Selon l’une des maximes qu’elle écrit : « Quel que soit votre âge, ne pas se sentir aimé, c’est se sentir repoussé.

Voici l’image que Coco dresse d’elle-même et la légende qu’elle veut faire croire au monde entier : celle d’une Cosette affrontant avec audace un destin contraire pour parvenir à la célébrité, à la richesse et au pouvoir, et gagner le respect de l’élite.