Damas, grise et terrible, Amman riche et désolée, Marrakech qui tombe en morceaux dans le puits sec des oublis ancestraux, Alger dont il ne reste rien qu'un peu de chaux sur des blessures vives, Tunis qui s'anonyme, Le Caire qui perd le souffle, Baghdad, pillée, menée à la guerre civile : un demi-siècle, sans un frisson, a vidé le passé du monde. Il faudra, un jour, vous réinventer. L'ombre guerrière de vos remparts ne retiendra ni eau ni âme, villes arabes aux noms démesurés.
Longtemps, elle n'avait vécu que de ces moments éblouissants. La lumière, les femmes qui l'entouraient. Elle ne devait sa survie qu à cette possibilité de solidarité, de beauté. Longtemps, elle n'avait pas su qu'une autre vie était possible. L'espoir fou qui accompagna l'indépendance de l'Algérie fut à la mesure des trahisons successives qui assassinèrent le pays. Et ce peuple était malade. Pas seulement rongé par la faim et les épidémies mais troublé dans son fondement, humilié, plongé dans un sentiment de persécution, dans un dédoublement de lui-même, cassé dans sa structure par le filon de rouille qui s'était introduit entre les hommes et les femmes. Les gens crachaient tout le temps, les hommes surtout, comme s'ils voulaient se débarrasser d'eux-mêmes, extraire leur propre sève. Ils se sentaient tous impurs et l'impureté, comme il se doit, fut solennellement attribuée aux femmes. (p.44)
Elle ne craignait pas grand-chose; la guerre avait transformé bien des femmes. (...)
Quand tout va mal chez nous, les femmes se lèvent et tiennent le combat. (...)
La proximité de la mort changeait les codes. La mort , imminente, changeait le sens des mots. (p.46-47)