Helene GRIMAUD plays Brahms piano sonata No.3 - 3st mov
« Si ma vie avait dû s’arrêter à cet instant, je serais mort avec joie », s’exclama Dostoïevski.
Ainsi, ces mots ont fait leur lit dans mon cœur alors que j’avais à peine quinze ans. Ils ont épousé mon âme, ils l’ont entourée de milles attentions. Alors, dans des rendez-vous amoureux et passionnés, j’ai retrouvé Dostoïevski pendant des nuits entières, cachée sous mes draps avec pour seule lumière une lampe de poche. Dans ses romans que j’effeuillais selon l’ordre des pages et le désordre des passages, grâce à ses mots, guidée par son art si particulier de l’ellipse et de la parabole, je vérifiais que la douleur n’est pas le lieu de notre désir mais de notre certitude. Dostoïevski, à force d’exposer les cœurs désespérés d’éternité, me montrait jusqu’où peut aller l’amour de la vie dans les êtres profonds, nés pour la souffrance ; cet amour-là porte à tous les excès, que l’on appelle ailleurs des crimes selon le droit.
Dans la musique du seul mot Afrique, on entendait le barrissement de l'éléphant, le feulement du guépard et le rugissement du lion, et encore l'immense craquement du sol sous la cuisson du soleil ; même le vide devait y être vivant. L'Afrique, c'était le chant primaire de la planète Terre.
"Pour un regard, toutes les choses du monde naissent ensemble. Pour la branche, le poids de l’instant, c’est le poids de l’oiseau."
La musique s'est-elle emparée de moi parce qu'elle est le prolongement du silence, ce silence qui la précède toujours, qui retentit au cœur du morceau ? La musique est l'accès à un ailleurs de la parole, que la parole ne peut pas dire et que le silence dit pourtant, en le taisant. Une musique sans silence, qu'est-ce, sinon le bruit ?
Belle profession que celle de critique qui consiste trop souvent à trouver le pire dans le meilleur et le meilleur dans le pire, faute d'un goût personnel ou désintéressé.
(Variations sauvages)
J’étais tombée, chez un bouquiniste, sur un ouvrage de Hermann Hesse – son roman Narcisse et Goldmund est devenu l’un de mes livres favoris. Sur une page ouverte au hasard, une phrase disait : « La musique repose sur l’harmonie entre le Ciel et la Terre, sur la coïncidence du trouble et du clair. » Ces mots m’ont frappée au cœur, comme s’ils mettaient directement adressés. A cet instant, j’ai introduit dans mon vocabulaire la notion de « trouble ».
il m’arrive de rester longtemps sans parler ; alors la parole m’apparaît superflue. Parfois, je pratique des ascèses de silence, longtemps, jusqu’à ce que j’entende dans le silence la musique même du silence : un rien, mais un rien qui parle, qui s’écoute. La musique est un prolongement du silence, elle est aussi ce qui la précède, ce qui retentit au cœur du morceau. Elle est un accès à un ailleurs de la parole, que la parole ne peut pas dire et que le silence dit pourtant, en le taisant. Une musique sans silence ? J’appelle cela du bruit.
J’avais les loups. J’avais la musique.
J’avais la musique des loups sous la lune, et dans mon jeu toute l’animalité qui sauvegarde l’artiste.
En fait, une seule culture a respecté le loup, et encore dans la mythologie seulement car sur ses terres aussi, il était impitoyablement chassé pour sa fourrure. Les pays celtes et les contrées scandinaves aux nuits infinies d’hiver, aux ciels d’une pureté cristalline dans la rhapsodie blanche du Nord lui ont attribué, dans leurs légendes, le symbole de la lumière. Là où d’autres le font hurler sous la lune, le loup y incarne le soleil. Au cœur de ces grands espaces saisis, dans leur aveuglante vérité, par le froid, dans cet autre éden, ce paradis préadamique où ne fleurit aucun mensonge ni imposture, dans ce Grand Nord qui n’admet aucun relâchement, interdit toute langueur sauf en l’amour, le loup est la vie, plus mordante que le gel. La vie, dans une acuité énorme.
.... à forcer ses désirs, on en fait des vérités, pire, des réalités.
(Variations sauvages)