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Citation de Aproposdelivres


Le 30 mai 1829

A l’attention du sous-révérend Thorvardur Jónsson,

Breidabólstadur, canton de Vesturhóp

Mon révérend,
J’espère que cette lettre vous trouvera bien portant et prospère dans votre paroisse de Vesturhóp.
Tout d’abord, je tiens à vous adresser mes félicitations sincères, quoique tardives, pour l’obtention de votre diplôme dans le sud de l’Islande. Vous êtes un jeune homme zélé, apprécié de vos paroissiens. J’étais ravi d’apprendre que vous aviez regagné le nord du pays sitôt vos études terminées, afin de débuter votre aumônerie sous le contrôle de votre père. Savoir qu’il existe encore dans nos contrées des hommes de valeur prêts à servir Dieu et ses fidèles m’emplit d’une joie immense.
Je vous écris aussi aujourd’hui en ma qualité de commissaire de police pour vous demander une faveur. Comme vous le savez, un crime terrible a récemment endeuillé la vie de notre communauté. Les meurtres haineux commis l’an dernier à Illugastadir me paraissent emblématiques, par leur violence même, de la dépravation et de l’impiété qui règnent dans ce canton. En tant que chef de la police du Húnavatn, je ne peux tolérer le moindre débordement de la part de nos concitoyens. Aussi ordonnerai-je l’exécution des meurtriers dès que la Cour suprême de Copenhague m’en aura donné l’autorisation. C’est dans cette perspective que je viens requérir votre aide, sous-révérend Thorvardur.
Vous avez certainement gardé en mémoire la circulaire que j’ai adressée aux membres du clergé il y a presque dix mois, les informant du double meurtre et les invitant à le condamner avec la plus extrême vigueur auprès de leurs paroissiens. Permettez-moi cependant de revenir sur ces événements – pour que vous en ayez, cette fois, une connaissance plus approfondie.
Dans la nuit du 13 au 14 mars 1828, trois individus ont perpétré un acte abject à l’encontre de deux hommes qui vous étaient peut-être familiers : Natan Ketilsson et Pétur Jónsson. Les corps calcinés de Pétur et de Natan ont été retrouvés à Illugastadir parmi les décombres de la ferme de Natan, dont les bâtiments avaient brûlé pendant la nuit. Un examen attentif des cadavres a permis d’y déceler des blessures manifestement infligées dans l’intention de tuer. Une enquête a été ouverte, suivie d’un procès pour homicides volontaires. Le 2 juillet 1828, les trois suspects – un homme et deux femmes – ont été reconnus coupables par le tribunal du canton, présidé par moi-même, et condamnés à être décapités. Comme le prescrit l’Ancien Testament, « celui qui frappera mortellement un homme sera puni de mort ». Ces condamnations ont été confirmées par le tribunal d’appel, qui s’est réuni à Reykjavík le 27 octobre dernier. Le dossier se trouve actuellement à la Cour suprême de Copenhague, qui entérinera, selon toute vraisemblance, les attendus de mon jugement. Le condamné se nomme Fridrik Sigurdsson. C’est le fils du fermier de Katadalur. Les deux femmes, nommées Sigrídur Gudmundsdóttir et Agnes Magnúsdóttir, sont filles de ferme.
Ces trois individus sont incarcérés dans le nord du pays, et y resteront jusqu’à leur exécution. Fridrik Sigurdsson est détenu à Thingeyrar, sous le contrôle du révérend Jóhann Tómasson. Sigrídur Gudmundsdóttir vient d’être transférée à Midhóp. Nous avions prévu de laisser Agnes Magnúsdóttir en détention à Stóra-Borg jusqu’à son exécution mais, pour des raisons que je n’ai pas le loisir de développer ici, elle sera transférée le mois prochain à Kornsá, dans la vallée de Vatnsdalur. A la suite d’un désaccord avec son directeur de conscience, elle a mis à profit l’un des derniers droits qui lui restent pour réclamer un autre pasteur. Et c’est vous qu’elle a désigné, sous-révérend Thorvardur.
Ce n’est pas sans hésitation que je vous confie cette mission. Je suis conscient que vos responsabilités se sont jusqu’à présent limitées à l’éducation spirituelle des plus jeunes membres de votre paroisse – tâche d’une valeur indiscutable, mais de faible portée politique. Peut-être vous jugerez-vous trop novice pour conduire cette femme vers notre Seigneur et son Infinie Miséricorde. Dans ce cas, je ne m’opposerai pas à votre refus. C’est une charge que j’hésiterais à confier à des pasteurs chevronnés.
Si toutefois vous acceptiez de préparer Agnes Magnúsdóttir à sa rencontre avec le Seigneur, sachez que vous devrez vous rendre régulièrement à Kornsá si les conditions climatiques le permettent. Là, il vous faudra dispenser la parole de Dieu à la condamnée, lui inspirer du repentir et l’amener à accepter la justice des hommes. Ne laissez pas, je vous prie, l’orgueil ou la sympathie – s’il en naissait entre vous et cette femme – guider vos choix. Quoi qu’il arrive, mon révérend, si vous doutez de votre propre jugement, quêtez le mien.
J’attends votre réponse et vous saurais gré de la confier à mon messager.

Le commissaire de police du canton
Björn Blöndal
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