L'inspecteur jeta sa cigarette à demi fumée sur le sol bétonné, tout en s'abstenant de l'écraser. C'était une question de principe. Jamais il n'aurait ne fût-ce que pressé une cigarette dans un cendrier ou passé son bout incadescent sous l'eau. Il évitait en règle générale de détruire sa "lueur".
Posant son café, Kosary proclama:
"On n'aime vraiment qu'une seule fois. Ce n'est pas une question de monogamie mais d'objet. On ne peut manger une pomme qu'une seule fois.
- Il y a beaucoup de gens qui tombent amoureux plusieurs fois, répliqua Lukastik, engageant la discussion alors que ce thème lui paraissait un des pires sujets imaginables.
- Ces gens-là s'enfoncent sans arrêt le doigt dans la gorge pour recracher la pomme. Après quoi ils enfournent de nouveau ce tas de salive, parfois même à moitié digéré, et ils prétendent être tombés amoureux. Quand on pense à toute cette horrible bouillie de pomme remâchée qui s'accumule au cours d'une vie...
La croyance au hasard est une création des Lumières pour nous permettre de remplir lez zones blanches sur la carte de la vie.
- On n'aime vraiment qu'une seule fois. Ce n'est pas une question de monogamie mais d'objet. On ne peut manger une pomme qu'une seule fois.
- Il y a beaucoup de gens qui tombe amoureux plusieurs fois, répliqua Lukastik, engageant la discussion alors que ce thème lui paraissait un des pires sujets imaginables.
- Ces gens là s'enfoncent sans arrêt le doigt dans la gorge pour recracher la pomme. Après quoi ils enfournent à nouveau ce tas plein de salive, parfois même à moitié digéré, et ils prétendent être tombés amoureux. Quand on pense à toute cette horrible bouillie de pomme remâchée qui s'accumule au cours d'une vie...
Elle salua Lukastik avec un regard qui avait quelque chose d'une paire de ciseaux avançant par saccades dans du papier cartonné.
"Quand Jordan passait un chiffon doux et humide sur les surfaces de métal, il pénétrait dans l'âme de sa cuisine. Car il va de soi que les cuisines elles aussi ont une âme, bien plus sûrement que les voitures, les avions ou les crocodiles. Il existe des cuisines qui ont plus d'âme que certains citoyens bornés. Et s'il avait été nécessaire de prouver cette assertion, Jordan aurait sans doute expliqué que non seulement il comprenait sa cuisine, mais que, réciproquement, il sentait aussi qu'elle le comprenait". p.357
Les débuts de livre souffrent d'un grand défaut : il leur manque la musique.
Ce n'est pas comme les films, où le générique est soutenu par une introduction sonore qui agit comme une promesse. Celle-ci ne se réalisera pas forcément, mais elle captive instantanément le spectateur, éveille instantanément en lui de l'excitation, de l'émotion ou de l'étonnement.
Prenez Les Dents de la mer par exemple. Dès le tout premier moment, quand apparaît le globe terrestre des studios Universal, tournant dans l'espace, nous entendons un sonar, encore inoffensif, gazouillant, papotant, mer paisible, sauf que les mers paisibles n'existent pas. Et tout de suite après, lorsque les noms des producteurs s'affichent en lettres blanches toutes simples sur un fond totalement noir, la musique commence, la musique s'approche d'une manière menaçante, et avec elle le grand poisson. On ne le voit pas, mais la caméra semble installée dans ses yeux, elle montre ce qu'il aperçoit, elle le montre se glissant parmi les récifs. En fait on dirait plutôt qu'on emprunte le regard d'un passion-clown, mais premièrement il parait que même ces minuscules bestioles attaquent les plongeurs, et deuxièmement c'est la musique - encore plus forte, encore plus inquiétante, davantage d'instruments, davantage de notes - qui signale sans la moindre équivoque la taille que doit avoir ce poisson et le fait que, dans cette histoire, il n'arrivera rien de bon avant très, très longtemps.
Et quand la musique s'arrête (ou plutôt quand elle se transforme en une rengaine simplette jouée à l'harmonica), la caméra se porte sur une joyeuse bande de jeunes gens qui font la fête tard le soir sur la plage. Aussitôt nous nous demandons lequel d'entre eux se montrera assez bête pour faire plaisir à Steven Spielberg en allant se baigner.
Pourquoi, ne pouvais-je m'empêcher de penser à des poissons? A cause de cette baleine, qui en réalité n'était pas un poisson? Bon, l'univers des associations d'idées aime aussi les erreurs. Tout particulièrement les erreurs.
"Pour être franche, si, très triste, répondit-elle avec nettement moins de sécheresse. Mais je ne rentrerai pas en Allemagne et vous ne viendrez pas vous installer à Tainan. N'est-ce pas? Et nous n'avons pas l'intention d'entretenir une relation épistolaire, est-ce que je me trompe? Alors il vaut mieux rompre au moment où on vit quelques chose de beau et ne pas se mettre à courir après l'impossible".
Il était terrible de penser que l'amour était assujetti à la géographie. Aux nécessités du métier et de l'endroit où l'on vivait. Et que c'était la raison pour laquelle les personnes destinées l'une à l'autre se rencontraient si rarement. Elles épousaient ceux qui travaillaient dans la même entreprise, vivaient dans la même ville, fréquentaient le même cours de danse.
Tout cela sentait décidément la franc maçonnerie. Laquelle était invoquée chaque fois qu'on ne savait plus quoi penser et qu'on se raccrochait à un concept pour essayer de compenser son ignorance.