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Critiques de Hanna Krall (15)
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Prendre le bon Dieu de vitesse



Ce petit ouvrage de même pas 140 pages au titre un tantinet étrange, paru à Varsovie en 1977 ("Zdazyć przed panem bogiem") est non seulement l’œuvre le plus célèbre de Hanna Krall, il constitue avant tout un monument sur l’histoire de la persécution des Juifs par les nazis en Pologne, du ghetto de Varsovie et du soulèvement héroïque, mais désespéré de celui-ci.



Il s’agit d’une interprétation personnelle de l’auteure, elle-même née dans la capitale polonaise le 20 mai 1935, de ses entretiens avec justement le dernier survivant de cet incroyable soulèvement, le docteur Marek Edelman, né le 1er janvier 1919 à Gomel (actuellement en Biélorussie) et mort le 2 octobre 2009 à Varsovie, à 90 ans.



En 1942, Marek Edelman a été, en dépit de son jeune âge, un des fondateurs de l’Organisation juive de combat - la fameuse ZOB ou "Zydowska Organizacja Bojowa" - dans le ghetto de Varsovie et commandant, à 24 ans, de la résistante juive à l’intérieur de l’un des plus horribles ghettos de la deuxième guerre mondiale.



Ce soulèvement du 19 avril au 16 mai 1943 a coûté la vie à à peu près 7000 Juifs et environ 6000 Juifs sont morts lors de la destruction complète du ghetto. Les rares Juifs rescapés ont été transférés aux camps de la mort de Majdanek et Treblinka.



Marek Edelman a été un des 40 survivants de l’épreuve extrême, en fuyant in extremis par les égouts.



Après la guerre, il a entamé des études de médecine pour devenir un cardiologue réputé au centre hospitalier de Lódź, la 4ème ville du pays, avec son épouse, Alina Margolis (1922-2008), pédiatre, avec qui il a eu 2 enfants. Leur fils Alexandre est devenu directeur au CNRS à l’Hôpital Necker de Paris, et leur fille, Ania Edelman, un cadre chez EDF.



Marek et Alina Edelman-Margolis ont tous les 2 écrit un livre autobiographique, respectivement : "Mémoires du ghetto de Varsovie" (2002) et "Je ne le répéterai pas, je ne veux pas le répéter" (1997).



Dans son pays, Marek Edelman a reçu la plus haute distinction, chevalier de l’Aigle blanc ; en France, il a été nommé commandeur de la Légion d'honneur en 2008, et en Belgique, il est devenu docteur honoris causa de l’Université libre de Bruxelles, en 1996.



L’ouvrage de Hanna Krall est un document émouvant et poignant, qui ne se laisse pas résumer et qui a bénéficié d’une traduction de qualité par Pierre Li et Maryna Ochab. L’exemplaire que j’ai lu est paru chez Gallimard, en 2005, dans l’intéressante collection "Arcades" dans une édition revue et augmentée par la grande spécialiste de littérature polonaise, Margot Carlier.

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Mémoires du ghetto de Varsovie

Il m'a paru qu'il était sain en ces temps où la barbarie fasciste ensanglante l'Europe de l'Est et en particulier l'Ukraine - pays frontalier de la Pologne -, en ces temps où les néo-fascismes renaissent sous des apparences populistes prometteuses de toutes les promesses intenables à l'exception de celle inavouée de nous replonger dans les abysses d'une autre bête qui pourrait à terme se révéler tout aussi immonde que celle dont les cendres sont encore chaudes, en ces temps où l'extrême-droite française s'offre le luxe d'être adoubée par une France crypto-pétainisante ou crypto-poutinisante, en ces temps où depuis le 19 avril dernier, le ghetto de Varsovie s'insurge de ne pas nous voir nous insurger... il m'a paru sain de réécouter la voix d'un de ceux qui ont combattu le nazisme, la barbarie génocidaire et ont tenu tête pendant presque un mois à la Wehrmacht, et ont fait de l'insurrection du ghetto de Varsovie, un symbole, un marqueur de l'Histoire du XXème siècle et de l'Histoire tout court.

Pour cela rien ne valait la lecture du livre souvenir de Marek Edelman, juif polonais, membre du Bund ( "Le nom de Bund désigne l'Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie, un mouvement socialiste destiné à représenter la minorité juive de ces régions de l'empire tsariste. le Bund eut à faire face d'une part au sionisme, d'autre part au communisme."), qui a vécu la naissance du ghetto après l'invasion par les nazis de la Pologne, ses quatre ans d'existence marqués par la misère, la faim, la maladie, la mort, le travail forcé, les sélections, les rafles, la déportation - après rassemblement sur l'Umschlagplatz : - la place du transbordement - pour les camps nazis ( essentiellement Treblinka ), la collaboration de la police juive, la passivité coupable du Conseil juif, la haine de "l'autre" pour assurer sa propre survie, les dénonciations, les vols, les trahisons, mais aussi et surtout les mouvements de la résistance juive qui se heurtèrent quasiment jusqu'au bout au refus de la communauté d'admettre la finalité d'extermination de ladite communauté par les Occupants, et qui en dépit des exécutions sommaires ( jour et nuit ), des fouilles, de la mort de nombreux camarades ne renoncèrent jamais, jamais ne baissèrent les bras, publièrent un journal ( le premier... Biuletyn ) à l'intérieur du ghetto... dans des conditions "incroyables"..., réussirent à faire rentrer des armes, des munitions et des explosifs dans le ghetto - grâce à la résistance polonaise à l'extérieur du ghetto - et sous l'acronyme OJC ( Organisation Juive de Combat ), s'insurgèrent héroïquement contre l'armée allemande à l'aube du 19 avril 1943... donnant une leçon exemplaire de courage, d'héroïsme et de dignité au monde entier.

Marek Edelman n'élude rien de toutes les questions qui se posent sur le "comment tout cela fut possible "... cette apparente résignation, cette collaboration active ou passive. Tous les procédés, toutes les manipulations des nazis pour tromper les Juifs pris au piège de ce traquenard génocidaire que fut le ghetto sont évoqués.

Comme sont évoqués les noms de ceux qui jouèrent un rôle dans cette tragédie au-delà des mots.

Parmi ces noms, j'aimerais citer ceux de quelques figures héroïques emblématiques tel Abrasza Blum ("père spirituel de la résistance armée"), Emmanuel Ringel blum ("historien, archiviste inlassable du ghetto... dont il fut le héros intellectuel"), Mordechai Anielewicz ("il fut le héros militaire héroïque de l'insurrection, chef de l'OJC, il se suicida le 8 mai 1943 avec nombre de ses camarades et après avoir tué son amie, renouvelant ainsi le geste de Masada"), et enfin - j'ai pour lui une tendresse particulière - Janus Korczak ( "écrivain, pédagogue, médecin, il accompagna dans le ghetto les enfants de l'orphelinat juif et resta avec ces mêmes enfants qu'il accompagna jusqu'à Treblinka...").

Ces étoiles continuent de briller et à travers leur lumière, vous pouvez lire ces mots :

"Un demi-siècle s'est écoulé. On pourrait croire qu'il n'est plus nécessaire d'en parler aujourd'hui. On pourrait le croire, si, sous les yeux de l'Europe, des gens ne continuaient à périr dans des conflits idéologiques, religieux et raciaux, dans des querelles et des luttes d'intérêts politiques et économiques. Après l'effroyable drame de la Shoah, la civilisation européenne a, au cours des dernières décennies, assisté aux génocides du Biafra et du Cambodge... Passive et impuissante, elle regarde aujourd'hui les milliers de gens tués, en son sein même, par la faim, le froid et la guerre dans l'ancienne Yougoslavie, elle assiste à la destruction des traces matérielles de sa vieille culture.

L'Europe se comporte comme ce promeneur du dimanche qui faisait du manège près du mur du ghetto alors que, de l'autre côté, des gens mouraient dans les flammes.

Indifférence et crime ne font qu'un.

C'est pourquoi nous devons nous souvenir de ce manège, de ces flammes, et de ces insurgés qui, après toutes ces années, réussiront peut-être à attirer l'attention du monde sur le génocide.

Puisse cet avertissement nous protéger d l'échec de la civilisation, de l'humanité, du progrès.

Puisse l'homme ne pas détruire son espèce.

Puisse le meurtre ne pas devenir titre de gloire".

Un livre témoignage, un message universel et intemporel à lire, à relire et à partager !

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Les fenêtres



La Pologne a capté l’attention dans les années soixante-dix : les observateurs ont assisté à la création d’un syndicat libre dans ce pays encore sous la domination du communisme, Solidarnosc. Le pape Jean-Paul II a contribué également, par son engagement et son prestige moral, au tournant de 1989, qui a engendré la disparition du communisme dans la partie orientale du continent européen.

Hanna Krall, femme de lettres polonaise, décrit dans ce roman Les fenêtres, non pas l’histoire de la Pologne contemporaine, mais des situations précises, des ambiances, des caractères.

L’action du roman est située en 1984, juste après la levée de l’état de siège. Célina, l’héroïne du roman, est une jeune reporter photographe, elle est âgée d’une quarantaine d’années et assiste au procès de l’étudiant Grzegorz Przemyk, jeune étudiant assassiné par la milice à l’occasion d’une manifestation.

Pourtant, le passé de la Pologne ne va cesser de s’insinuer dans le récit et d’interférer dans le déroulement du roman. La mère de Célina a en effet caché pendant la guerre une jeune femme juive et sa fille Paula. Hanna Krall emploie une technique narrative qui lui permet d’apostropher la narratrice, de questionner Célina par une interrogatrice non désignée.

Ce qui est pertinent dans ce roman, c’est le constat fait par l’auteure du décalage quasi-permanent des actions humaines :

« Le moment le plus important d’une vie est d’une durée variable. Trois semaines pour le docteur Marek Edelman-le temps de l’insurrection du ghetto. Trois jours pour le serrurier Lechoslaw Gozdzik -le temps de la révolte ouvrière d’octobre 1956 (…) Les gens acceptent mal que leur temps est passé. Ils continuent à s’affairer, se hâtent on ne sait où, cherchent des endroits où ils pourraient encore être utiles. »

Hanna Krall, à travers cette reporter et ses amis et relations, des journalistes, des étudiants, un critique d’art, parvient aussi à restituer l’ambiance qui pouvait marquer les conduites dans un régime totalitaire : la sensation d’être épié en permanence, suivi, écouté clandestinement. Ainsi, un agent de police présente-il à Célina une photo où elle figure en compagnie d’une autre personne. Célina s’interroge : qui a pu prendre la photo ? Hanna Krall pointe du doigt les travers du journalistiquement correct : « En bataillant avec les faits, j’ai parfois l’impression de gagner. De réussir à raconter non pas comment les choses étaient, mais comment elles devraient ou auraient dû être. Mais immédiatement, la réalité s’impose et prend le dessus. »

Le dénouement du roman est amené très logiquement, il reliera avec précision le motif d’une photo faite par roman, Les fenêtres, et dévoilera des éléments décisifs sur l’immeuble pris en photo et ses anciens occupants, du temps de la seconde guerre mondiale …Hanna Krall a également le mérite de nous familiariser avec certains noms de l’intelligentsia polonaise, pas forcément connus du lectorat français : Miron roman, roman, poète, romancier et dramaturge polonais, Jan Kucharzewski, premier ministre du gouvernement polonais en 1917 et 1918 ,historien.



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Les vies de Maria

L’auteure polonaise, journaliste sous le régime communiste, a vécu la guerre, enfant. Sur la Shoah, elle signe des livres laconiques, où le souvenir côtoie l’oubli présent, comme dans « Les Vies de Maria ».
Lien : https://www.lemonde.fr/criti..
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Mémoires du ghetto de Varsovie

Le 2 octobre dernier s’éteignait à l’âge de 90 ans un des héros de l’insurrection du ghetto de Varsovie, Marek Edelman.



Pour découvrir ce personnage hors du commun tout autant qu’un pan de l’histoire, il faut pour cela lire ses mémoires du ghetto et l’entrevue qu’il a accordée à la journaliste Hanna Krall, qui suit celles-ci. Une entrevue où l’homme qui a tant côtoyé la mort raconte notamment son combat de cardiologue pour sauver une vie.



Un livre qui n’est pas facile à lire, parce que chaque page des mémoires est teintée de sang. Mais un livre qui aide à mieux comprendre comment des milliers de gens ont accepté de se laisser conduire à la mort sans se rebeller alors que d’autres tentaient par tous les moyens de les aviser du sort qui les attendait : ils n’ont pas voulu croire à l’impensable.
Lien : http://lalitoutsimplement.co..
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Les fenêtres

J'ai tenu la moitié du roman (84 pages sur 148), j'ai fini par abandonner, et pourtant :

la narration est vraiment particulière, je n'avais encore jamais lu quelque chose de cette sorte. D'habitude, les "genres" ne sont pas vraiment mélangés mais séparés par des chapitres (narrateur, une lettre, un procès-verbal, etc) mais là tout est entremêlé, c'est difficile du coup de s'accrocher et en même temps on ne perd jamais le fil. Mais j'avoue, la vérité historique des faits politiques en Pologne en 1984 ne m'a pas accrochée du tout...
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Mémoires du ghetto de Varsovie

Mémoires du ghetto de Varsovie est un récit fort et poignant écrit par le seul survivant des 5 membres de l'organisation initiateurs de l'insurrection du ghetto de Varsovie.

Marek Edelman raconte comment -pas à pas- les juifs du ghetto se sont organisés pour résister aux nazis, à la police juive (!) et comment ils sont parvenus à obtenir des armes.

Il insiste sur le fait que malgré l'accumulation des preuves indiscutables de la volonté d'extermination des allemands, les juifs du ghetto ont longtemps refusé de voir ce qui était en train de se passer.

Marek Edelman raconte les combats, la lutte au quotidien et souligne le courage d'hommes, qui ayant des opinions politiques parfois très différentes ont su allier leurs forces pour résister, tous unis pour les leurs.

Un témoignage écrit en 1945, précieux et nécessaire car comme il l'écrit si bien "Indifférence et crime ne font qu'un. C'est pourquoi nous devons nous souvenir de ce manège, de ces flammes et de ces insurgés, qui après toutes ces années, réussiront peut-être à attirer l'attention du monde sur le génocide".

A découvrir.
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Les vies de Maria

Très émouvant. Que restera-t-il de ces tragédies quand la mémoire des vivants contemporains aura rejoint la nuit des suppliciés ?











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Les fenêtres

Dans la Pologne de l’après-guerre, une femme se demande ce qu’on peut espérer.
Lien : https://www.lefigaro.fr/livr..
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Les vies de Maria

On en arrive à « Les Vies de Maria », traduit par Margot Carlier « 2020, Noir sur Blanc, 160 p.). Un livre avec des photos, ce qui n’est pas si courant. Ce qui ajoute un peu de réalité aux narrations. Et en tout cinq parties, qui vont du huitième commandement à la double vie de Wladyslaw Sokol. En passant par une autre double vie, celle du lieutenant W, de la Maison de retraite et du Mystère.

Tout d’abord, JS et sa femme Maria, couple de polonais catholiques, qui finalement refusent de signer un faux certificat de baptême, car ce serait mentir à l’église et se parjurer devant Dieu. « Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton voisin ». C’est le huitième commandement. Celui par lequel tout le reste va arriver. C’est aussi la base du film de Krzysztof Kieslowski « Le Décalogue 8. Tu ne mentiras pas » qui sert ensuite à Hanna Krall (ou inversement). L’histoire de ce couple, JS et Maria, très pieux, au point de ne pas mentir pour sauver la petite juive. Maria ne sera donc jamais la marraine de la fillette juive, ou comment faire passer son nationalisme et sa religion avant l’humain. Hanna Krall connaissait cette fillette, ainsi que les parents « très gentils, très pieux, et c’est justement parce qu’ils étaient profondément croyants qu’ils se sont rétractés, refusant le baptême. Ils ne voulaient pas mentir, proférer de faux témoignage à l’église, devant Dieu ».

Maria, c'est aussi un service Rosenthal en porcelaine blanche qu'une Allemande expulsée de la nouvelle Pologne populaire échange contre « un morceau de lard et de pain pour la route » à une Polonaise qui n'est autre que la fameuse ex-marraine catholique, la femme de JS. Elle finit par faire estimer le service de porcelaine par des antiquaires, et le vendre. « Il y a eu largement de quoi payer un monument funéraire. Pour elle et son mari » JS, mêlé à des affaires de corruption, meurt lors de son procès, avant de connaître le verdict. Ce sont des histoires complexes, avec des transferts de populations allemandes des territoires « recouvrés » à l’ouest de la Pologne, afin d’assurer le repeuplement de la zone par des Polonais rapatriés de l’Est perdu « il expulsait les premiers et surveillait les seconds ».

C’est aussi un livre qui s’auto cite « parce que, dans mon livre « Les Vies de Maria », deuxième partie, chapitre « le Docteur », c’est la double vie du lieutenant W. Dans ce récit, le docteur Kestenbaum Rafal « a aidé des prisonniers en leur portant des messages codés, faisait passer des nouvelles à leur famille », avec la complicité d’une jeune femme amie de Milena Jesenská, la journaliste pragoise aimée de Franz Kafka. Elles organisaient ensemble le passage de Juifs et de socialistes entre la Bohême et la Pologne en 1938-1939, dans « une Aero blanche cabriolet, avec une capote noire et des ailes marron » que conduisait un comte allemand. Sa fille s’était liée avec une jeune femme responsable du chantier de rénovation de la toiture du manoir du comte. Il y a aussi les rafles ordinaires. Ainsi 3 000 Juifs sont rassemblés sur la place d’Osmolice, un gros bourg. Il faut payer une rançon. Au cimetière, on organise une quête. Un chapeau circule : « Les gens y jetaient des montres, des alliances, des bagues et de l’argent. Les Allemands prirent le chapeau, puis ordonnèrent aux Juifs d’aller sur la route de l’Est » Dans ce décor, un seul détail résume à lui seul l’extrême violence du moment. « Le vent arracha la casquette de la tête d’un Juif et l’envoya dans un jardin, entre des pommes de terre. L’homme s’arrêta et fit demi-tour. Un Allemand lui tira dessus. Le Juif courut un moment encore, se baissa, ramassa sa casquette… On le retrouva le lendemain, étendu dans un fossé, sa casquette sur la tête, mais sans chaussures. C’était une casquette misérable, tandis que les chaussures, elles, étaient de bonne qualité ». En juin 1945, six Juifs rescapés se retrouvent au village « très bien accueillis. Tout le monde partit dormir ». Ils étaient heureux de goûter enfin la liberté. « Ils furent réveillés par un grand vacarme, des inconnus se trouvaient dans la maison. Des hommes armés leur ordonnèrent de sortir dans la rue. […] Trois personnes ont survécu. La femme qui a fait semblant d’être morte, l’homme qui s’est enfui et la jeune fille du village. Trois personnes ont été tuées : la femme enceinte, le garçon âgé de vingt ans et la jeune fille de Varsovie, qui avait survécu à Majdanek et à Auschwitz. Qui ne connaissait pas le village et n’en avait même jamais entendu parler ».

Des souvenirs inaltérables traînent dans la tête de vieilles personnes qui radotent dans une maison de retraite : « Qui a mouchardé ? Certainement pas nos voisins. Peut-être le mari de celle de gauche… il ne me plaisait pas ce type. » Parfois, un mot suffit pour inscrire à jamais un souvenir. « Un jour, le fils d’Esther-Elżbieta s’était bagarré avec un camarade. En passant à côté de la caserne, celui-ci cria : “Jude ! Monsieur l’Allemand, c’est un juif, lui !” Le soldat allemand s’arrêta, les dévisagea et repartit dans la direction opposée. Peut-être avait-il cru à une plaisanterie. Cet après-midi-là, il n’avait visiblement pas envie de tuer. » Le souvenir de ce bref instant s’est installé dans la tête des garçons, chacun a entretenu sa haine. Et pourtant, ce fait, ou plutôt cet essentiel détail, est à l’origine d’un comportement étrange, presque un rite. « Le fils d’Esther-Elżbieta ne joua plus avec ce garçon, mais il continua à le saluer le premier. Sa mère lui répétait toujours : N’oublie pas que tu dois te montrer poli. Il disait donc : Salut ! Le copain lui répondait : Salut ! Pas un mot de plus. Aujourd’hui, la guerre est finie. Ils habitent la même petite ville. Ils se croisent parfois dans la rue, de plus en plus voûtés, les cheveux blanchis. Salut ! dit le fils d’Esther-Elżbieta, toujours le premier, curieusement. Salut ! lui répond son copain. Et pas un mot de plus ».

On croise des héros, des personnes courageuses, des victimes ordinaires. Certains ont résisté et sauvé des voisins juifs, peu s’en sortent. Après la guerre, l’autodestruction et la violence ont continué de saper la société. Le « nouveau monde » communiste a voulu tout enterrer. En vain. Il y eut l’expérience des prisons, les tortures, des assassinats de résistants, et de Juifs encore. « L’antisémitisme puisait en partie dans une identité religieuse confondue avec l’identité nationale, vécues quelquefois jusqu’au fanatisme ». Le style de Hanna Krall est construit comme une spirale. Les personnages, quel qu’ils soient, bourreaux, victimes, délateurs, témoins ou Justes, reviennent tour à tour, à des lieux et endroits différents ; Hanna Krall mélange ces fragments. « Au fond, les Juifs sont restés seuls avec leur mémoire de la Shoah. Ils étaient seuls à l’époque et le sont encore aujourd’hui ».

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Tu es donc Daniel

Un petit livre « Tu es donc Daniel », traduit par Margot Carlier (2008, Interférences, 112 p.). J’aime bien cette collection à la couverture agréable en noir et blanc.



« Tu es donc Daniel » est une suite de textes assez courts, souvent de moins d’une page. Presque des poèmes en prose qui illustrent et mettent en exergue des moments émouvants, ou des personnages. On retrouve ces instants ou personnes dans les autres œuvres où Hanna Krall a raconté leur vie.

Des scènes diverses, de Zakopane en Pologne, à Varsovie ou Norwood près de Boston, de Sobibor ou encore de Kreutzberg dans la banlieue de Berlin, et de 1992 à 2000. Des séquences diverses ou des historiettes dans lesquelles se mêlent des gens, une pianiste « nommée Hamlet après Treblinka », « Luis, le chat des voisins » ou « Menhahem-Mendel, le tsaddik de Loubavitch ». mais « les mots du tsaddik provoquent chez la femme de Boston de l’étonnement, de l’indignation et une grande tristesse ». Ou encore, la discussion entre l’éditrice Hanna Krall « enfant de la génération révoltée de soixante-huit » et le baron, ancien commandant de la Wehrmacht, qui fait penser à Ewald von Kleist. Dubno enfin et le massacre des prisonniers par les russes en 1941, prélude à la grande bataille de chars emmenés par le 1er Panzer Group de Von Kleist contre l’Armée Rouge et ses nouveaux chars T34 et KV1, supérieurs technologiquement (plus de 1000 chars). Mais reste le massacre, attribué aux russes quoique perpétré par les Ukrainiens. « Il le raconte en n’employant que les mots indispensables. Il ne veut pas de question ». Vieil homme, au sang bleu, amputé et châtelain en conversation avec la jeune polonaise qui n’a « encore jamais parlé avec des Allemands qui ont fait la guerre » et qui confond SS et soldat. Prélude aussi aux massacres des polonais en Volhynie par les ukrainiens toujours entre 1942 et 1944.

« Tu es donc Daniel » est tiré d’un poème de Daniel Vogelman « Cinq apostrophes à la petite Sissel ». Sissel était la fille de Shulim Vogelmann et Anna Disegni. Arrêtée à 8 ans avec son père et sa mère en décembre 1943, puis envoyée à Auschwitz. « Elle ressemblait à Shirley Temple » Hanna Krall reconnait que « l'idée du roman m'est venue en pensant à Sissel Vogelmann, une fille décédée à Auschwitz ». Son nom, qui devient dans le roman écrit par Roberto Riccardi « La foto sulla spiaggia » (2012, Giuntina, 146 p.) soit (La photo sur la plage) « Maintenant, je vous salue, petite sœur. / Aidez-moi à vivre si vous le pouvez. / Et aussi mourir. / Comme je l'ai dit, / j'espère vous rencontrer un jour. / Et je suppose que je serai très excité ». C’est un peu aussi l’histoire de Hanna Krall en tant que rédactrice qu’elle est, mais sans éprouver « de la compassion pour les assassins », fidèle et traversée de tristesse autant que d’amour pour l’humanité. Elle se pose en effet dans la lignée des tsaddikim « rien n’est plus entier d’un cœur brisé juif ». c’est aussi la tradition du Rabbi Ménahem Mendel de Kotz, un des plus célèbres rabbis hassidiques, connu pour son exigence absolue en matière de piété religieuse.

Le terme hébreu « tsadik » désigne littéralement un homme juste. Selon une tradition issue du Talmud, il existerait de par le monde, à chaque génération, 36 justes. S'ils venaient à disparaître, le monde serait détruit. Rien ne les distingue apparemment des autres hommes et souvent eux-mêmes ignorent qu'ils font partie des 36 Justes, d'où l'idée qu'ils sont « cachés ». Ces 36 justes. En hébreu, ils se nomment les « Tsadikim Nistarim », c'est-à-dire sont les « Justes cachés », ou encore les « Lamed Vav Tsadikim » souvent abrégée en « Lamed Vav ». Cela correspond à l’inscription sur le mémorial du camp de Drancy représenté par les deux lettres lamed et vav, soit la douzième et la sixième lettre de l'alphabet hébreu, qui vont donner le lambda et l’upsilon dans l’alphabet grec.

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Les vies de Maria

« Les Vies de Maria », traduit par Margot Carlier « 2020, Noir sur Blanc, 160 p.). Un livre avec des photos, ce qui n’est pas si courant. Ce qui ajoute un peu de réalité aux narrations. Et en tout cinq parties, qui vont du huitième commandement à la double vie de Wladyslaw Sokol. En passant par une autre double vie, celle du lieutenant W, de la Maison de retraite et du Mystère.

Tout d’abord, JS et sa femme Maria, couple de polonais catholiques, qui finalement refusent de signer un faux certificat de baptême, car ce serait mentir à l’église et se parjurer devant Dieu. « Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton voisin ». C’est le huitième commandement. Celui par lequel tout le reste va arriver. C’est aussi la base du film de Krzysztof Kieslowski « Le Décalogue 8. Tu ne mentiras pas » qui sert ensuite à Hanna Krall (ou inversement). L’histoire de ce couple, JS et Maria, très pieux, au point de ne pas mentir pour sauver la petite juive. Maria ne sera donc jamais la marraine de la fillette juive, ou comment faire passer son nationalisme et sa religion avant l’humain. Hanna Krall connaissait cette fillette, ainsi que les parents « très gentils, très pieux, et c’est justement parce qu’ils étaient profondément croyants qu’ils se sont rétractés, refusant le baptême. Ils ne voulaient pas mentir, proférer de faux témoignage à l’église, devant Dieu ».

Maria, c'est aussi un service Rosenthal en porcelaine blanche qu'une Allemande expulsée de la nouvelle Pologne populaire échange contre « un morceau de lard et de pain pour la route » à une Polonaise qui n'est autre que la fameuse ex-marraine catholique, la femme de JS. Elle finit par faire estimer le service de porcelaine par des antiquaires, et le vendre. JS, mêlé à des affaires de corruption, meurt lors de son procès, avant de connaître le verdict. Ce sont des histoires complexes, avec des transferts de populations allemandes des territoires « recouvrés » à l’ouest de la Pologne, afin d’assurer le repeuplement de la zone par des Polonais rapatriés de l’Est perdu « il expulsait les premiers et surveillait les seconds ».

C’est aussi un livre qui s’auto cite « parce que, dans mon livre « Les Vies de Maria », deuxième partie, chapitre « le Docteur », c’est la double vie du lieutenant W. Dans ce récit, le docteur Kestenbaum Rafal « a aidé des prisonniers en leur portant des messages codés, faisait passer des nouvelles à leur famille », avec la complicité d’une jeune femme amie de Milena Jesenská, la journaliste pragoise aimée de Franz Kafka. Elles organisaient ensemble le passage de Juifs et de socialistes entre la Bohême et la Pologne en 1938-1939, dans « une Aero blanche cabriolet, avec une capote noire et des ailes marron » que conduisait un comte allemand. Sa fille s’était liée avec une jeune femme responsable du chantier de rénovation de la toiture du manoir du comte. Il y a aussi les rafles ordinaires. Ainsi 3 000 Juifs sont rassemblés sur la place d’Osmolice, un gros bourg. Il faut payer une rançon. Au cimetière, on organise une quête. Un chapeau circule : « Les gens y jetaient des montres, des alliances, des bagues et de l’argent. Les Allemands prirent le chapeau, puis ordonnèrent aux Juifs d’aller sur la route de l’Est » Dans ce décor, un seul détail résume à lui seul l’extrême violence du moment. En juin 1945, six Juifs rescapés se retrouvent au village « très bien accueillis. Tout le monde partit dormir ». Ils étaient heureux de goûter enfin la liberté.

Des souvenirs inaltérables traînent dans la tête de vieilles personnes qui radotent dans une maison de retraite : « Qui a mouchardé ? Certainement pas nos voisins. Peut-être le mari de celle de gauche… il ne me plaisait pas ce type. » Parfois, un mot suffit pour inscrire à jamais un souvenir. « Un jour, le fils d’Esther-Elżbieta s’était bagarré avec un camarade. En passant à côté de la caserne, celui-ci cria : “Jude ! Monsieur l’Allemand, c’est un juif, lui !” Le soldat allemand s’arrêta, les dévisagea et repartit dans la direction opposée. Peut-être avait-il cru à une plaisanterie. Cet après-midi-là, il n’avait visiblement pas envie de tuer. » Le souvenir de ce bref instant s’est installé dans la tête des garçons, chacun a entretenu sa haine. Et pourtant, ce fait, ou plutôt cet essentiel détail, est à l’origine d’un comportement étrange, presque un rite. « Le fils d’Esther-Elżbieta ne joua plus avec ce garçon, mais il continua à le saluer le premier. Sa mère lui répétait toujours : N’oublie pas que tu dois te montrer poli. Il disait donc : Salut ! Le copain lui répondait : Salut ! Pas un mot de plus. Aujourd’hui, la guerre est finie. Ils habitent la même petite ville. Ils se croisent parfois dans la rue, de plus en plus voûtés, les cheveux blanchis. Salut ! dit le fils d’Esther-Elżbieta, toujours le premier, curieusement. Salut ! lui répond son copain. Et pas un mot de plus ».

On croise des héros, des personnes courageuses, des victimes ordinaires. Certains ont résisté et sauvé des voisins juifs, peu s’en sortent. Après la guerre, l’autodestruction et la violence ont continué de saper la société. Le « nouveau monde » communiste a voulu tout enterrer. En vain. Il y eut l’expérience des prisons, les tortures, des assassinats de résistants, et de Juifs encore. « L’antisémitisme puisait en partie dans une identité religieuse confondue avec l’identité nationale, vécues quelquefois jusqu’au fanatisme ». Le style de Hanna Krall est construit comme une spirale. Les personnages, quel qu’ils soient, bourreaux, victimes, délateurs, témoins ou Justes, reviennent tour à tour, à des lieux et endroits différents ; Hanna Krall mélange ces fragments.

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Prendre le bon Dieu de vitesse

Dont un des plus connus « Prendre le bon Dieu de vitesse » traduit par Pierre Li et Maria Ochab (2005, Gallimard, 136 p.). C’est une reprise des « Mémoires du ghetto de Varsovie » (2002, Liana Levi, 192 p.) par les mêmes auteurs. Récit de ses entretiens avec Marek Edelman, le dernier survivant du soulèvement du ghetto de Varsovie et de ses cinq dirigeants. La mort est courante, avec la faim, les épidémies de typhus et de tuberculose. Marek Edelman est chargé par l’Organisation juive de combat d’extraire, chaque jour, une personne de préférence un agent de liaison du cortège des dix mille conduites à la déportation. La grande rafle va vider le ghetto de Varsovie de ses 400 000 habitants. Mais est-ce vraiment une insurrection ? Le ghetto est entouré d’un mur « si épais » que Marek se demande si « l’on a peur de disparaître derrière, sans que le monde remarque (…) nos morts ».

En fait le livre pose la question du choix des vies à sauver. Les suicides collectifs et les meurtres d’enfants sont les seuls moyens d’éviter les camps, le jeu du « ticket de vie » inventé par les allemands. Il y a même les « infirmières modèles » qui cassent les jambes des patients sur la foi que seuls les valides sont déportés. Donc ce de ce qu'est la valeur d'une vie. Opter pour la lutte armée, « au fond, c’était juste pour choisir notre façon de mourir ».

Surtout, il pose le problème du sens de cette résistance armée vouée à l'échec. Les faits sont rapportés dans leur expression la plus brute, et Hanna Krall prend le risque de choquer en rapportant la vérité humaine au plus près de cette insurrection. Le soulèvement commence le 19 avril 1943, veille de Pessa'h, la Pâque juive, en réponse à une dernière grande rafle organisée par les nazis. Le combat inégal et sans espoir s'achève le 16 mai 1943, avec la destruction de la grande synagogue de Varsovie. « Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d'ici. Nous voulons sauver la dignité humaine ». L’ultime manifestation de dignité est de ne pas « survivre aux frais d’un autre ».

Livre pour le moins dérangeant. C’est indiqué en quatrième de couverture. On s’en rend compte tout au long des quelques 150 pages. Livre aussi qui éclaire la personnalité de Marek Edelman (dont le nom signifie homme noble). « Le bon Dieu est prêt à souffler la chandelle, moi je dois vite protéger la flamme, en profitant d’un de Ses moments d’inattention. Qu’elle brûle un peu plus longtemps qu’Il ne le souhaite ». Et il conclut « « Je me suis rendu compte que c’était la même tâche que sur l’Umschlagplatz (le point de triage des déportés). Là-bas aussi je me tenais sous le porche et je sortais des individus d’une foule de condamnés. Alors tu restes au portail toute ta vie durant ? C’est ça ».

Le combat se poursuivra plus tard, du 1er août au 2 octobre 1944, avec l’insurrection de Varsovie contre les allemands et la non-intervention de l’armée russe qui campait sur l’autre rive de la Vistule. C’est enfin une réflexion sur un des épisodes les plus marquants de la fin de la Seconde Guerre mondiale

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Prendre le bon Dieu de vitesse

Un livre fort, terrible et inoubliable.
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Mémoires du ghetto de Varsovie

Varsovie, 19 avril 1943

mémoire d'un survivant.
Lien : http://mazel-livres.blogspot..
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