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Citation de Ziliz


Au début ça me faisait marrer et puis un jour ça ne m'a plus fait rire du tout.
J'assistais un pauvre Algérien dans une audience d'indemnisation de la détention provisoire. C'est une juridiction civile où l'on débat du montant du dédommagement que l'Etat doit verser à un innocent pour avoir gâché sa vie. Ce jour-là, ce défilé d'erreurs judiciaires se tenait devant un magistrat particulièrement exécrable qui toisait chaque comparant d'une moue narquoise du genre 'Vous, innocent, et puis quoi encore...'
L'Arabe en question, un ouvrier du bâtiment qui avait ravalé la façade d'un immeuble où logeait une cinglée, avait fait deux ans et demi de détention provisoire pour un viol qu'il n'avait pas commis avant d'être acquitté par la Cour d'Assises après la rétractation de ladite cinglée.
Il m'avait tenu la jambe pendant l'heure qui avait précédé l'audience pour m'expliquer à quel point ce moment comptait pour lui, voyant là enfin une occasion de déballer tout ce qu'il avait sur le coeur : la promiscuité en prison, les brimades que ses codétenus réservaient aux pointeurs comme lui, les deux douches par semaine, sa femme repartie au bled avec ses enfants, sa famille qui ne lui parlait plus, son logement qu'il avait perdu... Il avait tant de choses à dire. Le tribunal aurait pu l'écouter cinq minutes, ne serait-ce que pour s'excuser qu'un juge d'instruction ait foutu sa vie en l'air pour l'avoir maintenu sans preuve en détention durant trente mois. Eh bien non, le président, méprisant, l'a coupé net : 'Monsieur, vous travailliez au noir à l'époque. Vous n'avez aucune prétention à réclamer quoi que ce soit. Pour nous, vous n'existez même pas !'
Je ne trouvais plus mes mots en arabe [pour lui traduire] tellement j'avais honte. Je n'arrivais même pas à le regarder en face. J'ai commencé par balbutier et puis c'est sorti tout seul : 'Moi aussi, monsieur le Président, je suis payée au noir, et par le Ministère de la Justice, en plus. Alors puisque je n'existe pas, débrouillez-vous sans moi !' Et je suis partie, laissant tout en plan.
(p. 28-29)
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