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Bibliographie de Hélène Ahrweiler   (4)Voir plus

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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Au mépris des intérêts de la communauté chrétienne, le 12 avril 1204, les Croisés entrent dans la ville impériale en accomplissant ainsi l'acte qui marque la rupture, mieux vaut dire la déchirure, entre les deux parties de la chrétienté. On comprend que cet événement fut ressenti par ceux qui l'ont vécu, mais aussi par ceux qui l'ont étudié, comme le tournant décisif des destinées de Byzance : les historiens sont unanimes à considérer que l'année 1204 marque la fin de l'Empire universel de Byzance, les Byzantins furent unanimes à penser que l'Occident chrétien, coupable du plus grand sacrilège, c'est-à-dire du pillage du sanctuaire de la chrétienté qu'était Constantinople, était leur seul ennemi, qu'il fallait combattre et abattre pour sauver la nation et la foi : la passion orthodoxe et constantinopolitaine animera la « guerre sainte » des Grecs, des Byzantins dans leur ensemble, contre non pas les Infidèles, les Turcs, mais contre les frères d'hier, les Latins : on s'explique l'opinion solidement ancrée qui veut que les événements de 1204 furent pour le peuple grec aussi décisifs que ceux de 1453.
(...)
Pour les Byzantins la quatrième croisade n'était que la conséquence normale du but poursuivi par toutes les entreprises dites saintes de l'Occident ; elle révéla autrement dit le vrai visage de la croisade en général, et confirma ainsi le Byzantin dans son sentiment que l'Occident à travers la croisade et sous le prétexte de la guerre sainte s'adonnait à une vaste opération de pillage contre le monde de l'Orient sans distinction de race et de religion. Ce sentiment fut singuliè­rement renforcé par la justification qu'a trouvée a posteriori en Occident l'issue de la quatrième croisade.

En effet, malgré quelques réactions manifestées dans les rangs mêmes des Croisés devant le tournant qu'avait pris la croisade, l'homme de l'Occident, tout comme le pape Innocent III, considéra finalement que cette croisade qui avait commencé comme un « tournoi contre le sultan de Babylone (du Caire) » selon les mots de Hughes de Saint-Pol au duc de Louvain, avait atteint un autre but également sacré : la punition des hérétiques, qui selon Robert de Clari, porte-parole du Croisé moyen, étaient des impies et pires que les Juifs. Autrement dit, les soldats de la quatrième croisade avaient réalisé ce que plusieurs demandaient, et depuis longtemps en Occident, à savoir, détruire la Grèce qui, selon une poésie du moine allemand Günther, « était la mère de tous les vices ».
(...)
Quoi qu'il en soit, déviation ou but inavoué de la qua­trième croisade, la prise de Constantinople en 1204 prouva que la grande victime de la guerre sainte de l'Occident fut non pas l'Islam mais l'Empire chrétien d'Orient, Byzance ; et ceci non seulement à cause du pillage de Constantinople, mais surtout à cause des mesures arrêtées par les Croisés juste après la prise de la capitale byzantine; elles se résument en une décision capitale: l'abolition de l’État et de l'Empire byzantins. (pp. 103-106)
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L'origine des sentiments antilatins, dont l'évolution connaîtra des formes violentes, surtout chez le peuple byzantin, se trouve, non point comme on pouvait s'y attendre, dans le schisme de 1054 (ce fut, après tout, une affaire des autorités ecclésiastiques qui passa quasi inaperçue du peuple), mais dans l'agression normande, considérée, à cause des rapports privilégiés des Normands avec le pape, et à cause de sa coïncidence avec les croisades, comme un aspect significatif d'un vaste projet inavoué de la papauté contre le monde orthodoxe. De même, un peu plus tard, la croisade sera considérée par le peuple byzantin comme une entreprise masquant sous des buts vénérables les desseins obscurs des soldats rustres de l'Occident contre l'Empire et ses richesses. Avouons que nous sommes bien loin de la pax christiana, qui fut pourtant pendant un long moment de l'histoire de l'Europe le prolongement de la pax romana, toutes deux exprimées, selon les meilleures traditions de Byzance, par l'effet de la pax byzantina, c'est-à-dire l'ordre de l'Empire des chrétiens d'Orient.

Toujours est-il qu'aux alentours du XII e siècle, le peuple byzantin se reconnaît victime d'une agression concertée du monde occidental dans son ensemble ; entreprise scélérate, sentie par les Byzantins comme une offense contre Dieu, puisqu'elle visait, d'après eux, à la destruction du « Très Chrétien Empire », « de l’État gardé et aimé de Dieu », termes utilisés dans les actes officiels pour désigner l'Empire byzantin, tout au long de sa vie.

De toute façon le conflit de l'Occident et de Byzance, inauguré avec les guerres normandes, qui furent déclenchées à un moment où l'Empire était secoué en Orient par les progrès turcs, fut considéré par les Byzantins comme une preuve de l'impérialisme occidental manifesté dans plusieurs domaines à la fois : impérialisme spirituel, à cause du schisme et de l'hostilité de la papauté, impérialisme militaire et politique, à cause des agissements normands et des effets des croisades qui, ne l'oublions pas, aboutirent non seulement à la libération des Lieux saints, mais aussi à la constitution des États latins en Orient, impérialisme enfin économique, à cause de l'emprise exercée par les marchands occidentaux, notamment les Italiens, non seulement sur le commerce international, résultat justement de la création des États des Croisés, mais aussi sur le marché même de l'Empire. Ce dernier fait, dont les conséquences furent à la longue catastrophiques pour la prospérité de l'Empire et le bien-être de ses citoyens, est encore et d'une manière inattendue, la conséquence de l'agression normande, qui, indiscutablement, marque le tournant décisif dans les rapports entre l'Occident et l'Orient, et dans tous les domaines. (pp. 82-83)
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Fort des liens privilégiés qui unissaient Byzance à Constantin le Grand, reconnu comme son fondateur, Constantin Porphyrogénète [règne de 913 à 959] n'hésita point à fonder une théorie de la noblesse des races, dont la base sera encore la référence à Constantin 1er. Il consacre un chapitre entier du De Administrando Imperio, à ce qu'on peut appeler, sans doute d'une manière un peu exagérée, « l'ordre racial ». Il distingue ainsi des races nobles, moins nobles, et dépourvues de toute noblesse, et ceci sans aucune considération pour les convictions religieuses des peuples, mais uniquement d'après l'ancienneté de leur culture, mesurée par leurs rapports plus ou moins étroits avec Constantin le Grand, c'est-à-dire avec Rome et Constantinople à la fois, c'est-à-dire avec Byzance.

De là à considérer l'histoire du peuple byzantin comme l'histoire de la race noble par excellence, il n'y avait qu'un pas à franchir, qui le fut d'ailleurs rapidement par les historiens et les élites intellectuelles de Byzance. Dans ce but a été aussi développée « la référence biblique », entretenue par l’Église, qui faisait des Byzantins « le nouveau peuple élu » ; disons, à ce propos, que la référence biblique, qui complétait ingénieusement la référence constantinienne et impériale, trouvait un grand écho auprès du peuple byzantin, convaincu de son rôle historique, et solidaire de la politique impérialiste de ses gouvernants. Ce comportement explique les avatars qu'a connus l'idée impérialiste byzantine ; son développement se trouve à l'origine du sentiment collectif de supériorité, du chauvinisme byzantin, qui a pris souvent la forme d'un racisme sui generis, parce que manifesté à l'égard de tout ce qui a été considéré comme étranger par l'ensemble des Byzantins. On constate que des expressions, « race sans honneur et sans dignité », « race corrompue », « race barbare », « peuple fruste et sanguinaire », sont fréquemment utilisées par les Byzantins pour désigner des peuples comme les Bulgares, les Russes et les Francs, caractérisés cependant par la chancellerie impériale, dans les documents qui leur étaient adressés, comme des nations « Très chrétiennes ».

Cette attitude byzantine à l'égard des étrangers, fondée surtout sur la supériorité de la culture grecque, devenue maintenant la source de la civilisation byzantine, marque, nous semble-t-il, une étape importante de l'élaboration de l'idée de nation à Byzance. On peut dire que l'Empire multi-ethnique et multinational qu'était auparavant Byzance a cédé sa place à un Empire gréco-orthodoxe, uniculturel, donc intolérant et intransigeant à l'égard des peuples et des nations mus par des idéaux différents. (pp. 52-52)
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L'image de l'organisation du monde byzantin qui se dégage de l'étude de ces sources, complétées, bien entendu, par des renseignements fournis par 'la littérature byzantine en général, se veut, comme il se doit, le reflet fidèle de l'ordre céleste, avec les anges, les saints, les apôtres et les prophètes entourant le créateur ; autrement dit, chaque groupe et chaque personne tiennent dans le monde byzantin une place précise, un rang dans la pyramide qui aboutit à l'empereur, tout comme la hiérarchie céleste aboutit à Dieu. Nous trouvons ici la parfaite illustration de la place de l'empereur dans le monde byzantin : il est le lieutenant de Dieu sur terre, il est le délégué du Christ; rappelons à cet effet que Constantin VII Porphyrogénète dans son œuvre qui porte le titre significatif de « L'ordre de l'Empire » et qui est' en vérité un traité sur l'ordre aulique et les Cérémonies de la cour, n'hésite point à comparer les patrices et les magistres de l'Empire aux apôtres et l'empereur, toute proportion ,gardée, comme il le note lui-même dans un élan de modestie, au Christ lui-même. Il est facile d'imaginer les conséquences de cette conviction sur l'idéologie impériale, mais aussi sur l'ensemble des mentalités byzantines, nourries par le principe des rapports privilégiés de leur état avec Dieu et son ordre : les qualificatifs utilisés pour désigner l'empereur et l’État byzantin en témoignent : l'empereur est « l'élu, l'aimé, le choisi de Dieu », l’État est « le pouvoir gardé, protégé et garanti par Dieu », pour ne citer que quelques-uns des titres officiels réservés aux « très saints et très chrétiens » empereurs de Byzance et à leur « très pieux État ».


Cette situation conduit à deux constatations importantes pour la vie politique et sociale de l'Empire byzantin, et par conséquent pour l'étude de ses idéologies : on comprend en premier lieu que l'ordre impérial, dans toutes les acceptions de ce terme, ne peut être renversé puisqu'il reflète l'ordre céleste et découle de la volonté divine ; et en second lieu, puisque aussi bien l'ordre se concrétise dans une hiérarchie rigoureuse, les échelons de la pyramide qui en découlent sont tous commandés par le sommet, en l'occurrence par l'empereur, maître suprême de l’État et de la société, mais aussi du monde, puisque représentant de Dieu sur terre. On explique ainsi le qualificatif de Cosmocrator (maître du monde, du cosmos), et l'autre plus surprenant encore, de Chronocrator (maître du temps) attribués à l'empereur byzantin, le qualificatif de Pantocrator (maître de l'univers) étant réservé au Christ. (pp. 137-139)
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Le règne de Théodose 1er marque un tournant dans l'histoire du nouvel Empire, qui l'éloigne des traditions romaines : je pense à la rupture brutale avec le paganisme, résultant des mesures ordonnées par cet empereur. En effet sous Théodose, le christianisme devient religion d’état, des mesures, qui ont pris souvent le caractère de vraies persécutions, furent arrêtées contre les païens, le silence fut imposé à l'oracle de Delphes, les jeux Olympiques et les mystères d’Éleusis furent interdits, les temples furent saccagés par les chrétiens, les prêtres païens durent comme l'écrit, non sans une certaine amertume, Libanius, « se taire ou mourir ».

Dorénavant, est citoyen de l'Empire romain, celui qui embrasse la vraie foi, établie par les conciles œcuméniques de Nicée (325) et de Constantinople (381) : indigène ou étranger, européen, asiate ou africain (l'Empire englobe en effet, autour de la Méditerranée, des territoires situés sur ces trois continents), il suffit d'être chrétien pour avoir accès à tous les postes de l'administration impériale et au trône même. Le IVe siècle qui vit la dure opération que l'Empire s'imposa pour se façonner le visage qui lui permettrait de vivre une nouvelle vie, s'achève sur le triomphe du christianisme. L'Antiquité et son esprit humaniste et tolérant sont définitivement révolus : l'Empire romain cède sa place à l'Empire byzantin, tandis que le monde occidental pénètre dans une nouvelle ère de son histoire dominée, comme l'a écrit Gibbon, par « la religion et le barbarisme ». (pp. 14-15)
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