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Citations de Hannah Arendt (514)


« Nous avons coutume aujourd’hui de ne voir dans l’amitié qu’un phénomène de l’intimité, où les amis s’ouvrent leur âme sans tenir compte du monde et de ses exigences. Rousseau, et non Lessing, est le meilleur représentant de cette conception conforme à l’aliénation de l’individu moderne qui ne peut se révéler vraiment qu’à l’écart de toute vie publique, dans l’intimité et le face à face. Ainsi nous est-il difficile de comprendre l’importance politique de l’amitié. Lorsque, par exemple, nous lisons chez Aristote que la philia, l’amitié entre citoyens, est l’une des conditions fondamentales du bien-être commun, nous avons tendance à croire qu’il parle seulement de l’absence de factions et de guerre civile au sein de la cité. Mais pour les Grecs, l’essence de l’amitié consistait dans le discours. Ils soutenaient que seul un “parler-ensemble” constant unissait les citoyens en une polir. Avec le dialogue se manifeste l’importance politique de l’amitié, et de son humanité propre. Le dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d’elles-mêmes), si imprégné qu’il puisse être du plaisir pris à la présence de l’ami, se soucie du monde commun, qui reste “inhumain” en un sens très littéral, tant que des hommes n’en débattent pas constamment. Car le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n’est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se passe dans le monde et en nous en en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains.
Cette humanité qui se réalise dans les conversations de l’amitié, les Grecs l’appelaient philanthropia, “amour de l’homme”, parce qu’elle se manifeste en une disposition à partager le monde avec d’autres hommes. »

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Car l'étonnement qui est le début de la philosophie – tout comme la surprise est le début des sciences – vaut pour le quotidien, l'évident, le parfaitement connu et reconnu ; telle est aussi la raison pour laquelle il ne peut être réduit par aucune connaissance. Il arrive aussi à Heidegger de parler, tout à fait au sens de Platon, du « pouvoir de s’étonner devant le simple », mais il ajoute à la différence de Platon : « et d’accepter cet étonnement comme séjour ». Cet ajout me paraît décisif pour une réflexion sur celui qu’est Martin Heidegger. Il est
permis d’espérer que beaucoup d’êtres humains, peut-être, connaissent la pensée et la solitude qui l’accompagne ; mais ils n’ont certes pas là leur séjour, et si l’étonnement devant le simple les saisit et que, déférant à l’étonnement, ils se laissent engager dans la pensée, ils savent qu’ils sont arrachés au séjour qui leur est imparti dans le continuum des affaires et des activités où s’accomplissent les préoccupations humaines, et qu’ils y retourneront après un bref répit. Le séjour dont parle Heidegger se trouve donc, métaphoriquement parlant, à l’écart des demeures des hommes ; et quelque tempête qui puisse éclater en cet endroit, elle sera toujours d'un degré plus métaphorique que lorsque nous parlons des tempêtes de l'époque. Mesuré aux autres lieux du monde, aux lieux des affaires humaines, le séjour du penseur est un « lieu de calme » (Ort der Stille).
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Texte essentiel de cet auteur indispensable.
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Ainsi, sous le troisième Reich, dans le cas d’une amitié entre un Allemand et un Juif, ce n’aurait pas été un signe d’humanité si les amis avaient dit : ne sommes-nous pas tous deux des hommes ? Ce n’aurait été qu’une simple évasion hors du réel et hors du monde commun à tous deux à cette époque, nullement une prise de position contre le monde tel qu’il était
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« Nous avons coutume aujourd’hui de ne voir dans l’amitié qu’un phénomène de l’intimité, où les amis s’ouvrent leur âme sans tenir compte du monde et de ses exigences. Rousseau, et non Lessing, est le meilleur représentant de cette conception conforme à l’aliénation de l’individu moderne qui ne peut se révéler vraiment qu’à l’écart de toute vie publique, dans l’intimité et le face à face."
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Pour la même raison que celle que je viens de donner, comme nous faisons grand usage d'objets créés par l'homme parmi lesquels nous nous déplaçons avec beaucoup d'aisance, nous sommes enclins à nous identifier avec ce que nous faisons et fabriquons, et à oublier fréquemment ce qui demeure le plus grand privilège de chaque homme : être essentiellement et à jamais plus important que toutes nos éventuelles productions et réalisations, demeurer non seulement, une fois parvenus au terme de chacun de nos travaux, la source toujours vive, véritablement inépuisable pour des réalisations ultérieures, mais surpasser dans notre être même toutes les choses que nous faisons, sans être atteints et limités par elles. Nous savons avec quelle joie les gens abandonnent chaque jour ce privilège et s'identifient pleinement avec ce qu'ils font, fiers de leur intelligence, de leur travail ou de leur génie; et certes une telle identification peut produire de remarquables résultats. Cependant, si impressionnants que soient ces résultats, agir ainsi entraîne la perte inévitable de la grandeur, qualité spécifiquement humaine qui consiste à demeurer plus grand que toute chose accomplie. La véritable grandeur, même dans les oeuvres d'art, où la lutte entre la grandeur du génie et la grandeur encore plus grande de l'homme est des plus vives, n'apparait que là où nous sentons par-dela les productions tangibles et intelligibles une personnalité qui demeure plus grande et plus mystérieuse, le travail en effet renvoyant au-delà de lui-même à un être dont l'essence ne peut être ni épuisée ni complètement révélée par tout ce qu'il a le pouvoir de faire.
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C'est plutôt son immense confiance en lui qui lui permettait de traiter chacun, petit ou grand, comme son égal. Et il allait très loin, là où il sentait qu'il fallait aller pour que cette égalité s'établisse.
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Que prêchait-il sinon l'humilité en disant à ses amis combien les nouvelles et terrifiantes responsabilités du pontificat l'avaient effrayé, et avaient même provoqué de nuits sans sommeil - jusqu'à ce que, un matin, il se dise à lui-même : "Giovanni, ne te prends pas tellement au sérieux !", et de toujours bien dormir ensuite.
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Toutes témoignent de la complète indépendance, qui vient d'un détachement vrai des choses ce monde, de la splendide liberté à l'égard des préjugés et des conventions, qui peut assez fréquemment résulter d'un esprit quasi voltairien et d'une rapidité stupéfiante à renverser les situations. Ainsi, quand il protesta contre la fermeture des jardins du Vatican pendant ses promenades journalières, et qu'on lui répondit qu'il ne convenait pas à sa position d'être exposé à la vue de simples mortels, il demanda "Pourquoi les gens devraient-ils ne pas me voir? Je me tiens mal, peut-être ?"
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Ainsi, sous le Troisième Reich, dans le cas d'une amitié entre un Allemand et un Juif, ce n'aurait pas été un signe d'humanité si les amis avaient dit: Ne sommes-nous pas tous deux des hommes? Ce n'aurait été qu'une simple évasion hors du réel et hors du monde commun à tous deux à cette époque, nullement une prise de position contre le monde tel qu'il était. Une loi interdisant toutes relations entre Juifs et Allemands pouvait être éludée, mais non défiée, par des hommes qui déniaient toute réalité à la distinction. Du point de vue d'une humanité qui garderait la réalité pour sol, d'une humanité dans la réalité de la persécution, ils auraient dû se dire l'un à l'autre : Allemand, Juif, et amis. Mais partout où réussit à cette époque une pareille amitié (bien sûr, la situation totalement changé de nos jours), partout où elle fut maintenue dans sa pureté, c'est-à-dire sans faux complexes de culpabilité d'un côté, et faux complexes de supériorité ou d'infériorité de l'autre, une parcelle d'humanité dans un monde devenu inhumain s'est trouvée réellement accomplie.
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Quand nous pensons aux sombres temps et à ceux qui y vivent et y évoluent il nous faut prendre en compte ce camouflage dû à l'"establisbment" - ou au "système" comme on disait alors - et généralisé par lui. S'il appartient au domaine public de faire la Iumière sur les affaires des hommes en ménageant un espace d'apparition où ils puissent montrer, pour le meilleur et pour le pire, par des actions et par des paroles, qui ils sont et ce dont ils sont capables, alors l'obscurité se fait lorsque cette lumière est éteinte par des "crises de confiance" et un "gouvernement invisible", par une parole qui ne dévoile pas ce qui est mais le recouvre d'exhortations - morales ou autres - qui sous prétexte de défendre les vieilles vérités, rabaissent toute vérité au niveau d'une trivialité dénuée de sens.
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