Présentation par un libraire de l'ouvrage de H. M. van den Brink, Sur l'eau, aux édition Gallimard (Folio).
Il y a un moment, il doit y avoir un moment, juste avant le degré zéro, où l’eau ne coule plus mais est encore fluide. Une fraction de seconde avant que le premier cristal ne se forme et ne se propage dans l’espace avec un craquement inaudible, se divisant, se réfléchissant, se dédoublant, s’élargissant à une vitesse vertigineuse dans toutes les variantes possibles de l’arithmétique, jusqu’au moindre recoin de la masse aqueuse qui se fige en formant un dessin splendide, une grimace glaciale. Une vague peut geler en plein mouvement, avec son écume, ses bulles d’air et tout. Mais avant, l’espace d’un court instant, j’imagine que tout est silencieux dans l’eau montante. Le silence avant que tout ne se fige. C’est le genre de silence que je sens en ce moment.
Un silence peu naturel régnait autour de nous. Nous n’entendions que le bruit pénétrant de la pluie et à travers lui, au premier plan, le tchak violent de nos pelles qui saisissent l’eau et le bruit profond, un peu creux, qu’elles faisaient en sortant de l’eau dans une synchronie parfaite. Ou était-ce mon propre sang, nos respirations qui bruissaient et non la pluie. Je n’entendais pas David haleter derrière moi. Ce qui devait signifier que nous respirions à la même cadence, que les battements de son cœur se confondaient avec les miens
Une des différences entre la conscience du corps et la conscience de la tête est que le premier peut être sujet à la panique mais pas au désespoir.
Mais je ne sais pas si j'ai bien retenu l'histoire et si la recherche de l'autre moitié est liée à la physique ou au sport. Peut-être est-ce seulement de l'amour. Mais alors, je sais maintenant que l'amour et le bonheur peuvent fort bien s'acquérir par l'entraînement. J'ai découvert qu'il faut avoir le courage de se faire souffrir pour atteindre le moment où les deux moitiés se réunissent. Si cela ne se produit pas , et en général cela ne se produit pas, il n'y a que de la douleur. Et une piètre consolation: en tout cas, on se sent vivre.
...mon intérêt pour le reste de la ville commença à s'éveiller cet été-là. Ce n'était pas parce que la rivière, le hangar à bateaux et David ne me suffisait plus, mais au contraire parce que j'en étais si rempli que j'aurais voulu tout enserrer dans mes bras sans trop réfléchir. Une fleur s'épanouit-elle parce qu'il lui manque quelque chose? Non, elle montre ses couleurs et l'intérieur de son âme parce qu'elle est si remplie d'elle-même, qu'elle risque d'éclater si elle ne s'ouvre pas.
Des larmes se sont rassemblées derrière ses yeux et il a l'impression de les entendre cliqueter quand il bouge.
Pas de geste sans difficulté. Pas de bonheur sans douleur, une douleur qu'on peut sentir, qu'on peut localiser, qu'on peut attraper par sa queue frétillante alors qu'il serait plus facile de ne pas intervenir, de la laisser s'échapper. Avec plus de calme.