A l'occasion du salon "Rendez-vous de l'histoire" à Blois, rencontre avec Hela Ouardi autour de son ouvrage "Les califes maudits. Volume 2, A l'ombre des sabres" aux éditions Albin Michel. Rentrée sciences humaines 2019.
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Note de musique : © Scott Holmes
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Finalement, la situation de l’historien n’est pas plus désespérée que celle du mathématicien courant derrière les décimales imprévisibles de pi ou celle du physicien qui, cherchant à capter la matière, ne rencontre que des formes : de même, l’historien ne tient de l’Histoire que sa forme en devenir, c’est-à-dire l’emboîtement infini et toujours en expansion de ses représentations.
Le coup de génie du premier calife est ainsi d’avoir compris avant les autres que l’emprise sur la mémoire collective est la pierre angulaire de l’exercice du pouvoir : le contrôle du Coran et des dits du Prophète constituera, des siècles durant, un outil imparable de domination et de légitimation de l’autorité. Tous les successeurs du premier calife retiendront cette leçon.
La religion est souvent le paravent d’ambitions humaines.
La Tradition, d’habitude si bavarde, si bien informée des moindres détails de la vie du Prophète et de ses Compagnons, devient à ce sujet brusquement amnésique et muette. Pendant plus de deux jours, la scène de l’Histoire se vide soudainement des nombreux acteurs qui s’y agitaient quelques minutes plus tôt. Comme dans une pièce tragique, seul reste au milieu de la scène le corps sans vie d’un homme étendu sur son lit.
La maîtrise de la mémoire est un enjeu de pouvoir qui n’est pas propre à l’histoire de l’islam créant des liens avec un passé présenté comme prestigieux, l’écriture de l’Histoire correspond toujours aux « besoins de légitimation de tout pouvoir politique »
...ces « loups solitaires » sont moins solitaires qu’on ne le croit ; ils sont la partie visible de cet immense iceberg qu’est le conformisme religieux, complice silencieux du crime.
«L'orateur de la tribu est souvent accompagné de poètes dont les vers font le plus grand effet sur l'esprit arabe, très sensible au pouvoir persuasif de l'éloquence et à l'autorité de la parole. Ces vers, repris et diffusés, exercent une influence déterminante sur l'«opinion publique» de l'époque»
En réalité, il faut reconnaître que le peu de fiabilité des informations contenues dans la Tradition vient du fait que son objectif principal n’est pas l’établissement d’une vérité historique au sens contemporain du terme : ces ouvrages sont sous-tendus par des intentions religieuses visant à fonder une histoire sacralisée une “histoire du salut”
Comme aucun document datant des premiers temps de la religion naissante ne nous est parvenu, le motif du texte manqué et celui de l’oubli dans les premiers jours du Prophète reflètent comme en miroir la situation de histographie musulmane elle-même qui s’est formée sur la périphérie du trou noir laissé par le texte absent : au lieu de dissimuler la béance, l’édifice aussi immense que tardif de la Tradition ne fait qu’accentuer les contours de ce vide sidéral laissé par les textes introuvables et les trous de mémoire. Accroché à des chaînes de transmission aussi évanescentes que que les cordes de fumée–mais ô combien résistante–la tradition islamique et comme en apesanteur, suspendue dans le vide à l’image du cercueil flottant de Muhammad. C’est de cet équilibre instable qu’elle tire sa force mais aussi son “insoutenable légèreté” .
«La rumination des haines du passé aura été le canevas sur lequel s'est tissée la négociation politique, inscrivant la division dans le «programme génétique» de la communauté musulmane... Le spectre de la déchirure n'a jamais été conjuré ; il reste là, tapi, à l'état larvaire. Il grandira d'une manière souterraine et éclatera vingt-quatre années plus tard dans une guerre qui divisera irréversiblement les musulmans entre sunnites et shî'ites»