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Critiques de Héctor Abad Faciolince (56)
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L'oubli que nous serons

Ce livre aurait pu s'intituler « le livre de mon père », reflet miroir du livre maternel d'Albert Cohen. Une autobiographie colombienne bouleversante…quand mémoire familiale et mémoire collective s'entrelacent avec brio et délicatesse…



« J'aimais mon père d'un amour animal. J'aimais son odeur, et aussi le souvenir de son odeur, sur le lit, lorsqu'il partait en voyage et que je demandais aux bonnes et à ma mère de ne pas changer les draps ni la taie d'oreiller ».



Voilà un livre dont j'ai débuté la lecture en ne sachant quasiment pas de quoi il était question. Une seule certitude : étant sur l'île déserte d'Idil (@Bookycooky), cela devait forcément être un bon livre. Il me faisait de l'oeil depuis un moment, là, installé sur son île avec sa couverture d'un joli et énigmatique rose brumeux d'où émergent les tours d'une mégalopole, une ville tentaculaire d'Amérique du Sud probablement, étant donné les nom et prénom de l'auteur d'une part, et vu le goût d'Idil pour cette région du globe d'autre part.



Et en effet le livre est colombien et la ville en question est Medellin.

J'ai eu le bonheur de découvrir le plus bel hommage fait à un père que je n'avais jamais lu jusqu'à aujourd'hui. Témoignage bouleversant d'amour d'un fils pour son père, biographie pittoresque, chronique d'une famille unie - et oh combien unique - au sein de laquelle la pratique religieuse, fervente et mystique, réactionnaire, de la mère le dispute à l'esprit scientifique et cartésien du père, radiographie de la société colombienne des années 1970 et 1980 déchirée par la violence et la guerre que se livrent les paramilitaires, l'armée, les narcotrafiquants et les guérilleros, voilà les ingrédients de ce livre qui m'a parfois émue aux larmes tant Victor Abad sait combiner en un subtil dosage l'histoire de son pays et sa vie familiale et intime.



Le père dont il est question est le docteur Héctor Abad Gômez. Celui-ci enseigne la médecine à l'Université de Medellin et travaille dans les quartiers populaires de la ville où il se bat pour apprendre à la population les règles élémentaires d'hygiène afin de prévenir les maladies et où il lutte pour leur offrir une eau pure, base de la santé du peuple estime-t-il face à la médecine curative à base uniquement de traitements onéreux, business florissant. Mieux vaut prévenir que guérir. Médecine sociale en lien avec la situation économique versus médecine curative. Autrement dit « cesser d'être un sorcier pour devenir un acteur social » et agir ex ante plutôt que ex-post.

Eduqué dans la tradition des Lumières, militant fervent des droits de l'homme, ce libre penseur croit ainsi à la possibilité de changer la vie de ses semblables et de bâtir, grâce à la science, un avenir meilleur. Il s'exprime dans les journaux, sur les radios et ses messages dérangent les autorités. À plusieurs reprises il est contraint à l'exil aux États Unis. Mais on ne musèle pas facilement cet homme libre et courageux qui le deviendra encore plus en vieillissant, surtout après la mort d'une de ses filles chérie, la magnifique Marta.



Le portrait, doux et pudique, de ce père d'exception, libre, généreux, sensible, optimiste, ouvert, tolérant, engagé avec passion et humanisme, est dépeint par Hector Abad fils avec une admiration et un amour tout aussi exceptionnels. L'assassinat de cet homme si bon, assassinat jamais élucidé, est d'autant plus déchirant. Il met également en valeur la violence institutionnalisée déployée par le pouvoir en place contre son peuple afin que celui-ci ne se tienne pas debout, se milite pas, n'ait pas des idées libertaires. A coup de tortures atroces, de menaces incessantes, de crimes orchestrés en toute impunité.



« Toute personne qui incitait à l'éveil et à la participation des pauvres était considérée comme un dangereux activiste qui mettait en péril l'ordre imperturbable de l'Eglise et de la société ».



Quel homme que ce père, mais quel homme…Sa façon d'aimer, à la fois exubérante, chaleureuse, confiante, mais aussi un peu étouffante, sa façon d'éduquer ses enfants avec un amour sans limite, avec légèreté et humour, bienveillance et respect, sa façon d'exprimer sans honte ses émotions, ses pleurs, ses élans d'amour, ses passions. Je l'ai aimé ce père, immédiatement, ne cessant de penser à mon petit papa à moi, et comme le petit Hector, j'ai été fascinée et admirative. Aucun sentimentalisme, aucun pathos, aucun côté mièvre et larmoyant dans le portrait de cet homme qui déborde de bonté, c'est juste délicat, subtil et beau. L'auteur a su trouver le ton juste, adéquat, pour nous fasciner, nous faire vibrer, nous toucher en plein coeur et rendre palpable la douleur et le désarroi. C'est remarquable de coeur et d'intelligence.



« Mon père a toujours pensé, et moi je le crois et l'imite, que cajoler ses enfants est le meilleurs système éducatif ».





Hector Abad a écrit sur l'assassinat en 1987 de son père avec beaucoup de pudeur, de sincérité, de réalisme et aussi, il faut le dire, d'amertume. de courage aussi. J'ai eu l'impression parfois de sentir les sanglots ravalés avec rage tant son écriture était parfois appuyé, transperçant le papier, fébrilement. Notons que ce très beau livre, chef d'oeuvre de la littérature colombienne, a été transposé au cinéma par Javier Camara. Souhaitons que cet écrit ait été salvateur pour cet orphelin de père, qui plus est d'un père absolument exceptionnel…

Pour le portrait bouleversant de ce père si bon idéologiquement, hybride, « chrétien en religion, marxiste en économie et libéral en politique », pour l'analyse de la société colombienne des années 1980 et la critique de son pouvoir corrompu, pour le courage qu'il met en valeur, pour l'ode à la littérature et à la musique que ce livre représente (quel bel hommage à Proust d'ailleurs, à Borgès aussi, le titre du livre provenant d'un de ses poèmes) qui permettent de contrer l'oubli, pour les anecdotes pittoresques distillées telles des friandises tout au long du récit, pour les questions existentielles et le rapport à la mort de nos proches qu'il permet de sonder avec pudeur, pour l'humanisme lumineux et flamboyant qu'il nous offre et qui fait un bien fou, je comprends tellement qu'il puisse être mis sur une île déserte. Merci infiniment Idil !



« C'est un des paradoxes les plus tristes de ma vie : presque tout ce que j'ai écrit, je l'ai écrit pour quelqu'un qui ne peut pas me lire, et ce livre même n'est rien d'autre que la lettre adressée à une ombre ».





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L'oubli que nous serons

« Mon père s’était toujours déclaré : chrétien en religion, marxiste en économie, libéral en politique. »



Ce livre, je l’ai refermé avec regret. Hector Abad Faciolince a su me faire passer toutes ses émotions, tout son amour, sa tendresse, pour son père, Hector Abad Gomez. Son écriture m’a beaucoup remuée. Au fur et à mesure de ma lecture, l’émotion s’est intensifiée malgré une écriture pudique mais chaleureuse. Mais la deuxième partie m’a emportée, attristée, captivée !



L’auteur-narrateur nous dresse un très beau portrait de son père, celui d’un homme engagé, médecin, très soucieux d’améliorer les conditions de vie dans les quartiers populaires afin d’endiguer la misère. Ses combats au quotidien tournent autour de la médecine préventive : vaccination, alimentation, et surtout, l’eau potable, l’hygiène. Il se rend au contact des plus démunis accompagné de ses étudiants afin de sensibiliser ces derniers au sort des plus démunis et attirer leur attention sur le contraste qui existe entre les riches et les pauvres dans cette Colombie des années 60, à Medellin.



Hector Abad nous conte son enfance heureuse, insouciante, au côté d’un père attentif à ses enfants, leur transmettant la culture, indifférent à la richesse, et d’une mère beaucoup plus pragmatique et qui gère admirablement la petite famille. Cette complicité entre le père et le fils nait dans une famille de dix femmes dont cinq sœurs. On comprend aisément la connivence et l’amour « animal » pour reprendre les termes d’Hector qui se joue entre le père et le fils.

Si l’on ajoute à cette connivence, le portrait d’un homme désintéressé, altruiste, parfois excessif, passionné, idéaliste, le fils comme les filles adulent un homme qui cherche à rester en accord entre ses actes et ses paroles, toujours soucieux d’apporter ses connaissances afin de contribuer au bien-être de ses semblables.



L’auteur nous amène à découvrir la société colombienne sur une vingtaine d’années et plus spécialement la ville de Medellin.



La société civile est entièrement captive de la religion catholique, du dogme religieux. Le catholicisme est considérée comme religion d’Etat jusqu’en 1991et gère le quotidien des colombiens jusqu’à l’Education. La vie des colombiens est rythmée par l’Eglise, les prêtres, les évêques. Certaines scènes m’ont particulièrement angoissées tant l’omniprésence de la religion est étouffante !



La maman est croyante, le papa libre-penseur ! On apprécie de sentir l’amour qui unit cette famille, de les suivre dans leur quotidien, de pénétrer leur univers, de découvrir les us et coutumes de ce pays. On pénètre l’Université avec le père qui y enseigne jusqu’au jour où le drame survient et le mot « drame » est faible.



A compter de cet évènement, il ne sera plus possible, pour aucun membre de la famille d’être pleinement heureux. Plus rien ne sera comme avant. Le désespoir incommensurable de cette famille transforme ce père qui se jette à corps perdu dans la bataille des droits de l’Homme. Son besoin de justice tourne à l’exaltation.



Nous sommes dans les années 1970, à Medellin, ville trop connue et meurtrie par la violence qui a succédé à la guerre civile des années 50 à 60 et qui fera souvent les gros titres des hebdomadaires. Pablo Escobar, les conflits armés entre les différents groupes politiques, la délinquance, les explosions terroristes, les règlements de compte entre maffieux et trafiquants de drogue, marquent à tout jamais Medellin jusque dans les années 90.



Hector Abad Gomez est de tous les combats, il s’expose dans ce monde régit par la violence. Le choix de se faire tuer par un autre devient plus attractif si l’on ne perçoit plus la Lumière. Il est de toutes les marches qui manifestent devant le palais du Gouverneur. Naïf, sa pancarte au bout des bras, parfois il se retourne et s’aperçoit qu’il n’y a plus personne derrière lui : étonnant !!! Il écrit, il prend la parole ! Il se bat pour la liberté d’expression, pour une culture libre, il dénonce la torture, les séquestrations, il dérange. Il faut lire son superbe J’Accuse dans El Mundo de Medellin et El Tiempo de Bogota qui sera publié après l’assassinat d’un ami. Evidemment, on retrouve dans ce récit tous les travers des êtres humains. C’est poignant, ca prend aux tripes ! Je suis passée par toute une palette d’émotions avec ce récit.



Hector Abad Gomez est devenu une cible pour plusieurs groupes armées, il a été assassiné le 25 août 1987 par deux types à moto qui lui ont vidé un chargeur alors qu’il se rendait à l’enterrement d’un ami assassiné : un de plus. La Faculté Nationale de Santé Publique porte aujourd’hui le nom d’Hector Abad Gomez lui qui a tant œuvré pour la santé des Colombiens.



Hector Abad Faciolince nous offre un vibrant hommage d’un fils à son père. L’auteur mettra vingt ans avant de pouvoir écrire ce livre tant les mots qui lui viennent à l’esprit sont toujours accompagnés de larmes. Le traumatisme a été d’une telle violence ! C’est un très beau livre et je comprends pourquoi Booky, ce livre figure dans ceux que tu emmènerais sur une île déserte!



En vidant les poches de son père, le jour de sa mort, Hector Abad a trouvé ce poème de Borges écrit sur un morceau de papier qu’il a trouvé au fond de l’une de ses poches.



« Ici et maintenant, nous voilà devenus l’oubli que nous serons. La poussière élémentaire qui nous ignore……. »



Quant à moi je pense « Mon père ce héros au sourire si doux ….. » Victor Hugo



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La Secrète

En pleine jungle, au coeur des montagnes de la province d’Antioquia au nord-ouest de la Colombie, la Secrète est la demeure des Angel depuis un siècle et demi et l’arrivée des premiers colons dans la région. Anita, ultime pierre angulaire de la famille, vient de mourir, laissant la demeure et ses plantations de tecks et de caféiers à ses trois enfants. L’aînée Pilar, gardienne des lieux et des traditions familiales, s’est toujours consacrée à la sauvegarde de la propriété et a promis sur le lit de mort de son père de ne jamais vendre le domaine. Antonio, violoniste exilé à New York pour y vivre son homosexualité au grand jour, revient régulièrement passer ses vacances à la Secrète à laquelle il est viscéralement lié. Eva, femme émancipée attachée à son indépendance, a pris la maison en grippe depuis qu’elle y a échappé de justesse aux représailles de racketteurs. Quel sort la fratrie va-t-elle décider pour la Secrète ?





Alternant constamment les voix de chacun des frère et sœurs et leurs récits des liens indéfectibles qu’ils ont noués avec la maison de leur enfance, le roman retrace peu à peu l’histoire de cette famille et, à travers elle, celle du pays tout entier. Terre de pionniers conquise de haute lutte sur la forêt et la montagne, réceptacle de l’attachement viscéral de générations qui se sont éreintées à la domestiquer, la Secrète a traversé avec les Angel tous les soubresauts du pays. Guerres civiles et coups d’état, affrontements entre libéraux et conservateurs, vagues successives d’« envahisseurs » : guérilleros marxistes, paramilitaires, narco-trafiquants et, en dernier lieu, compagnies minières et promoteurs immobiliers … Jusqu’ici, la famille a su plier et rebondir, parfois en payant le prix fort, et rien n’a pu la déraciner de ce lieu défendu bec et ongles contre les agressions, autant humaines que naturelles et climatiques. Pourtant, après tant de péripéties et de dangers traversés, l’éclatement de la dernière génération ainsi que l’envie d’une vie libre et confortable pourraient bien, assez ironiquement, mettre un terme à l‘épopée de la Secrète, rattrapée, comme tant d’autres grandes demeures devenues trop lourdes pour leurs propriétaires, par les contraintes économiques et par l’urbanisation.





Si j’ai apprécié le versant historique du roman et la connotation nostalgique d’un récit que le passage du temps, le poids du destin et la cruauté du hasard imprègnent d’une saveur douce-amère, j’ai trouvé lassante la lenteur d’un texte qui semble souvent tourner autour de son sujet. Même si sa lecture nécessite quelque effort, ce livre aux accents sans doute autobiographiques reste indéniablement une œuvre intéressante sur l’ambivalence humaine entre attachement aux racines et envie d’émancipation, besoin d’ancrage et rêve de liberté. Une chose est sûre : l’exilé ne retrouvera jamais intact ce qu’il a laissé…


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L'oubli que nous serons

Une belle découverte, que cet auteur colombien dont je n'avais jusqu'ici parcouru que quelques pages de l'éloge de la paresse, en version originale. Dans L'oubli que nous serons, Hector Abad nous livre les souvenirs d'un amour inconditionnel, celui du père, qu'une mort dramatique, un assassinat, a rendu si douloureux qu'il lui aura fallu vingt ans pour poser des mots sur cette histoire familiale personnelle, retranscrire des tranches de vie gravées dans sa mémoire que l'écrivain voulait libérées du ressentiment, de la haine, de l'idéalisation affective, de la mythification inhérentes aux fins dramatiques, de la distorsion du temps qui passe. Mais, ce travail marque aussi la volonté de prolonger l’existence de l'être aimé, de lutter avec un roman contre la disparition qui deviendrait irrémédiable à mesure que s'éteindraient tous les gens qui l'avaient connu. C'est aussi en filigrane, le portrait de la Colombie, un pays gangréné par la violence politique ou maffieuse durant des décennies qui s'est engagé il y a quelques années dans un processus de pacification, mais le chemin est encore long. Ce fut un bon et beau moment de lecture, même s'il s'agit d'une traduction, le résultat dénote d'une langue originelle riche et soutenue.
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L'oubli que nous serons

Je ne sais comment je vais faire la critique de ce livre sublime, tellement j'ai adoré ! Coup de cœur, cinq étoiles....rien ne suffirait à exprimer le plaisir que j'ai pris à lire ce livre et les émotions que j'en ai ressenti.Un livre qui restera gravé dans ma mémoire et dans mon cœur,à jamais ( dans la dernière phrase du livre,l'auteur exprime l'objectif de ses sentiments en écrivant ce livre,par rapport à son pére ,mais aussi par rapport au lecteur; sur ce dernier point avec moi ,c'est réussi).

Ce livre est un hommage à la mémoire et à la vie d'un pére exemplaire,celui de l'auteur.

Un livre qui raconte l'histoire d'une famille avec ses bonheurs et ses tragédies ,et une magnifique relation pére-fils, basée sur l'amour et le respect,dans le contexte d'une Colombie ravagée par l'injustice et La Violence des années 60 à 90.

Le profond humanisme de ce pére,pédagogue-né, et l'intelligence,la pudeur et l'humour de la prose du narrateur,son fils qui le raconte, m'a profondément touchée et éblouie. Résumer ce livre, est lui faire injustice.

La remarquable préface du livre écrit par Mario Vargas Llosa résume tout mes sentiments.Je ne peux que recommander fortement sa lecture!
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L'oubli que nous serons

Il a fallu à Hector Abad Faciolince une vingtaine d’années pour réussir à libérer ses souvenirs personnels de leur gangue de douleur insoutenable et pouvoir s’atteler à la rédaction de ce livre-témoignage époustouflant.

Comment trouver alors tout de suite des mots susceptibles de retranscrire avec exactitude ce qui fait à mes yeux de L'OUBLI QUE NOUS SERONS une œuvre aussi extraordinaire, rare et unique, et tout particulièrement la grâce, la pudeur et la délicatesse qui y sont convoquées en sublime contrepoids à la dimension tragique, au sentiment d’injustice et à la violence des événements présents à l’origine de sa rédaction?

Si ce livre était un arcane du Tarot de Marseille, ce serait à mon avis, sans aucun doute, le numéro 11, «La Force», cette planche où l’on voit l’image d’une frêle jeune femme en train d’ouvrir, à mains nues et sans le moindre effort apparent, la gueule d’un lion : symbole du courage moral et spirituel triomphant en toute sérénité sur la brutalité et la bestialité.

Au risque de paraître mièvre, peu importe, je dirai tout simplement que L'OUBLI QUE NOUS SERONS est de ces livres souverains, écrits avec le cœur, et qui en tout premier lieu touchent les lecteurs aussi, droit au cœur. Sans une once de sentimentalisme justement, sans aucune mièvrerie lénifiante. Merveilleusement bien écrit. Adroit, entier, sans autre artifice que l’immense talent de l’auteur à pétrir une langue littéraire qui, de prime abord directe et spontanée, se révèle en vérité d’une grande subtilité et pénétrante. Émotionnelle et sensorielle, mais aussi capable de retenue, de prendre de la distance par rapport aux événements traumatiques qu’elle décrit. De la belle littérature, en somme, située à des années-lumière de celle qui se fait habituellement dans le genre avec de braves intentions et autres poncifs édifiants.

L'OUBLI QUE NOUS SERONS est avant tout la chronique biographique d’un homme, fascinant et libre-penseur, médecin spécialiste en santé publique, personnage public consacré en son pays en tant que défenseur intrépide et «apôtre des droits humains», le père de l’écrivain, Héctor Abad Gomez, brutalement assassiné en 1987 par des milices paramilitaires associées à l’État colombien, ce dernier ayant été très probablement commanditaire du meurtre ; en même temps, c’est la chronique personnelle d’un amour fusionnel en version masculine, entre Héctor-père et Héctor-fils, sorte d’Œdipe «inversé» assez inouï, rarement abordé (à ma connaissance, en tout cas) en littérature; une chronique familiale également, riche en faits et couleurs -allant du plus exubérant et cocasse au plus douloureusement impensable et inacceptable-, d’une famille latino-américaine dont certains aspects évoqués au travers des souvenirs d’enfance de l’auteur seraient par ailleurs dignes de figurer dans une des fictions de son plus célèbre confrère, «Gabo» (les passages, entre autres, narrant les séances de prières collectives organisées chez la grand-mère en sont de véritables morceaux d’anthologie !) ; c’est enfin la chronique glaçante et l’autopsie sinistre d’une ville, Medellin, devenue mondialement emblématique durant le dernier quart du vingtième siècle comme l’une des agglomérations urbaines les plus violentes de la planète (l’on disait qu’il y avait alors, par jour, davantage de morts par balles à Medellin qu’au Liban, pourtant en pleine guerre civile à la même époque!).

Évitant scrupuleusement tout piège hagiographique autour du personnage central qui l’inspire, père ô combien vénéré et en même temps, donc, véritable martyr de la barbarie de l’une des périodes les plus funestes de l’histoire récente de son pays, Héctor Abad résistera également à toute tentation facile d’idéaliser un bonheur familial et mythique d’avant les épisodes tragiques survenus dans la famille. Il ne cessera, au passage, non seulement de désacraliser ces années, (« Ce furent des années de bonheur, dis-je, mais la félicité est faite d'une substance si légère qu'elle se fond facilement dans le souvenir, et si elle remonte à la mémoire, c'est avec ce sentiment écœurant que j'ai toujours rejeté comme inutile, mièvre et finalement nuisible à la vie au présent: la nostalgie. »), mais aussi la personnalité de uns et des autres avec leurs contradictions et zones d’ombre, à commencer par celle de son fantasque de père et la sienne propre...

Selon les propos dithyrambiques de son prestigieux préfacier, Mario Vargas LLosa, L'OUBLI QUE NOUS SERONS serait un «chef d’œuvre», difficile à synthétiser «parce qu’il est plusieurs choses à la fois». En ce qui me concerne, ce livre figure en tout cas désormais parmi les plus belles chroniques autobiographiques et familiales qu’il m’ait été donné de lire à ce jour.

En miroir à l’esprit qui aura présidé son écriture, il s’agit bien d’une expérience possible de lecture pleine, «entière». Être complètement suspendu et étreint par ce qu’on lit, éprouver un instant ce fragile sentiment continental qui nous manque parfois si cruellement, voilà ce que l’on cherche au fond en ouvrant un livre. «Si les mots tracent une carte approximative de notre esprit, une bonne partie de ma mémoire a été transportée dans ce livre, et comme nous les hommes sommes tous frères, dans un certain sens, parce que ce que nous pensons et disons se ressemble, parce que notre façon de sentir est presque identique, j’espère avoir en vous , lecteurs, des alliés, des complices, capables de jouer sur les mêmes cordes dans cette caisse obscure de l’âme. ». C’est fait.

«Souviens-toi, âme endormie»! Souviens-toi de cet inexorable oubli auquel nous serons tous voué, dont ce livre, paradoxalement, nous console. Ce magnifique titre est extrait d’un poème attribué à Borges, recopié à la main par Héctor Abad Gomez et trouvé par son fils dans la poche du costume que son père portait au moment où l’on l’assassina sur le trottoir d’une rue de Medellin.



Post-scriptum

Le dossier d’instruction criminelle ouvert après l’homicide du père de l’auteur en 1987, «exercice de camouflage et de complicité avec les assassins pour favoriser l’impunité » sera classé sans suite quelques années après, sans aucune arrestation ou élucidation.

Héctor Abad Facolince a écrit et publié son livre en 2006.

En 2014, le Ministère Public colombien requalifierait les assassinats systématiques commis à l’époque par les différentes factions paramilitaires colombiennes, en «crimes contre l’humanité», les rendant désormais imprescriptibles.

En cette même année, pour la première fois, un homme, suspecté d’avoir abattu à sang froid Héctor Abad Gomez sous les ordres du « clan Castaño » (et d’avoir par ailleurs participé dans les années 90 au massacre de 40 autres personnes à Antioquia – département colombien dont Medellin est la capitale), Manuel Salvador Ospina Cifuentes, est arrêté et mis en accusation.

Sur Internet, j’ai vu une photo prise quelques instants après le meurtre de Héctor Abad Gomez qui nous montre, accroupi sur le trottoir à côté du cadavre de son père, hagard, un jeune Héctor Abad Faciolince dont le regard semblait s’être momentanément détourné de la scène du crime. Dans ce curieux regard, me suis-je dit, sans pouvoir tout à fait me l’expliquer pourquoi, se retrouvait condensé, rétrospectivement, en une sorte d’étrange «flashforward», le long processus qui devait aboutir vingt ans après à la rédaction de ce livre. Il n’y pas de légende à cette photo, mais je reste malgré tout convaincu qu’il s’agissait bien de lui.

….

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La Secrète

" le premier d'entre nous à arriver en Colombie, un pays qui s'appelait encore la Nouvelle Grenade,fut un jeune espagnol natif de Tolède,greffier de profession,qui s'appelait Abraham Santàngel...." ,ainsi débute Antonio, l'histoire de sa famille, les Angel, une famille d'origine juive,convertit au catholicisme.



Un siècle et demi plus tard....la mère , Anita, vient de mourir à la Secrète, la ferme familiale nichée depuis la fin du XIXe siècle en Antioquia, une région du nord-ouest de la Colombie. Les trois enfants d'Anita,Antonio,jeune violoniste ,exilé à NewYork,pour vivre à découvert son homosexualité,mais qui ne rêve que du retour à la Secrète, Éve la cadette,mère célibataire et femme libérée,qui,elle voudrait sans hésitation le vendre, et Pilar l'aînée et gardienne du logis, qui n'envisage pas de le quitter ,y vivant encore avec son mari,doivent décider du sort de ce domaine, qui est au coeur de ce récit.Un sort difficile à décider.....d'autant plus que Cobo, leur pére, fit promettre à Pilar de ne jamais vendre La Secrète , peu avant sa mort, symbole pour lui, de la lutte pour la vie de plusieurs générations, "un endroit au monde d'où partir et où revenir,un lieu où vivre et où mourir...".

Un récit à trois voix, où trois personnages et trois destins très différents s'entrecroisent .Antonio,Eva et Pilar prennent la parole à tour de rôle,livrant en trois monologues, leurs intimités alternées avec une part de leurs histoires passionnelles avec les lieux .Le récit gagne en profondeur avec la veine historique, l'histoire de la Colombie et celle de la colonisation du Sud-Ouest antioquégne, en toile de fond. Antonio nous raconte celle des pionniers qui s'installent sur cette région et y introduisent la culture du café au XIXéme siècle ,alors qu' Eva et Pilar à travers leurs histoires personnelles nous relatent la violence inouïe des paramilitaires, des narco trafiquants et de la guérilla marxiste qui ont sévit le pays pendant plus de trois décennies ....



Cette fresque familiale classique enrichie par des références historiques et autobiographiques de l'auteur , nous donne une saga fascinante,où l'amour est omniprésente , sous toute ses formes.Beaucoup de références aussi , au hasard et au destin qui souvent décident (?) des choses hors de la portée de notre volonté....y décideront-ils aussi du sort de la Secrète ?....



"L'oubli que nous serons" , son livre autobiographique sur son pére,était mon grand coup de coeur de l'année dernière. Je retrouve ici en Cobo,la figure du pére ,en Anita,celle de la mère...et La Secrète semble trés proche de la finca familiale de "La Inés" , a trois heures de Medellin....bien qu'il ne m'a pas autant touchée que son livre précédent, reste une lecture intéressante ,profonde,originale, lu avec grand plaisir.





































































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L'oubli que nous serons

Hector Abad nous transporte en Colombie, à Medellin au coeur de sa famille à laquelle nous nous attachons rapidement.

C'est un livre sur l'amour filial mais c'est aussi un livre sur la violence politique colombienne des années 70-80.

Hector Abad nous décrit avec un très grand talent la maladie puis la mort d'une de ses soeurs et l'assassinat de son père. Ces deux drames dans l'existence d'Hector Abad sont des temps forts dans ce livre puisqu'il y aura un avant et un après et l'on ressent avec lui la tragédie de ces "événements".

Je terminerai cette critique en le citant : " Nous vivons une époque violente, et cette violence naît du sentiment d'inégalité. Nous pourrions avoir beaucoup moins de violence si toutes les richesses, y compris la science, la technologie et la morale - ces grandes créations humaines - ,étaient mieux réparties sur terre. C'est le grand défi qui se présente à nous aujourd'hui, pas seulement à nous, mais à l'humanité."
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L'oubli que nous serons

Véritable plaidoyer contre la terreur politique, comme l'écrit Vargas Llosa dans la préface, le livre autobiographique de Victor Abad est un travail de mémoire familiale pour cet écrivain distrait qui dit tout oublier, mais aussi un travail de mémoire collective pour les colombiens.

C'est donc le destin d'un peuple et d'une nation livrée à une violence institutionnalisée, gravé dans celui d'une famille, l'assassinat jamais élucidé d'un père par des sicaires, parce qu'être un humaniste dans la tradition des Lumières en 1987, en Colombie, relève du scandale : un homme debout est un homme dangereux. C'est enfin un hommage rendu à l'écriture, cette expression qui, ici, invite la mémoire pour construire une œuvre et placer les ombres absentes et aimées côté soleil.
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La Secrète

Une histoire de famille colombienne.

Trois voix fraternelles s'entremêlent pour raconter la Secrète, grande maison blanche et rouge entourée d'eau, de montagnes et de verdure, lieu de vie, de travail ou d'enfance, indissociable des générations Ángel depuis la fin du XIXème.



Les souvenirs se croisent et se complètent. Il faut aimer se noyer dans les générations, dans l'intimité des individus, dans les traces des disparus et de l'héritage laissé. Les deux filles Eva et Pilar apportent la note personnelle, sentimentale et évènementielle au récit quand le frère Antonio, expatrié new-yorkais, se fait historien de la famille et du pays, par sa société et ses événements politiques.



Les deux soeurs sont les deux faces d'une même pièce, l'une au vécu matrimonial traditionnel, l'autre, mère célibataire librement assumée. Quant au frère, son homosexualité est la transgression la plus aboutie dans une société très catholique.

Tous décrivent un attachement irrévocablement lié à la ferme, à la terre, entre amour et haine de ces chaînes invisibles et provinciales.



J'ai eu beaucoup de plaisir à vivre ce dépaysement géographique, dans la connaissance de la région d'Antioquia et cette Colombie terre de conquistadors, d'aventuriers, et de guérillas. C'est un roman généreux, qui fait vivre, aimer, travailler, lutter les individus dans une nature foisonnante, difficile à domestiquer.



Une belle manière de rendre hommage à des racines familiales et à ce sentiment d'appartenance à un endroit qui vous possède plus que vous ne le possédez.



4/5 étoiles
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Traité culinaire à l'usage des femmes tristes

« Chacun de mes livres est associé à un amour de ma vie » a confié l'auteur de ce Traité culinaire à l'usage des femmes tristes, et c'est Irène dont il s'est finalement séparé qui est l'inspiratrice première de cet ouvrage d'Hector Abad Faciolince. Mais c'est dans un contexte plus profond que celui sentimental qu'a été construit ce Traité culinaire à l'usage des femmes tristes : la douleur des femmes de sa famille (sa mère et ses soeurs), confrontées à l'assassinat du père de l'écrivain par des paramilitaires. Tristesse familiale et personnelle comme une allégorie de la tristesse historique et politique de la Colombie : l'auteur ne les sépare jamais dans son oeuvre littéraire.



Dans ce traité qui n'en est pas un, sauf avec une lecture littérale peu soucieuse de la dimension philosophique de l'oeuvre de cet écrivain (dans ce cas, lire d'urgence « dangers de la lecture et remèdes littéraires, 1883-1914 » pour comprendre les enjeux intellectuels d'une lecture enfin nuancée), la cuisine n'en est pas une et les femmes ne sont pas particulièrement visées mais bien tout le genre humain : la tristesse existentielle des femmes n'est qu'un prolongement de celle des hommes et vice-versa. C'est bien de tristesse humaine qu'il s'agit et cette affliction n'est pas coupable.

Traitant avec humour le principe du traité médico-culinaire déjà présent dans l'antiquité et surtout au Moyen Age, ce traité de cuisine d'Héctor Abad Faciolince, comme pour Mayra Santos Febres et son Traité de médecine naturelle pour hommes mélancoliques, reprend cette tradition historique médico-culinaire pour la détourner en genre fictionnel volontairement incertain, combinant antidotes et sortilèges à un vadémécum littéraire et à un journal intime sentimental.

Juxtaposant avec une prose mêlée de fantaisie et de poésie des recettes aux ingrédients improbables avec d'autres plus plausibles, sur un ton d'apothicaire frivole, l'auteur semble proposer à la psychologie féminine de traiter ses maux existentiels. "Semble" seulement. Car ces propositions culinaires ne sont remarquables que pour leur valeur littéraire.



Comme Abad Faciolince le déclare en évoquant le poète anglais qui réclame du musc à l'apothicaire pour parfumer son imagination, l'ambition de ce livre est de soigner la mélancolie du monde par un excès à la fois de raison et de fantaisie : suivre une cure salvatrice de mots, c'est-à-dire opter pour un revigorant excès de littérature.
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La Secrète

Perdue au fin fond d'un coin sylvestre de la Colombie se trouve le domaine de La Secrète. Ana Angel vient de mourir, et grâce au romancier, ce sont ses trois enfants : Antonio, Pilar et Eva, qui nous racontent l'histoire de leur famille, de cet endroit si particulier et à travers ces petites histoires, l'histoire de la naissance de la Colombie moderne.



D'un point de vue narratif, difficile de ne pas remarquer l'admirable travail d'Hector Abad qui a créé trois personnalités bien distinctes, jusque dans le ton et la différence d'écriture. Et chacun de ces ersonnages, à sa façon, est attachant. Bien que ces trois voix soient bien différentes, on sent bien la lourdeur du secret qui pèse sur ces 'confessions'.



C'est un roman très fort et assez complexe que signe ici Abad avec cette Genèse de la Colombie autant que de La Secrète.

Un roman dans lequel le romancier nous parle aussi bien des mythes et utopies ("sociales") du 19ème siècle à l'origine d'une certaine forme d'expansion coloniale vers la " Terre Promise " que de l'appartenance viscérale que chaque individu entretient avec la terre qui l'a vu naître. Et avec la confrontation de la vie au XXIème siècle : le lien nostalgique qui nous unit à cette terre lorsqu'on s'en éloigne.

Il y a dans ces histoires un savant mélange de cohabitation du passé et du présent, comme dans les romans latinos marqués du sceau du réalisme magique, mais ici, la réflexion de l'auteur sur le rapport des individus au temps et à leurs ancêtres (avec les maisons-musées) est tout de même très poussée.



Indubitablement, c'est là l’œuvre d'un grand écrivain.
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L'oubli que nous serons

El olvido que seremos: Une très belle chronique familiale douce-amère, en l'honneur d'un père disparu prématurément; Le père de l'auteur a été assassiné dans les années 80 pour des raisons politiques.

Avec ce livre nous plongeons dans l'enfer de la violence politique colombienne et plus particulièrement à Medellin, où se passe l'action;

Nous y voyons les rites, les coutumes, les clivages sociaux, bien plus forts qu'en Europe.

Le récit est poignant et nous montre l'autre visage de l'Amérique du Sud, plus particulièrement la Colombie.

Héctor Abad est un auteur très connu en Colombie.

Il est né à Medellín (Colombie) en 1958.

Il a été journaliste, romancier, traducteur.

II a fait des études de médecine à Medellín et de lettres modernes à Turin. L'assassinat de son père en 1987 le contraint à vivre en exil pendant plusieurs années.

C'est le premier livre de cet auteur que je lis.

essai encourageant...
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L'oubli que nous serons

« Je crois que la seule raison pour laquelle j’ai pu continuer à écrire toutes ces années, et à envoyer mes écrits à l’impression, c’est que je sais que mon père aurait aimé, plus que quiconque, lire toutes ces pages de moi qu’il ne put lire. Qu’il ne lira jamais. C’est un des paradoxes les plus triste de ma vie : presque tout ce que j’ai écrit, je l’ai écrit pour quelqu’un qui ne peut pas me lire, et ce livre même n’est rien d’autre que la lettre adressée à une ombre. »



Chaque famille a ses drames et ses failles : le bonheur, on le sait, est un sentiment fugace. Bien trop souvent nous n'en avons conscience seulement de façon rétrospective.



L'écrivain colombien Héctor Abad, né en 1958, dans cette magnifique autobiographie, entend rendre justice à la mémoire de son père, assassiné en 1987 par des paramilitaires et à Marta, une de ses cinq soeurs morte prématurément d'un cancer au début des années 1970.



Ils avaient en commun une grande générosité et des talents divers. Le père, professeur de médecine, sans cesse en lutte pour éradiquer les maladies de la misère, à commencer par celles causées par l'absence d'eau potable, avait la réputation d'être un extrémiste de gauche, alors que la vérité était bien plus nuancée. Il menait une existence confortable, était proche politiquement du libéralisme. Mais au final il a payé au prix fort son action en faveur des déshérités.



J'ai rarement lu un témoignage d'amour filial si bien mené. Il est sûrement à la mesure de l'adoration que lui portait son père. Pourtant Héctor Abad ne prétend pas avoir totalement cerné toutes les facettes de cet homme bon. Et d'ailleurs, il laisse volontairement des zones d'ombre à ce qu'il sait. Ce récit est très émouvant, drôle aussi parfois, mais un peu triste au fond : il démontre qu'on n'en a jamais vraiment fini avec la disparition de ceux que nous aimons.



(Je ne remercie pas les éditions folio Gallimard. Mon exemplaire a été imprimé en dépit du bon sens : la pagination est complètement délirante. Et il y a cent bonnes pages répétées pour rien à deux endroits différents et un sommaire qui ne correspond à rien. En fin de compte je pense avoir lu la totalité du livre. Mais probablement pas dans l’ordre voulu par l’auteur…)

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Traité culinaire à l'usage des femmes tristes

Un petit livre léger constitué de plusieurs vignettes qui parlent des maux des femmes.

De l'amour perdu, de l'attente, de la séduction, en passant par le deuil et la jalousie ce livre parle des femmes avec beaucoup de tendresse. Et l'auteur s'adresse à elles avec beaucoup de bienveillance, comme un aîné ou un aïeul. Ce sentiment est bien sûr renforcé par l'aspect recette de grand-mères, sorties d'un grimoire.

Première rencontre avec l'auteur, et certainement pas la dernière car j'ai trouvé sa plume touchante.
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L'oubli que nous serons

La Colombie, Medellin... Des mots qui font venir des images bien diverses : de Pablo Escobar et les cartels de drogues, en passant par Ingrid Betancur et les Farcs, les sicarios ou bien Shakira. Il y a des images de gloire ou d'effroi pour tout le monde.

Pour Héctor Abad , c'est autre chose encore. Loin des images glacées ou sensationnelles des médias, l'auteur a vécu de très près et dans toutes ses dimensions les maux dont souffre la Colombie à travers l'itinéraire de son père médecin bourgeois et militant pour les plus défavorisés qui sera assassiné.



L'Oubli que nous serons (vers empruntés à Borges et retrouvé dans les poches du Docteur Abad) est un livre tout simplement magistral, comme une symphonie où chaque mot tombe juste et résonne chez le lecteur. C'est aussi bien une histoire familiale, que l'histoire d'une transgression, d'un engagement, qu'un portrait de la Colombie et des tournants qu'elle a pris au XXème siècle. D'abord au moment des révolutions du contient, pris entre l'étau des traditions politiques de la vieille Europe et la religion catholique, t plus "récemment" quand les élites conservatrices en col blanc ont chargé l'armée de l'Etat et les guérilleros d'enlever, torturer et tuer toute personne gênante - qu'on aurait pu soupçonner, même très vaguement de penser différemment et donc d'être, potentiellement, un dangereux opposants. Avec ou sans preuve, tant que le soupçon même de menace est éradiqué qu'importe.

Et grâce à ce roman, ces faits historiques ou faits divers deviennent palpables, à travers les destins des voisins du quartier, des collègues ou de la famille Abad. Certaines pages, certains chapitres même, sont tout simplement à couper le souffle et devraient être lu dans les établissements scolaires pour remplacer les blablas bien pensants sur les grandes idées à la mode comme "la violence", "la tolérance", "les inégalités", etc etc



La grande force de cet ouvrage est double : en dehors de sa qualité d'écriture et "informative" disons, l'autre prouve qu'écrire, dénoncer et sensibilser par l'écriture est un acte de résistance, et qu'en faisant revivre des souvenirs d'une personne sur le papier, la littérature a le pouvoir incroyable de pouvoir suspendre le temps.



Une lecture très forte, aussi poignante que touchante.





Challenge multi-défis 2019

Challenge Globe-trotteurs
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Angosta

Angosta est un roman dystopique qui met en scène la capitale de la Colombie soumise à une séparation nette de ses habitants selon leurs différentes classes sociales et origines.

Angosta, ville imaginaire, vit sous le régime de l’Apartamiento. La cité est divisée en trois « sektors » par des check-point depuis une vague d’attentats, d’enlèvements et des massacres massifs.

Jacobo Lince est libraire dans le « secteur T ». Andreas Zuleta, lui, vient d’obtenir un poste à la Fondation Humaine au sein de la même zone. Leur point commun : vivre à l’hôtel La Comédie.

L’intrigue est un peu poussive, c’est plus une suite de portraits baroques de personnages maltraités par le système de castes. L’arrière-plan dystopique et les réflexions qu’il entraîne dans son sillage sont beaucoup plus intéressants. Comment ne pas y voir le reflet de nos sociétés reléguant les pauvres dans des quartiers aux portes des grands centres urbains, ces populations classées et discriminées selon leurs origines sociales ou géographiques. Rien de nouveau sous le soleil, comme dit le proverbe.

Je suis sortie de ce récit triste et un peu amère. Mais l’espoir fait vivre.
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La Secrète

La secrète, qui donne son nom au roman de Hector Abad, est une ferme nichée dans les terres de la région d'Antioquia, au nord-ouest de la Colombie, avec Medellin pour capitale. D'une certaine façon, le livre est celui du pays tout entier depuis la colonisation intérieure, au XIXe siècle, qui rappelle celle des pionniers américains, les indiens en moins, puisque déjà presque totalement décimés. Abad donne à cette saga familiale et rurale une tonalité aussi bien intime, à travers trois monologues qui se succèdent à intervalles réguliers, que historique, embrassant notamment les années de guerre civile, des guérilleros aux paramilitaires. Le procédé narratif fonctionne bien, entre les récits d'un frère exilé aux Etats-Unis et de ces deux soeurs aux caractères dissemblables, l'une plutôt traditionaliste, l'autre plus émancipée et ouverte au monde. Néanmoins, l'auteur n'évite pas les répétitions, les mêmes évènements et l'attachement à La secrète étant contés par ces trois voix à de multiples reprises, sans se soucier de chronologie. Mais le livre fait partie de ceux où l'on se sent bien, nous rendant attentif à chaque bruissement de feuille, aux élans du coeur, à la violence qui surgit en un contraste fort à la quiétude de ce paradis sans cesse menacé. On apprend beaucoup sur le passé de la Colombie et on quitte à regret ses trois personnages principaux, devenus familiers avec leurs doutes, leurs blessures et leurs différences.
Lien : http://cin-phile-m-----tait-..
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L'oubli que nous serons

"Les livres sont un simulacre de souvenir, une prothèse pour se rappeler, une tentative désespérée de rendre un peu plus durable ce qui est irrémédiablement limité."



Présenté par Mario Vargas Llosa, tout récent prix Nobel de littérature, le texte d' Héctor Abad revient sur l’histoire de son père assassiné en 1987 alors qu’il se présentait aux élections municipales à Medellin en Colombie. Un magnifique "hommage à la mémoire et à la vie d’un père exemplaire" !



Livre sur le rapport au père, roman familial, ce livre nous fait aussi découvrir la violence au quotidien en Amérique latine. Poignant à l’extrême, ce livre est un monument élevé par un fils à son père disparu trop tôt ; cependant, rien d’un monument écrasant et intimidant : ce témoignage est empreint de charme et de poésie, de passion et de colère ; il nous révèle un homme passionné et fragile, combatif et convaincu, croyant dur comme fer à la possibilité pour les hommes de modifier le destin de leur pays.

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L'oubli que nous serons

Vingt ans, c'est le temps écoulé entre l'assassinat du père de l'auteur le 25 août 1987 et l'écriture du livre en sa mémoire.



L' ouvrage décrit un homme exceptionnel tant dans sa vie privée : homme chaleureux et aimant, bon époux et bon père de famille (cinq fille et un garçon) que dans sa vie publique, homme engagé, généreux, médecin spécialiste de santé publique.

L'histoire se passe à Medellin en Colombie. Le catholicisme s'impose dans la vie quotidienne puis sera débordé par la violence politique, maffieuse, et les assassinats.



Cet ouvrage comporte des pages intéressantes sur les activités de son père, plaisantes quant il évoque le quotidien de la famille, et les très nombreux grand-parents, oncles, tantes, cousins (souvent membre du clergé ou religieux), d'autres sensibles quant il raconte la mort de sa sœur Martha, et l'assassinat de son père, enfin atterrantes quand il décrit les tortures subies par les détenus politiques, syndicaux et corporatifs.



Bel hommage à un père aimé et aimant.
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