« On écrit toujours avec une main coupée »
Selon Hélène Cixous, l'écriture ne renvoie pas à un statut ni à une profession, mais à un acte : aussi écrit-elle en collaboration avec les voix qui l'habitent et la traversent. Dans cette perspective on peut à bon droit reprendre la formule par laquelle elle titre une séance de son séminaire : « On écrit toujours avec une main coupée». Ces ouvrages nous confrontent en effet au mouvement même de la vie et de la mort, à la joute entre Eros et Thanatos, au commerce des vivants et des morts. Ils équivalent à bien des égards à « sentir, penser, écrire avec les fantômes ». D'autant qu'à travers eux se déploie un continuel et profond questionnement : qui parle, qui écrit quand « j »'écrit ? On comprend dès lors que, dans ces conditions, Hélène Cixous soutienne : « Transformer sa pensée en poème, parce que c'est cela écrire ».
Première table ronde :
- M. Marc Goldschmit, Directeur de programme au Collège international de philosophie : « Derrida, l'écriture, la littérature » ;
- Mme Marie-Claude Bergouignan, PR émérite, ancienne VP de l'université de Bordeaux IV: "Hélène Cixous et la cause des femmes" ;
- Mme Céline Largier-Vié, MCF Paris 3 : « 'Une présence incalculable' : l'Allemagne d'Hélène Cixous ».
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Note de musique : © mollat
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Un manuscrit, c'est un territoire fabuleux dans lequel se dirige un guide disparu, l'auteur. Lire un manuscrit, c'est avoir une main dans sa main. C'est charnel, c'est irremplaçable.
« L'auteur », c'est-à-dire l'esclave de ces nocturnales qui plus tard arrêterait de fuir le scandale et s'avouerait vaincue, en mon nom, était comme le Chien à demi-enfoui de Goya. Ce Chien, je ne l'avais jamais vu avant, ce demi-Chien (qui jadis au temps des Choses était plutôt à demi-écureuil mais que j'ai reconnu dans le demi-chien), il est resté à mi-chemin de vie et mort de terre et ciel dans un orage d'ocres déversés par Goya dans l'embrasure d'un néant, à Madrid, dès que je l'ai vu, le jour où je l'ai vu, c'était moi, ce jour-là sans hésitation, j'ai vu le portrait de mon âme, une déterrée elle aussi, moi en tant que chien au museau jaune à moitié vivant malgré l'étreinte de la mort. C'est comme si j'avais trouvé la preuve et l'origine.
(p. 113)
« Tu ne peux pas commettre une comparaison entre ces deux massacres me disent-ils, ces arbres ne sont pas tués par l’insane cruauté d’un dictateur. En outre les arbres meurent mais ils ne le savent pas. Voilà pourquoi le Livre a cessé de te suivre fidèlement tu ne sais même pas quand.
Et pourtant me dis-je, rêve ou livre ou réalité plus réelle pendant dix jours j’ai vu des forets entières de juifs jeunes vieux de deux mille ans entrer par rang entiers dans le bucher. Je vois encore ou je crois voir encore des wagons de troncs fumants, et personnes ne sait encore quoi faire avec tous ces restes. Selon mon ami Marcel, le résinier, ce bois mort debout est inutilisable, on ne peut pas l’usiner, on ne peut que le finit en cendres, ça prendra des années, qui va payer tout ça. Un vrai cimetière et tous ces nobles même pas squelettiques Inachevés »

« On ne sait pas
Tout le monde a respiré l’air militaire, pendant des années, tous s’habillent, se fournissent, se rendent visite, militaire, on ne sait pas toutes ces rues qui ruminent
On va faire ses courses au marché Clauzel, on tâte les pêches et les tomates on ne sait pas, la généalogie du petit porteur, on ne sait pas, quel âge as-tu, qui sait, pas sale pas lavé pas d’eau, une force extraordinaire dans les bras, c’est la force de la pauvreté, rue Berthezène on ne sait pas on habite un bel uniforme,
Lorsque l’école républicaine vichyste cède les clefs à l’école républicaine libérée, on est juif autorisé à prendre place sur les bancs totalement interdits depuis 1940,on pénètre avec précaution dans la cour du Lycée Lamoricière on avance en s’aplatissant pour prendre le moins d’espace, à pas lents très lents les pattes de devant tâtent avec précaution de démineur le sol piégé, la partie gauche effleure la partie droite reste levée, comme si l’on savait que la terre est bouillante de haine, puis on fait un saut, en arrière, on n’est pas prête, la cloche sonne, on se jette dans le temps, ma mère dit que La Moricière rime avec la souricière, ça ne fait pas rire mon père, Lamoricière on ne sait pas, c’est un signifiant miné, »
Dire : "Je suis une femme", c'est restreindre le champ des possibles, parce que grâce aux luttes des femmes, il est accordé aux êtres humains d'être plus que ça.
Je connais un poète qui est mort dans l'escalier, le jour où il partait dans un pays où il n'était plus plus jamais revenu. Tous ces pays dont on ne revient pas où on ne revient pas où on va revenir où on revient tellement en pensée qu'il est difficile de faire la différence entre aller, ne pas aller, et aller ne pas aller, on passe des années dans la lumière lunaire de l'aéroport. On y est attaché par le pacte le plus antique et le bien moins connu, le pacte d'être un né ou un mort de ce pays. Il n'y a pas d'explication. Il y a un cordon ombilical. C'est une ombre de cordon, un cordon immatériel dont on sent l'effet planté dans le cervelet. Nous sommes des conséquences. Il y a les cellules, dit mon aimé. Moi, je songe à aller à Alger depuis une dizaine d'années. Par précaution j'utilise le verbe " aller". Mes cellules ne suivent pas. Elles font comme si je disais : "retourner". J'attends.
Je suis pour toi ce que tu veux que je sois au moment où tu me regardes telle que tu ne m'as encore jamais vue: à chaque instant.
Les livres sont carnassiers. Ils se nourrissent de chair, de larmes, ils se frottent de mort, ils prennent leur source au cimetière, c’est tout su, sur mon père, j’ai bâti une œuvre, en dot j’ai reçu ses ossements, ses dents, ses peaux, ses lettres, une fortune de terreur et d’inconsolation.
J'ai une crainte d'aller en Algérie et de manquer l'Algérie en y allant de pas l'y trouver et donc de commencer à l'avoir perdue, (...) si je la manquais ce serait ma faute naturellement, j'aurais commis un excès soit de précipitation soit de lenteur soit de calculs de pressentiments(...)

Finalement, c'était une belle nuit.
E.- Qu'est-ce qu'on peut faire, quand on est si vieux? Je ne suis plus rien.
H.- La nuit tu fais beaucoup de bruit.Beaucoup pipi.
E.- J'ai pas d'autre chose à faire. ( Un temps.) Dommage.
Dommage, ai-je pensé. Nous nous sommes battues cote à côte. Dans une autre pièce, le jour nous aurait trouvées allongées dan les bras l'une de l'autre, pensai-je.
Maintenant ma mère craint ma nuit. On voit rien. C'est pas très clair. Voilà que nous nous figurons tous les deux qu'"Elle" viendra la nuit.
"Tu me laisses pas tomber ! dit ma mère. Tu me laisses pas seule!" Maintenant j'ai aussi peur de la nuit que du jour. Je la laisse calmement endormie à 23 heures, je dors à une allure folle, à 5 heures je parcours le petit couloir, étroit conduit peuplé de spectre et d'illusions, je murmure "maman", que dis-je! "maman" c'est moi, si ma mère vit encore. C'est seulement si j'avais perdu mon vieil enfant que maman ce serait celle que j'appelle à mon secours pour me déterrer de cette enterrement vivante.