Hélène Dumas. La Mémoire des génocides en France.
Aux deux extrémités de la chaîne générationnelle , à travers le sort spécifique réservé aux enfants les plus jeunes comme aux vieillards, se lit la singularité de toute politique génocidaire : l'anéantissement du passé et de l'avenir du groupe voué à disparaître. Les viols systématiques, très souvent accompagnés de sévices touchant aux organes reproducteurs, s'inscrivent dans cette logique d'extermination.
Voir un Rwandais qui en tue un autre à cause de comment il a été créé, ou bien à cause de la famille où il est né, un enfant qui ne sait pas d'où tout cela vient, ni où tout cela mène et qui tombe pourtant dedans, n'a-t-il pas besoin d'une personne qui l'en fasse sortir ?!
Le voisinage maintenu entre tueurs et victimes après le génocide représente sans nul doute l'une des singularités majeures de la configuration rwandaise.
La violence atteint l’intimité des liens sociaux et affectifs ; elle se déploie dans les lieux sacrés, comme les églises et les temples ; elle engendre des pratiques de cruautés inouïes, au sens plain du terme
On l'aura remarqué, la menace n'est pas colportée sur les collines par des étrangers, par des inconnus en uniforme, mais bien par des voisins. Les prémices de la violence, les victimes en font l'expérience à travers des figures familières. Cette première trahison des proches marque un basculement irrémédiable dans une violence d'un nouvel ordre.
Mais, loin d’inscrire les violences du passé dans une perspective téléologique, les récits font au contraire ressortir la singularité radicale du génocide, précisément marquée par le retournement des liens anciens
Là où nous sommes seulement sensibles à une quiétude que l’on devine suspecte, Angélique Mukabutera, elle, voit (ou revoit) les parcelles, les fosses communes et les chemins du calvaire vers la Nyabarongo. À travers sa géographie se dévoilent les couches successives d’un palimpseste temporel : la vie « d’avant », peuplée de voisins, d’amis, de familiers, et le temps du génocide quand la rivière engloutit les cadavres, quand les fosses septiques deviennent des fosses communes et les champs des tombeaux à ciel ouvert.
Au cœur des pratiques, l’Autre a été perçu et abattu comme un animal. La mobilisation du champ sémantique lié à l’univers de la chasse dans la description des massacres ne relève pas d’un simple usage métaphorique : elle informe sur les manières de tuer. La présence massive des armes de chasse prouve l’inscription des représentations cynégétiques dans le champ des pratiques.
Shyorongi permet de penser l’interrelation entre guerre et génocide, mais aussi l’inscription des massacres au sein des voisinages, le rôle des miliciens ou encore l’implication des « intellectuels », dévoilant tout le spectre des acteurs et de leurs adaptations différenciées au nouveau contexte ouvert par le déclenchement de l’extermination
Les massacres ne furent pas perpétrés dans une fureur incontrôlée : les souffrances raffinées qui furent infligées aux victimes étaient chargées de sens. Sur les collines, les tueurs ne répondirent ni mécaniquement ni uniformément aux mots d’ordre meurtriers professés par les dépositaires de l’autorité étatique.