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Critiques de Hélène Cardona (5)
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La Vie Suspendue

La vie suspendue aux lèvres de l’invisible, recension de Gabriel Arnou-Laujeac



Sarasvatī, la déesse de la connaissance, des arts et de la parole, semble avoir doté Hélène Cardona de bien des grâces : actrice et scénariste, elle a notamment joué dans des films de Lasse Hallström ou Lawrence Kasdan et, dernièrement, dans "Haunting Charles Manson" de Mick Davis ; pianiste, elle a obtenu un prix du Conservatoire de Musique de Genève ; danseuse de haut niveau, elle a longtemps pratiqué l’art classique du ballet ; sextilingue, elle a notamment traduit Rimbaud, Baudelaire, Walt Whitman, René Depestre et son père, le poète d'Ibiza José Manuel Cardona ; diplômée en philologie et en littérature (Cambridge), auteure d’une thèse sur Henry James (Sorbonne), elle est également diplômée de l’Académie des Arts dramatiques de New-York.



Mais Hélène Cardona est aussi et, disons-le, avant tout poète. A propos du précédent recueil d'Hélène Cardona, mon ami philosophe Michel Cazenave avait estimé que l’« on voit bien là que la fine pointe de la culture n’assèche pas l’esprit et ne débouche pas forcément, comme on voudrait trop nous le faire croire, sur un scepticisme généralisé - mais que c’est au contraire, parfois, et comme c’est ici le cas, une ouverture à ce qui nous transcende et nous appelle dans l’espace de nos nuits [1] ». On ne saurait mieux exprimer cette dimension spirituelle qui habite la poésie d’Hélène Cardona et nous la rend rare et précieuse. Rare, car la poésie d’Hélène Cardona souffle à rebours de l’air du temps ; elle se situe à contre-courant de la production littéraire que le psychiatre Carl Gustav Jung qualifiait de « poésie névrotique », centrée sur les états d’âme obsessionnels de l’auteur, les replis les plus crasses de l’âme humaine, l’apparente absurdité de l’existence que cette forme de « poésie » ne fait mine, au mieux, de rejeter que pour mieux l’embrasser. Précieuse, car, plus que jamais, la poésie a besoin de serviteurs inspirés, inspirants, dont le regard porte au-delà du visible, sachant que « la lucidité, prévient Gustave Thibon, est le pire des aveuglements si l'on ne voit rien au-delà de ce qu'on voit : le visible amputé de l’invisible n’est que le masque du néant. »



Le dernier recueil bilingue d’Hélène Cardona, Life in supension / La vie suspendue, récemment paru aux éditions Salmon Poetry, s’inscrit précisément dans cet élan visionnaire où la poésie voit et donne à voir au-delà des apparences trompeuses, dans une tentative de communiquer ce qui se situe au-delà du langage, car, ainsi que le murmure le poème « Basse altitude » :



« Certaines choses sont trop sacrées

pour être dites »



La vie suspendue est un recueil généreux, un chant d’amour exigeant, un hymne à la bonté et à la beauté ; non pas cette beauté fugace des apparences, mais l’exacte et durable beauté qui permet de connaître la Différence dont elle est le signe — jaillie tel un reliquaire des mains de l’orfèvre sous la forme d’un joyau longuement martelé, de même que les épreuves de l’existence et le temps façonnent et grandissent ceux qui savent, comme l’auteure, transformer le plomb en or, « les tempêtes intérieures » en détachement spirituel envers tout ce qui est relatif et limité, en gardant « l’esprit résolument tourné vers l’infini », « même si tout semble perdu » :



« J’ai saisi l’épée, l’ai couchée sur le lit

et j’ai dit je m’en vais.

A cheval, sous la pluie, je bénis le passé. »



Au fil des pages, les mots d’Hélène Cardona offrent un vibrante célébration du jaillissement irrépressible de la vie, de la nature (« …le long des falaises étourdissantes, le vent celte m’ensorcelle »), de éléments (« Je sens le vent à travers mes cheveux / m’aimer comme jamais ») et, en substrat, d’un bout à l’autre du recueil, une poignant hommage de à mère disparue — ombre aimante de l’enfance—, omniprésente dans ce recueil :



« Pour la première fois depuis son abrupt départ

des monastères sculptés en haut des rochers défient soleils

et cieux en droite ligne jusqu’à Dieu

trident ancré dans l’Egée.

(…)

Nous ne faisions qu’une.»



Ou encore :



« Nous sommes, ma mère et moi, deux cygnes entrelacés

(…)

La mise en scène est d’ordre divin. »



Au fond, La Vie Suspendue est, essentiellement, l’expression d’une vie d’artiste suspendue aux lèvres de l’invisible, au souffle divin et à l’unité la plus profonde de l’Homme, du cosmos et de la Cause première — nécessairement incréée, nous tomberions sinon dans l’écueil du regressus ad infinitum —, qui dépasse et résout l’apparente dualité inhérente à toute existence humaine.



Finalement, ce nouveau recueil d’Hélène Cardona n’est rien de moins qu’authentique poésie, « car la poésie, observe Fray Louis de Léon, n’est rien d’autre qu’une communication du souffle céleste et divin. »



(1) critique de M. Cazenave parue dans "Recours au poème".



Recension partiellement parue dans la revue "La cause littéraire" : http://www.lacauselitteraire.fr/life-in-suspensionla-vie-suspendue-helene-cardona


Lien : http://www.lacauselitteraire..
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Le songe de mes ames animales



La poésie d’ Hélène Cardona s’inscrit dans une filiation affective et familiale, son père José Manuel Cardona est lui aussi poète ; C’est une poésie portée par des langues, l’espagnol la langue paternelle, le français langue du pays où elle a passé son enfance et l’anglais, Hélène vit aujourd’hui aux États – Unis. Trilingue, Hélène Cardona est aussi traductrice de recueils de poésie, elle publie en revues et a fait paraître des poèmes dans des anthologies.



Les poèmes de ce recueil Life in suspension ont d’abord été écrits en anglais, puis traduits en français ; la résonance en ce recueil des 2 versions ajoute à la force poétique de l’ensemble.



Le poème qui ouvre le recueil est pour Kitty, la mère, « l’ange aux senteurs de mon enfance », trop tôt disparue et toujours si présente…

L’absence, si elle fait naître le tristesse, thème du deuxième poème, est source d’apprentissage, la tristesse est un joyau à ciseler, elle peut être bijou à porter et peut paradoxalement embellir la vie !... Dépasser la souffrance, la regarder avec amour pour renaître, en poésie…

Car étrangement, l’ange maternel est aussi Ceridwen la magicienne celtique qui peut dispenser la potion de la connaissance et de la sagesse et donc donner naissance au poète, Ceridwen : « lumière » à « l’âme en bordure des ténèbres » « mystérieuse » « insaisissable » ; elle est l’initiatrice des mots. Elle est celle qui invite à la cérémonie druidique pour que reviennent les souvenirs livrés en offrandes. Hélène Cardona est de plusieurs terres, son enfance a traversé plusieurs pays, la France, l’Italie, l’Allemagne, la Suisse, le Pays de Galles, la Californie ; elle a été bercée par plusieurs langues.

Le long poème La vie suspendue proche de la prose poétique,aux accents autobiographiques, donne le titre au recueil , c’est d’une vie vécue pleinement, mais « suspendue » aux souvenirs dont se fait écho le recueil.

Cette première partie du recueil illustre bien la citation de Carl Sagan qui ouvre le dernier poème de cette partie : « Un chant d’amour lancé dans les profondeurs de l’immensité ». Le pantoum est la forme choisie pour celui-ci : Pantoum d’Ouranoupolis, cette forme dont certains vers se répètent, rappelle le chant et donne rythme au poème. « Vivre c’est défier la douleur » et la chanter.



La partie 2 s’ouvre donc sur l’espoir, la confiance, grâce au souvenir de la mère ou d’un dieu à peine nommé qui peut illuminer la vie. Il semble bien que la poésie tisse le lien entre la terre et le ciel, par la fenêtre entrouverte entrent les anges. L’univers tout entier appelle alors à la prière.

Les vers libres de poèmes tantôt brefs, tantôt plus longs, suivent le souffle qui se déploie au rythme des sentiments, des sensations. Parfois, la structure du poème adopte une forme fixe, le quatrain comme dans le poème Rituel, constitué de 5 quatrains, ou le tercet comme dans le poème Galahad ; le rythme se fait alors plus régulier et convient mieux à des poèmes plus méditatifs qui font penser à des ballades celtes, alliant tradition et modernité. L’univers ouvre au mystère, la magie de la nature opère. L’Esprit de la Nature apaise, réconcilie. La poète ne devient-elle pas alors fée ou magicienne, telle Viviane sortie de son lac. Autant de poèmes qui ont leurs sources dans la mythologie celtique d’avant le christianisme.

Il y a en cette partie une quête de sens, une interrogation constante, la chrysalide a du mal à devenir papillon, à prendre son envol et donc à devenir libre !

Si le dernier poème de la partie 1 était teinté d’espoir, le dernier de la partie 2 résonne plus tristement.



La partie 3 s’ouvre sur une image surprenante, deux cygnes « enlacés » « enchassés » ; cette image est un héritage symbolique, le cygne est le symbole de chant et de mort, de pureté aussi. Nombreux étaient à l’époque féodale, les chevaliers qui firent de cet oiseau leur emblème. Ce cygne, symbole aussi de la lumière et de l’amour éternel ce que rappelle le premier quatrain du poème qui ouvre cette troisième partie : « notre attachement est éternel ».

Ces poèmes qui prennent des oiseaux comme symboles des voyages et de la quête d’une promesse, d’un nouvel envol, d’un nouveau départ, ont des accents mallarméens :

« Tel un fou aux pieds bleus volant

………………..

je voyage……………

……………………..

J’ai foi que je trouverai ce qu’il me faut

……………………

La promesse d’un nouveau départ

un sanctuaire bâti par Dieu, un coin juste pour nous

avec des oies sauvages et des roseaux en abondance. »



En lisant ces vers comment ne pas penser à ceux de Mallarmé :

« fuir ! là-bas fuir !

Je sens que les oiseaux sont ivres

d’être parmi l’écume inconnue et les cieux. » (Brise marine)



La vie d’Hélène Cardona a été traversée par la mort, celle de la mère, cette absente magicienne, prêtresse du temps et de l’espace, est-ce pour la rejoindre que le monde se fait onirique, fantasmagorique, apocalyptique ou chamanique ; pour entrer de l’autre côté du miroir et peut-être avoir un aperçu de cet autre monde « aux confins de l’esprit ».



Deux artistes qui produisent entre ombre et lumière, Klimt et Giacometti, ouvrent la dernière partie.

La poésie d’Hélène comme les œuvres de ces artistes s’écrit entre symbolisme et effacement, la créativité poétique, « trait de lumière », oscille entre croyance et magie, entre ignorance et connaissance, en quête de rituels magico religieux, évoquant la figure de Lillith, la Lune noire, figure obscure voire démoniaque et pas seulement pour les enfants…des poèmes comme des incantations séductrices pour fusionner entre réel et irréel.

L’esprit habite tous les éléments de la nature, une Nature divinisée où les bouleaux se font temples quand l’âme habite tout l’espace et que dans le souffle du vent, c’est le souffle de la mère ou « les voix ancestrales qui apaisent et soulagent le chagrin ».

En cette dernière partie, la poésie se fait danse rituelle pour exorciser la mort. Mais, il n’y a pas d’apaisement, le monde n’est pas sacré, il est magique, il envoûte, il jette un sort, emprisonne et laisse encore plus dans le doute et l’interrogation. L’absence reste lourde et entière. La voie empruntée ne permet pas d’atteindre la quiétude, même si elle libère une parole poétique qui seule peut apaiser…

Ghislaine Lejard

Note de lecture parue dans la revue littéraire le Capital des Mots
Lien : http://www.le-capital-des-mo..
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La Vie Suspendue



La poésie d’ Hélène Cardona s’inscrit dans une filiation affective et familiale, son père José Manuel Cardona est lui aussi poète ; C’est une poésie portée par des langues, l’espagnol la langue paternelle, le français langue du pays où elle a passé son enfance et l’anglais, Hélène vit aujourd’hui aux États – Unis. Trilingue, Hélène Cardona est aussi traductrice de recueils de poésie, elle publie en revues et a fait paraître des poèmes dans des anthologies.



Les poèmes de ce recueil Life in suspension ont d’abord été écrits en anglais, puis traduits en français ; la résonance en ce recueil des 2 versions ajoute à la force poétique de l’ensemble.



Le poème qui ouvre le recueil est pour Kitty, la mère, « l’ange aux senteurs de mon enfance », trop tôt disparue et toujours si présente…

L’absence, si elle fait naître le tristesse, thème du deuxième poème, est source d’apprentissage, la tristesse est un joyau à ciseler, elle peut être bijou à porter et peut paradoxalement embellir la vie !... Dépasser la souffrance, la regarder avec amour pour renaître, en poésie…

Car étrangement, l’ange maternel est aussi Ceridwen la magicienne celtique qui peut dispenser la potion de la connaissance et de la sagesse et donc donner naissance au poète, Ceridwen : « lumière » à « l’âme en bordure des ténèbres » « mystérieuse » « insaisissable » ; elle est l’initiatrice des mots. Elle est celle qui invite à la cérémonie druidique pour que reviennent les souvenirs livrés en offrandes. Hélène Cardona est de plusieurs terres, son enfance a traversé plusieurs pays, la France, l’Italie, l’Allemagne, la Suisse, le Pays de Galles, la Californie ; elle a été bercée par plusieurs langues.

Le long poème La vie suspendue proche de la prose poétique,aux accents autobiographiques, donne le titre au recueil , c’est d’une vie vécue pleinement, mais « suspendue » aux souvenirs dont se fait écho le recueil.

Cette première partie du recueil illustre bien la citation de Carl Sagan qui ouvre le dernier poème de cette partie : « Un chant d’amour lancé dans les profondeurs de l’immensité ». Le pantoum est la forme choisie pour celui-ci : Pantoum d’Ouranoupolis, cette forme dont certains vers se répètent, rappelle le chant et donne rythme au poème. « Vivre c’est défier la douleur » et la chanter.



La partie 2 s’ouvre donc sur l’espoir, la confiance, grâce au souvenir de la mère ou d’un dieu à peine nommé qui peut illuminer la vie. Il semble bien que la poésie tisse le lien entre la terre et le ciel, par la fenêtre entrouverte entrent les anges. L’univers tout entier appelle alors à la prière.

Les vers libres de poèmes tantôt brefs, tantôt plus longs, suivent le souffle qui se déploie au rythme des sentiments, des sensations. Parfois, la structure du poème adopte une forme fixe, le quatrain comme dans le poème Rituel, constitué de 5 quatrains, ou le tercet comme dans le poème Galahad ; le rythme se fait alors plus régulier et convient mieux à des poèmes plus méditatifs qui font penser à des ballades celtes, alliant tradition et modernité. L’univers ouvre au mystère, la magie de la nature opère. L’Esprit de la Nature apaise, réconcilie. La poète ne devient-elle pas alors fée ou magicienne, telle Viviane sortie de son lac. Autant de poèmes qui ont leurs sources dans la mythologie celtique d’avant le christianisme.

Il y a en cette partie une quête de sens, une interrogation constante, la chrysalide a du mal à devenir papillon, à prendre son envol et donc à devenir libre !

Si le dernier poème de la partie 1 était teinté d’espoir, le dernier de la partie 2 résonne plus tristement.



La partie 3 s’ouvre sur une image surprenante, deux cygnes « enlacés » « enchassés » ; cette image est un héritage symbolique, le cygne est le symbole de chant et de mort, de pureté aussi. Nombreux étaient à l’époque féodale, les chevaliers qui firent de cet oiseau leur emblème. Ce cygne, symbole aussi de la lumière et de l’amour éternel ce que rappelle le premier quatrain du poème qui ouvre cette troisième partie : « notre attachement est éternel ».

Ces poèmes qui prennent des oiseaux comme symboles des voyages et de la quête d’une promesse, d’un nouvel envol, d’un nouveau départ, ont des accents mallarméens :

« Tel un fou aux pieds bleus volant

………………..

je voyage……………

……………………..

J’ai foi que je trouverai ce qu’il me faut

……………………

La promesse d’un nouveau départ

un sanctuaire bâti par Dieu, un coin juste pour nous

avec des oies sauvages et des roseaux en abondance. »



En lisant ces vers comment ne pas penser à ceux de Mallarmé :

« fuir ! là-bas fuir !

Je sens que les oiseaux sont ivres

d’être parmi l’écume inconnue et les cieux. » (Brise marine)



La vie d’Hélène Cardona a été traversée par la mort, celle de la mère, cette absente magicienne, prêtresse du temps et de l’espace, est-ce pour la rejoindre que le monde se fait onirique, fantasmagorique, apocalyptique ou chamanique ; pour entrer de l’autre côté du miroir et peut-être avoir un aperçu de cet autre monde « aux confins de l’esprit ».



Deux artistes qui produisent entre ombre et lumière, Klimt et Giacometti, ouvrent la dernière partie.

La poésie d’Hélène comme les œuvres de ces artistes s’écrit entre symbolisme et effacement, la créativité poétique, « trait de lumière », oscille entre croyance et magie, entre ignorance et connaissance, en quête de rituels magico religieux, évoquant la figure de Lillith, la Lune noire, figure obscure voire démoniaque et pas seulement pour les enfants…des poèmes comme des incantations séductrices pour fusionner entre réel et irréel.

L’esprit habite tous les éléments de la nature, une Nature divinisée où les bouleaux se font temples quand l’âme habite tout l’espace et que dans le souffle du vent, c’est le souffle de la mère ou « les voix ancestrales qui apaisent et soulagent le chagrin ».

En cette dernière partie, la poésie se fait danse rituelle pour exorciser la mort. Mais, il n’y a pas d’apaisement, le monde n’est pas sacré, il est magique, il envoûte, il jette un sort, emprisonne et laisse encore plus dans le doute et l’interrogation. L’absence reste lourde et entière. La voie empruntée ne permet pas d’atteindre la quiétude, même si elle libère une parole poétique qui seule peut apaiser…

Ghislaine Lejard

http://www.le-capital-des-mots.fr/

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Le songe de mes ames animales

Notre relation au monde



par : Michel Cazenave





J’avoue très humblement que, jusqu’à ce que Gabriel Arnou-Laujeac, l’auteur de « Plus loin qu’ailleurs », me fasse connaître ses derniers poèmes, je n’avais jamais entendu parler d’Hélène Cardona. Mais, à vrai dire, comment connaître l’œuvre de tout le monde ? Tâche impossible, même dans un milieu restreint comme, aujourd’hui, celui de la poésie…



Et je dois à la vérité de dire que j’ai été ébloui par le recueil que je découvrais de la sorte : « Dreaming my Animal Selves » - ou en français (puisque le recueil édité est bilingue) : « Le Songe de mes Ames Animales ». Que j’aurais plutôt traduit quant à moi par : « Rêvant mes Sois animaux ». Car peut-on vraiment avancer que le Self (le « Soi », tiré des Upanishads, et particulièrement de la Chandogya) et l’Ame soient réellement la même chose ? Ou l’Ame n’est-elle pas le réceptacle naturel pour la manifestation de ce Soi divin et cosmique ?



Mais ce n’est là, je le sais bien, que broutilles… Et quel émerveillement, à travers des songes qui touchent de si près au chamanisme, que de ressentir en ces mots l’unité la plus profonde du cosmos, et cette expansion de la conscience (une conscience née, selon Jung, de l’Inconscient collectif - autrement dit, et il l’avoue à la toute fin de sa vie, du nom moderne que nous donnons à l’Ame du Monde des Anciens), cette expansion de la conscience qui permet d’accéder à la découverte vivante de cette même unité !



Est-ce pour rien, de ce point de vue, que l’auteure conclut son avant dernier poème (« Diapositives de pensées »), par ces quelques mots :







« …soulagée de ne plus être hantée,

D’être simplement la substance du cosmos »,







et termine son recueil (« Harmonies parallèles »), par cette phrase indubitable :







« Nous mûrissons musicalement

Couverts de fleurs de cerisier

variation divine,

conscience en quête d’expansion » ?







Hélène Cardona, outre tous ses diplômes universitaires, et les langues vivantes qu’elle parle couramment, est extrêmement cultivée : qui d’autre, de nos jours, oserait mettre en exergue à sa « production », des extraits de Rumi, de Dickinson, de Gibran ou de Rilke ? Mais on voit bien là que la fine pointe de la culture n’assèche pas l’esprit et ne débouche pas forcément, comme on voudrait trop nous le faire croire, sur un scepticisme généralisé - mais que c’est au contraire, parfois, et comme c’est ici le cas, une ouverture à ce qui nous transcende et nous appelle dans l’espace de nos nuits.



Mais peut-être, dois-je ajouter, l’origine multiculturelle de Cardona (irlandaise, grecque et espagnole), de même que son amour sans partage pour la musique, n’y sont pas totalement étrangers ?
Lien : http://www.recoursaupoeme.fr..
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La Vie Suspendue

Hélène Cardona : Musica eterna

Critique de Dana Shishmanian sur Francopolis



En guise d'introduction…



Pour la compréhension du lecteur, il faut dire avant tout que ces poèmes, comme l'auteure le dévoile dans une note sur la page de garde du volume, ont été écrits en anglais, et traduits ensuite en français par la poète elle-même. Or, il y a une brève préface de Richard Wilbur (récipiendaire de deux prix Pulitzer) qui remarque, de manière très révélatrice :



« Yet for such a many-languaged mind as hers, the "translations" must have been there from beginning. Seems, in any case, that each poem fully exists in two tongues at once, and this adds to the book's great charm and visionary quality ».



En effet, c'est bien ce qu'on ressent, « chaque poème existe pleinement dans les deux langues à la fois » – mais plus encore. L'être du poème, unique, possède en même temps une ubiquité native qui le fait vivre simultanément dans tout règne de la nature ou de la pensée, de même qu'il vit dans toute langue : on dirait que l'écriture est, comme la poète le dit dans un vers clé, une « identité à double fond » - en fait, à multiple niveaux de profondeur sémantique et à plusieurs dimensions de représentation : une « partition de magicien » qui surgit sans cesse de partout et dans toutes les directions... « telle une eau venant de jaillir des mains » (Musica eterna, p. 82).



Chez Hélène Cardona, en particulier, cette qualité extrême qui rend si naturelle la « traduction », comme une circulation génuine entre les règnes de la parole, s'associe à une autre, tenant à l'être-sujet et non seulement au poème : l'existence elle-même et l'univers en entier sont ressentis comme une magie perpétuelle qui fait alterner les expériences de l'hyperéveil et du songe, et confère à l'esprit poétique qui les vit une portée chamanique. En voici quelques exemples :



Je suis en symbiose avec mes os.

La richesse de l'espace et sa densité me ravissent,

Me transportent, me font osciller, vibrer. Je deviens le son de cloches tibétaines, écho flottant dans le cosmos.

Je perçois le monde entier, la vie suspendue. (La vie suspendue, p. 28)



Te souviens-tu

quand tu étais aigle et moi jaguar,

quand nous étions deux dauphins s'embrassant

ou des couguars sous la pluie

si bien que maintenant nous ne pouvons nous distinguer

l'un de l'autre, nos cellules enchâssées

dans une tapisserie de vies partagées ? (Le temps retrouvé, p. 58)



Je comprends la nature des plantes,

je sais vivre du terroir et de la pluie.

Avant, j'étais fleur.

J'aime devenir animal,

dévorer qui j'étais.

La terre ne me trahit jamais. (La pensée Divine est surprenante, p. 68)



Innovant, je me fais loup

Puis cheval fusionnant en léopard,

Je retrouve ma meute au museau excentrique

Bondissant dans le monde.

Un cheval fusionnant en léopard,

La gratitude frappe à ma porte, fait fondre l'armure,

Bondit dans le monde,

Maîtresse du temps et de l'espace. (Patience, p. 76)



Je suis née avec Lilith, la Lune noire,

Messager et Guerrier côte à côte.

(…) Dès que mon souffle

Épouse les battements de mon coeur,

J'habite des mondes inconnus. (L'Univers Stupéfait, p. 94)



Ainsi donc, armée d'oreilles léopardines,

Entends-je au-delà des limites du son,

L'ineffable, le sublime, le souffle de ma mère,

Le sourire de ma grand-mère, les voix

Ancestrales qui apaisent et soulagent le chagrin.

(En quête d'immortalité bienveillante, p. 98)

De cette empathie universelle naissent de vastes envolées mystiques, une poésie de grand large, d'ascension – mais aussi de plongée à « basse altitude » comme sous la peau d'une réalité apparente… Une poésie spirituelle et sensuelle en même temps, où rien n'est rejeté, tout est instantanément senti, compris, transformé, transfiguré : c'est l'éternel devenir perçu comme âme du monde, chimère multiforme portant l'esprit poétique, comme sur des vagues extatiques, à l'apogée du mouvement, le projetant au zénith, tel un aigle, ou un ange... « L'univers ne peut résister à un tel poète. »

Dana Shishmanian



Une maison navire



Je vis dans une maison navire

tantôt sur terre, tantôt sur mer.

J'existe à coups de volonté

m'abandonne et invite la grâce du ciel.

J'obéis à l'appel de la sirène.

Sur le bateau fantôme

Je ne sais si je suis vague

ou nuage, ondine ou goéland.

Fouettée par les vents, je m'agrippe bien au mât.

Rares sont ceux qui reviennent du voyage.

Désormais j'ai pour habit la mémoire du néant

une pièce de voile blanche en guise de seconde peau. (p. 36)



Aigle



Sur le mur du temps à venir

une fenêtre apparaît.



Je l'ouvre, laisse entrer les anges.



Le vortex logé dans son oeil

me fait tournoyer hors de mon être,

l'infini contenu dans son iris bleu

se referme sur moi, me saisit



sous la forme d'un aigle, réveille

d'anciennes cicatrices, engloutit

et l'espace et l'amour pour s'évanouir

en un divin silence.



L'univers ne peut résister

à un tel poète. (p. 50)



Un Esprit comme l'Éclair



Les étoiles griffonnent dans nos yeux les sagas glaciales,

Les chants embrasés de l'espace inconquis. – Hart Crane



Sans pesanteur

je vole en éclats,

en mille morceaux scintillants –

étoiles échues, collisions de lumières –

je métamorphose tout.

Je le proclame être océan, mercure, reflets

d'argent, contes de fées, fascinée.

Cette singulière atmosphère séduit,

modifie nos consciences,

renouvelle nos sangs et

les fait monter à la tête.

Laisse ton prochain horizon t'appeler,

esprit-éclair, poète prospère,

duelliste sans combat,

dans l'étreinte du lac, à son écoute. (p. 60)



Chrysalide



Nous avons reçu un coeur pour partage,

merveilleux calice à savourer.

Je me déchire de l'intérieur,

chrysalide ouvrant mes ailes,

garnie de créatures marines,

digue prête à se fendre.

Les cycles éoliens carillonnent,

ineffable dévotion, réconfort de l'âme.

Je cherche d'anciens remèdes, à l'affût d'un serpent

déroulé le long de mon épine dorsale et sa tête

surplombant la mienne pour me guider, demi-lune

pendue dans le ciel pour calmer mon esprit loquace.

L'énergie pure, joyau surgi du néant,

serpente en émoi cosmique,

séduisante métamorphose dissipant les obstacles (p. 62)



Tambours distants



Dans le vide sacré j'habite

la partie ancienne de la psyché.



La sagesse – cette femme débridée,

soeur des océans, en symbiose avec leurs forces

amniotiques – observe le monde au lieu de penser,

enfantine, émerveillée, alors que l'esprit,

tel l'artisan, mûrit en quête de mémoire émotive.



Il n'y a rien à faire.

J'oscille telle l'herbe dans le courant de l'eau,

mi-poisson pourfendant les rayons verts pourpres.

Suis le cours du fleuve, le coeur à nu,

protégé, l'amour un absolu auquel je n'échappe pas.



Abandonne toute illusion tandis que les vents dispersent

les partitions de musique parmi les fraisiers en fleurs. (p. 102)



Envoûtée



Endors-toi à l'orée du lac

ce soir, sans frontières, comme une fée.

Je suis le chant de l'aigle, l'appel, lumière

défiant la pesanteur, celle avec qui tu cueilleras

les étoiles, l'erreur sur la personne, larmes

transformées en poissons dans l'air, force

qui propulse vers l'avant, proclame

qui je suis avec un passeport divin, une volonté

explosive, des mots en guise de balles. Je t'offre

tout : poussières d'étoiles, silence, la grâce espiègle

et les flûtes comme le vent –

malicieuse, convenable ou pas, extirpée

hors de moi-même dans le sortilège.

J'exige l'impensable.

Je me déplace si vite, essoufflée, délicate

création. Je marche à quatre pattes,

étirée, ni humaine ni animale,

créature que seule la magie dévoile. (p. 106)





Hélène Cardona, extraits de la Vie Suspendue



Recherché Dana Shishmanian

Avril 2017








Lien : http://www.francopolis.net/l..
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