Enseignante au collège Henri Barbusse à Alfortville, Ana León a coordonné le manuel d'espagnol ¡Atrévete! 4e paru en 2023 aux éditions Magnard.
Elle vous présente ses singularités dans cette courte vidéo :
- chaque thème décliné en deux unités pour plus de liberté pédagogique
- la richesse de contenus authentiques
- le + d'une série vidéo pour une immersion dans la langue et motiver les élèves en fin d'année
¡Atrévete! 4e, c'est un manuel et un cahier pour vos élèves, enrichis de nombreuses ressources numériques (tutos, audios, vidéos...), un fichier pédagogique pour vous accompagner et une clé USB si vous le souhaitez.
Plus d'infos sur le site des éditions Magnard : https://www.magnard.fr/site/atrevete
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Un feldwebel est assis, appuyé aux planches déchirées qui formaient, là où nous mettons le pied, une guérite de guetteur. Un petit trou sous l'œil : un coup de baïonnette l'a cloué aux planches par la figure. Devant lui, assis aussi, les coudes sur les genoux, les poings au cou, un homme a tout le dessus du crâne enlevé comme un œuf à la coque… À côté d'eux, veilleur épouvantable, la moitié d'un homme, coupé, tranché en deux depuis le crâne jusqu'au bassin, est appuyé, droit, sur la paroi de terre. On ne sait pas où est l'autre moitié de cette sorte de piquet humain dont l'œil pend en haut, dont les entrailles bleuâtres tournent en spirale autour de la jambe.
Chapitre 20 : Le feu.
Deux armées qui se battent, c'est comme une grande armée qui se suicide.
Le Feu (journal d'une escouade), Chapitre 24 : L'aube.
— Ils te diront, grogna un homme à genoux, penché, les deux mains dans la terre, en secouant les épaules comme un dogue : « Mon ami, t'as été un héros admirable ! » J' veux pas qu'on m' dise ça !
Des héros, des espèces de gens extraordinaires, des idoles ? Allons donc ! On a été des bourreaux. On a fait honnêtement le métier de bourreaux. On le r'fera encore, à tour de bras, parce qu'il est grand et important de faire ce métier-là pour punir la guerre et l'étouffer. Le geste de tuerie est toujours ignoble — quelquefois nécessaire, mais toujours ignoble. Oui, de durs et infatigables bourreaux, voilà ce qu'on a été. Mais qu'on ne me parle pas de la vertu militaire parce que j'ai tué des Allemands.
Chapitre 24 : L'aube.
On est des machines à oublier. Les hommes, c'est des choses qui pensent un peu, et qui, surtout, oublient. Voilà ce qu'on est.
LE FEU (JOURNAL D'UNE ESCOUADE), Chapitre 24 : L'aube.

— C'est des journalistes, dit Tirette.
— Des journalistes ?
— Ben oui, les sidis qui pondent les journaux. T'as pas l'air de saisir, s'pèce d' chinoique : les journaux, i' faut bien des gars pour les écrire.
— Alors, c'est eux qui nous bourrent le crâne ? fait Marthereau.
Barque prend une voix de fausset et récite en faisant semblant de tenir un papier devant son nez :
« Le kronprinz est fou, après avoir été tué au commencement de la campagne, et, en attendant, il a toutes les maladies qu'on veut. Guillaume va mourir ce soir et remourir demain. Les Allemands n'ont plus de munitions, becquettent du bois ; ils ne peuvent plus tenir, d'après les calculs les plus autorisés, que jusqu'à la fin de la semaine. On les aura quand on voudra, l'arme à la bretelle. Si on attend quèq' jours encore, c'est que nous n'avons pas envie d' quitter l'existence en tranchées ; on y est si bien, avec l'eau, le gaz, les douches à tous les étages. Le seul inconvénient, c'est qu'il y fait un peu trop chaud l'hiver… Quant aux Autrichiens, y a longtemps qu'euss i's n' tiennent plus : i' font semblant… » V'là quinze mois que c'est comme ça et que l' directeur dit à ses scribes : « Eh ! les poteaux, j'tez-en un coup, tâchez moyen de m' décrotter ça en cinq sec et de l' délayer sur la longueur de ces quatre sacrées feuilles blanches qu'on a à salir. »
Chapitre 2 : Dans la terre.
Quand on apprend ou qu'on voit la mort d'un de ceux qui faisait la guerre à côté de vous et qui vivaient exactement de la même vie, on reçoit un choc direct dans la chair avant même de comprendre. C'est vraiment presque un peu son propre anéantissement qu'on apprend tout d'un coup.
Chapitre 20 : Le feu.

La porte s’entrouvre et fait une raie blanche ; la figure d’un petit garçon s’y dessine. On l'attire comme un petit chat, et on lui présente un morceau de chocolat.
- J’m’appelle Charlot, gazouille alors l’enfant. Chez nous, c’est à côté. On a des soldats aussi. On en a toujours, nous. On leur z’y vend tout ce qu’i veulent. Seulement, voilà, des fois, i’s sont saouls.
- Dis donc, petit, viens un peu ici, dit Cocon, en prenant le bambin entre ses genoux. Écoute bien. Ton papa i’ dit, n’est-ce pas : “Pourvu que la guerre continue !” hé ?
- Pour sûr, dit l’enfant en hochant la tête, parce qu’on devient riche. Il a dit qu'à la fin d’mai on aura gagné cinquante mille francs.
- Cinquante mille francs ! C’est pas vrai !
- Si, si ! trépigne l’enfant. Il a dit ça avec maman. Papa voudrait qu’ça soit toujours comme ça. Maman, des fois, elle ne sait pas, parce que mon frère Adolphe est au front. Mais on va le faire mettre à l’arrière et, comme ça, la guerre pourra continuer.
Chaque être est seul au monde. Cela paraît absurde, contradictoire, d’énoncer une phrase pareille. Et pourtant, il en est ainsi… Mais il y a plusieurs êtres comme moi… Non, on ne peut pas dire cela. Pour dire cela, on se place à côté de la vérité en une sorte d’abstraction. On ne peut dire qu’une chose : Je suis seul.
Elle nous conduit dans le cellier. Trois gros tonneaux remplissent ce réduit de leurs rotondités imposantes.
- C’est là vot’ petite provision personnelle ?
- Elle sait y faire, la vieille, ronchonne Barque.
La mégère se retourne, agressive.
- Vous ne voudrez pas qu’on se ruine à cette misère de guerre ! C’est assez de tout l’argent qu’on perd à ci et à ça.
- A quoi ? insiste Barque.
- On voit que vous n’risquez pas vot’argent, vous.
- Non, nous ne risquons que not’peau.
Ne plus aimer, c'est pire que de se haïr, car, on a beau dire, la mort est pire que la souffrance. J'ai pitié de ceux qui vont deux à deux, enchaînés par l'indifférence. J'ai pitié du pauvre coeur qui a si peu longtemps ce qu'il a ; j'ai pitié des hommes qui ont un coeur pour ne plus aimer.