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Critiques de Henri Bergson (61)
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Le rire

«  Pourquoi rit-on d'un orateur qui éternue au moment le plus pathétique de son discours  ?  ». Qui a dit que la philosophie était chose sérieuse ? Ne jugeons pas (trop) le philosophe sur l'intérêt sociétal et la pertinence de ses questionnements métaphysiques...



Le style est judicieusement pédagogique et le lecteur peut ainsi naviguer à vue sur le cours des pensées de l'auteur, sans être parasité par un langage pompeux et des concepts sui generis qui peinent à faire oublier l'intellectuel égotique derrière le propos et finissent par faire boire la tasse au lecteur.

A grand renfort d'allusions théâtrales, Bergson tisse pour son lecteur une typologie du comique, s'attardant notamment sur la forme, le geste, le langage, le caractère et la situation pour conclure sur une définition plus large de l'art et son objet, dont découle une mise en relief de la comédie par comparaison avec la tragédie.



« Le rire châtie les moeurs ». Cette étude sur le rire, parfois décrit comme « le propre de l'homme » a le mérite de faire ressortir une fonction anthropologique fondamentale mais peu glorieuse du rire, un rire qui se prend au sérieux, que l'on craint comme la foudre, et qui a pour fonction de purger la société de tout ce qui ose, impétueusement ou inconsciemment, s'éloigner de la norme. Pour Bergson « plaisir de rire n'est pas un plaisir pur, je veux dire un plaisir exclusivement esthétique, absolument désintéressé. Il s'y mêle une arrière-pensée […] Il y entre l'intention inavouée d'humilier, et par là, il est vrai, de corriger, tout au moins extérieurement. »



« Nous rions toutes les fois qu'une personne nous donne l'impression d'une chose ». La norme sociale, le caractère humain c'est, pour Bergson, le mouvement, la perpétuelle agilité qui prévoit, qui bifurque, qui anticipe. Toute mécanisation rigidement plaquée sur du vivant fait le fonds de commerce des guignols, vaudevillistes, caricaturistes et autres tartufferies. L'auteur invite opportunément Molière en renfort, analysant « le caractère d'Alceste » comme « celui d'un parfait honnête homme. Mais il est insociable, et par là même comique. Un vice souple serait moins facile à ridiculiser qu'une vertu inflexible. C'est la raideur qui est suspecte à la société. »



« Est-ce bien loyal, ce que nous faisons là ? Car enfin, ces malheureux actionnaires, nous leur prenons l'argent dans la poche… — Et dans quoi voulez-vous donc que nous le prenions ? ». Aujourd'hui encore, avec le stand up,les canulars, le théâtre de l'absurde, les lapsus et l'autodérision c'est encore de cette raideur, de ces réflexes, de cet automatisme dont on rit, comme pour les expier collectivement.



La réflexion de Bergson s'achève sans avoir parcouru toutes les pièces de la maison du rire, non sans avoir pris le soin d'esquisser de nouveaux chemins à emprunter, à l'opposé de ce rire moqueur, notamment celui de la jovialité et de la détente qu'il procure, à l'image du Bouddha rieur. Ou bien encore celui du rêve, « il n'est pas rare qu'on observe dans le rêve un crescendo particulier, une bizarrerie qui s'accentue à mesure qu'on avance. Une première concession arrachée à la raison en entraîne une seconde, celle-ci une autre plus grave, et ainsi de suite jusqu'à l'absurdité finale. »



Bergson nous laisse le sentiment émancipateur de celui qui reprend le gouvernail avec l'intuition que le rire en apprend davantage sur le rieur que sur son objet.
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Le rire

Tout le monde aime rire!

Chacun l’admettra, y compris le philosophe Bergson qui, toutefois, ira ensuite se demander pourquoi.

Et moi, lecteur de philosophe, je me suis demandé pourquoi Bergson s’est ainsi interrogé à propos du rire.

Alors, dans un premier temps, voyons comment s’articule la réflexion de Bergson.

Il remarque, pour amorcer sa réflexion, que seul l’homme rit.

De plus, selon lui, le rire implique une certaine « insensibilité » envers son objet puisque l’on n’ose pas rire de ce qui nous inspire de la tristesse ou de la compassion. Il en déduit alors, de manière erronée à mon avis, que le rire implique l’indifférence envers son objet. Je crois qu’il va alors trop loin, car ce qui ne nous intéresse pas ne va pas capter notre attention, par définition. Le rire implique donc un chatouillement de notre sensibilité par un objet auquel nous ne sommes évidemment pas insensible bien que ce dernier ne nous inspire ni pitié ni chagrin.

D’autre part, la thèse principale de ce livre, d’ailleurs très agréable à lire, consiste à montrer l’aspect sociétal du rire. Bergson montre de manière très convaincante que le rire est un bonheur qui veut être partagé et il sert également de moyen normatif très efficace envers l’asocial car personne n’aime faire rire de soi. Le rire incite aussi à la connaissance de soi et de l’autre, car l’ignorance de soi et d’autrui entraîne nécessairement la personne qui en est victime dans des situations où elle sera ridicule pour son entourage.

Le rire nous entraîne donc à améliorer nos rapports sociaux et notre connaissance de soi, mais Bergson, en conclusion, nous fait également remarquer qu’il peut également provoquer l’adoption de comportements sociaux cruels, parfaitement contraires à la moralité et hostile envers l’exceptionnel.

Alors, maintenant que nous avons une idée de la réflexion de Bergson sur le rire, reste à voir pourquoi il s’est posé cette question.

À mon avis, le philosophe, sans être asocial, va souvent se montrer insatisfait des principes à partir desquels son environnement social fonctionne et aura souvent une certaine propension à se donner ce genre de principes personnels que je qualifierais de « supra-sociaux ». C’est, en effet, dans la solitude que l’existence authentique se choisit librement dans son être. Ce faisant, le philosophe entrera inévitablement, de temps à autre, en conflit avec les principes normatifs de sa société et devra donc en subir les effets d’un de ses moyens coercitifs les plus efficaces : le rire. Voilà sans aucun doute une excellente raison pour le philosophe de se questionner sur le rire, car la compréhension de sa fonction sociale permet d’en relativiser l’importance et, advenant le cas, de le subir de manière bien moins cruelle...voir, d’en rire en retour...

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Le rire

A partir des comédies de Molière et de Labiche, Henri Bergson analyse pourquoi les personnages Orgon, Géronte, Harpagon, Alceste, Argante... font rire les spectateurs.

Le rire... avec Le grand Professeur Bergson : quel paradoxe, non ??

Oui, et d'ailleurs, pendant les deux tiers du livre, il est chiant, pontifiant, ... Premièrement, Petit a ), Petit b ).... Certes, je ne m'attendais pas des blagues de Coluche, ou des superbes mots du grand Devos, mais quand même... On fronce un peu les sourcils en prenant des notes, tellement ce petit bouquin rengorge de détails.

Cependant, quelle belle analyse !

.

Pourquoi certains personnages sont comiques ?

Parce que ces gens là sont dans leur monde ( comme moi, qui fait rire parfois, malgré moi, donc je fais attention à ne pas faire trop de boulettes ), ils poursuivent leur parcours rigidement, mécaniquement, sans la souplesse requise par le terrain, comme l'homme qui tombe parce qu'il ne fait pas attention. Ce texte est paru en 1900, mais après, on peut éclater de rire quand Donald continue à marcher au dessus du précipice avant de s'en rendre compte, effrayé, et chuter !

Il y a aussi le manque de souplesse intellectuelle :

"Mais que diable allait-il faire dans cette galère ?"

Géronte est obsédé par son argent, et son idée fixe le poursuit, il ne s'intéresse plus à son interlocuteur, il ne réfléchit pas à une solution, il est comme dans un rêve, et la répétition de la phrase, son intonation, font rire.

Cependant, ... ahem !... malgré tout son savoir, je n'imagine pas Bergson être capable de faire rire ses étudiants... !

.

Et j'ai appris quelque chose de stupéfiant, et Bergson m'a convaincu :

Le rire est une correction.

Ah bon ?

Oui. La dernière partie du livre est très intéressante, et analyse le rieur.

D'ailleurs, je l'ai dit, je fais attention avec mes "boulettes" hors sujet, non contextualisées, ou trop cash :

je fais des boulettes, mais je me soigne !

Le rire n'est pas complaisant, le rire, paradoxalement, est sévère. Il montre à celui dont on se moque son décalage par rapport à ce qu'exige la société.

-- Dans un premier temps, le rieur est bonhomme, et compatit ;

-- mais après, allez, hop, ça suffit !

-- et enfin, NON ! c'est pas possible ! AH ! AH ! AH ! qu'il est ridicule, ah ! ah !

Dans la vie, le personnage moqué, s'il se sent humilié, vexé, se rendra compte, aura pris conscience de sa vanité, de son rêve ou de son décollage d'avec le bon sens. Sinon, tant pis, la correction n'aura pas fonctionné !

.

Je pense que Bergson qui évoque les rêves, et qui a fait ultérieurement des travaux sur la conscience, n'a pas contacté Freud, car ensemble, ils auraient peut-être pu bien avancer...

.

Enfin, un truc me chiffonne chez Bergson, c'est sa définition de l'Art.

Il dit que la comédie se situe à la frontière de la société, et de l'art ;

et aussi : l'Art est la Nature.

Or :

on considère le terme « art » par opposition à la nature « conçue comme puissance produisant sans réflexion » (cnrtl ).

Mais ceci est un autre débat : )

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Le rire

Le rire est le propre de l’homme, dit-on, au grand soulagement des autres animaux, toujours inquiets de voir un honnête citoyen se mettre tout à coup à pousser de grands cris stridents en étant agité de convulsions nerveuses. Mais pourquoi rit-on exactement, et quelle est la fonction du rire dans la société ?



Pour Bergson, le rire est provoqué par « du mécanique plaqué sur du vivant ». L’être humain est censé être caractérisé par une certaine souplesse, tant physique qu’intellectuel. Qu’il puisse trébucher et tomber est donc contraire à sa nature, et tient plutôt de l’automate, incapable d’appréhender un obstacle inattendu et de s’écarter des ordres donnés. Le comique de répétition, les quiproquos, plaquer les codes d’une corporation sur une situation étrangère, sont au final des variations de cette règle.



Enfin, le rire sert également d’arme sociale, ce qui le rend tout à coup nettement moins sympathique. Vous voulez éviter l’expérience humiliante d’être la cible des rires et des moqueries ? Vous avez plutôt intérêt à vous débarrasser de certaines habitudes que le reste du groupe ne tient pas à voir se propager.



L’essai de Bergson se limite à un seul type de rire, celui de la comédie. Son travail est simple à lire et à comprendre, et illustré par de nombreux exemples tirés de la littérature classique, dont par exemple Molière ou Don Quichotte. Son propos est aussi interpellant, puisque selon lui le rire va de pair avec une certaine forme de cruauté envers celui qui en est la cible. Et même si cette dernière est imaginaire, il a de quoi se poser quelques questions…
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Le rire

Cet ouvrage est paru en 1900, Bergson y analyse le fonctionnement du rire.

Selon l'auteur, le procédé comique reposerait sur trois procédés: la répétition d'une même scène, l'inversion des rôles et le quiproquo. Le rire serait également déclencher par la dimension caricaturale de certaines situations. Le rire a donc une fonction sociale, certains effets comiques ne sont pas transposables dans d'autres sociétés de par les différences de style linguistique ou les idées. Par exemple, le film "Bienvenue chez les ch'tis" a séduit bons nombres de personnes mais ce film reste parfois difficilement compréhensible, et donc humoristique à une personne étrangère à nos mœurs.

Voilà pour l'essentiel, je ne souhaite pas faire ici un exposé magistral de l’œuvre, ce n'était pas mon but initial en lisant ce livre. Et bien qu'il soit philosophique cela reste une lecture abordable. D'autre part, l'auteur a choisi d'y insérer des exemples de certaines scènes de pièces de théâtre connues, comme "L'Avare" de Molière. Cela nous permet de mieux visualiser certains propos.



Challenge Nobel 2013/2014
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Le rire

Henri Bergson aborde cet essai d'une façon très doctorale. Je vous préviens : on ne rit pas beaucoup : ) Mais cet ouvrage est très riche. Cependant, je retiens des vérités :

1 ) c'est un geste social qui régule certains excès par « la moquerie » ; le « moqué » a éventuellement tendance à faire attention ensuite, pour cesser d'être ridicule ;

2 ) le rire vient de la mécanisation du corps vivant : un passant qui tombe manque de « souplesse », et est un peu transformé en objet ;

3 ) le rire vient de la répétition : « qu'allait-il faire dans cette galère ? » … ou, et je prends un exemple contemporain, le tampon de « l'administratif » Laspalès appuyé avec détermination X fois dans « C'est vous qui voyez ».

de nombreux exemples sont à l'appui, sortis principalement de Molière ou Labiche.

.

Ce livre me satisfait très moyennement…

--Car ses références sont Molière et Labiche que je n'ai pas lus, honte à moi !

--La classification, les lois et les théorèmes de Bergson sur le rire m'indisposent : c'est pour moi, comme si on mettait Devos ou Laspalès ( mes deux fétiches ) dans des cases. de plus, très analytique, il dit lui-même décortiquer « le labyrinthe du déclenchement du rire », son ouvrage me semble partir dans toutes les directions, et il me semble manquer une synthèse.

Ce livre, par sa méthode scientifique d'un concept social ou philosophique, me fait penser à « L'éthique » de Spinoza, dont la valeur me semble dépréciée par la rigueur mathématique : n'est pas mathématique qui veut, surtout dans les « sciences humaines » !

.

Enfin, Bergson parle-t-il de l'intonation, de l'accent, des jeux de mots, choses qui me font le plus rire personnellement ?

Je pense à Poelvoorde qui, dans « Rien à déclarer », dit à son collègue français Dany Boon, qui veut se faire apprécier de sa future belle famille belge : « Ne mets pas une fois ! à chaque fin de phrase ».

Je pense au sketch de Raymond Devos :

« La mer est démontée ! »

 Vous la remontez quand ? »



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L'évolution créatrice

L’évolution créatrice.

À mi-chemin de notre entendement de l’univers Bergsonien se condense en nous l’idée que lorsque nous sommes en réactivité, nous entendons par là lorsque nous réalisons une action, nous sommes dans la réalisation pratique de ladite construction et à cet effet notre esprit est alors concentré, mais uniquement sur l’effort. Il n’est plus irradié par le flux de l’intelligence. Il l’a cependant été avant, lorsque nous avons mentalement projeté d’entreprendre une action sur la matière et que s’est jouée dans notre tête la situation scénique de cette entreprise. Ce qui laisse à penser que notre intelligence ne peut nous éclairer que sur le dessein d’une action future à partir de faits déjà connus de nous et qu’en cours de réalisation ce n’est pas elle qui nous guide, mais bien plutôt notre instinct.

Notre instinct qui se complète d’innéité. Notre intuitivité qui s’accompagne de tous les savoirs innés que nous portons en nous et qui sont du même ordre que les patrimoines héréditaires transmis ou transmissibles, mais non systématiquement partagés.

Il en va finalement de statuer sur la limite entre laquelle l’intelligence est assimilée ou pas. Réceptive dans l’élaboration du projet et perceptive dans l’établissement de sa programmation seulement. Quand on sait que l’espace-temps de la perception est éthéré, que chaque minute qui passe appartient au passé et que la visibilité d’un temps futur n’intègre pas l’actionnement de l’intelligence qui n’opère qu’à partir du déjà-là ou déjà expérimenté. Il en découle une certaine remise en question de notre projection sur l’avenir et de notre faculté de basculement vers l’étape intermédiaire que conduit l’évolution créatrice...

Tandis que l’œil vif de Bergson nous accompagne en chemin...

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La Pensée et le Mouvant

La philosophie patauge et se heurte à une impasse. Henri Bergson pense en avoir découvert la raison. Depuis Platon, nous nous sommes trompés sur la conception du temps. Nous avons toujours confondu et traité le temps de la même façon que l’espace, en le morcelant et le réduisant en portions congrues, n’arrivant pas à penser à la durée autrement qu’à travers le concept de « mesure de la durée ». Une solution facile n’est pas forcément une solution juste. C’est une approximation et nous ne pouvons pas prétendre démasquer la vérité avec cela.





« Avec ces vues juxtaposées [du temps découpé en moments] on a un succédané pratique du temps et du mouvement qui se plie aux exigences du langage en attendant qu'il se prête à celles du calcul ; mais on n'a qu'une recomposition artificielle. Le temps et le mouvement sont autre chose. »





Bergson propose alors d’établir l’intuition comme méthode philosophique. Il distingue son intuition de celle de Schelling ou de Schopenhauer –qui ont quant à eux voulu opposer l’intuition à l’intelligence et en faire le moteur d’une recherche de l’éternel- en disant que son intuition porte sur la durée intérieure. Il précise : « Elle saisit une succession qui n'est pas juxtaposition, une croissance par le dedans, le prolongement ininterrompu du passé dans un présent qui empiète sur l'avenir. C'est la vision directe de l'esprit par l'esprit. Plus rien d'interposé ; point de réfraction à travers le prisme dont une face est espace et dont l'autre est langage ». Mais qu’est-ce qui risquerait de s’interposer ? Sans doute le langage… par certains de ses aspects, Bergson n’est pas loin de rappeler Wittgenstein lorsqu’il dit que l’intuition est une donnée complémentaire de l’intelligence qui aide à saisir ce que cette dernière ne peut pas capturer autrement que par l’usage de la transposition spatiale ou de la traduction métaphorique –on pense alors à la distinction qui existe entre montrer et dire. Il n’y a pas d’exclusion entre ces deux principes et Bergson vise au contraire à rendre l’intuition légitime pour créer une synergie. Avant l’heure, Bergson semble nous parler de cette physique quantique qui distingue onde et corpuscule comme mouvement et substance, même s’il souhaite pour sa part établir une fusion.





Henri Bergson semble avant tout être un homme profondément déçu par les faibles moyens mis à la disposition de l’homme pour communiquer son expérience et la richesse de son contenu intérieur.

Il écrit : « J'ai beau me représenter le détail de ce qui va m'arriver : combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de l'événement qui se produit ! La réalisation apporte avec elle un imprévisible rien qui change tout ». C’est ce qui fait ensuite que nous ne pouvons jamais être vraiment proches des autres hommes, croyant avoir tout communiqué alors que le plus important n’a toujours pas été dit.





Si nous voulons corriger nos erreurs, dans la philosophie et dans la vie, un grand nettoyage de nos concepts devra être effectué. Premier concept à réviser : celui du temps. On sait que Henri Bergson a énormément influencé Marcel Proust et la Recherche du temps perdu de ce dernier peut être lue comme l’expérience de la durée d’un temps intérieur. Henri Bergson nous invite également à nous débarrasser de l’habitude que nous avons de considérer que le temps avance et, plus encore, qu’il avance de la cause vers l’effet. Non seulement le temps n’avance pas (« Il y a des changements, mais il n'y a pas, sous le changement, de choses qui changent : le changement n'a pas besoin d'un support. Il y a des mouvements, mais il n'y a pas d'objet inerte, invariable, qui se meuve : le mouvement n'implique pas un mobile ») mais en plus, le passé est sans cesse redéfini par la réalisation du possible contenu dans l’avenir. Quant au présent, sa durée est « relative à l’étendue du champ que peut embrasser notre attention à la vie ».





Cette proposition de réfection de la vieille philosophie est séduisante en ce qu’elle a su capter la raison majeure pour laquelle le domaine intellectuel nous déçoit si souvent. La vérité est proche, on attend la révélation ultime, mais elle ne vient pas. La vérité ultime semble séparée de nous à cause du concept, à cause du système, à cause de la philosophie même. Que propose Henri Bergson ? Son intuition, et un paradoxe : celui d’exprimer l’intuition par le langage. Comprenne qui pourra : « À celui qui ne serait pas capable de se donner à lui-même l'intuition de la durée constitutive de son être, rien ne la donnerait jamais, pas plus les concepts que les images. L'unique objet du philosophe doit être ici de provoquer un certain travail que tendent à entraver, chez la plupart des hommes, les habitudes d'esprit plus utiles à la vie ». L’intuition sera numineuse ou ne sera pas. Ceci étant dit, la nouvelle philosophie ne peut se définir que de façon négative : elle ne sera pas conceptuelle, pas dogmatique, pas systématique et produira un bouleversement du paysage intellectuel : « À la multiplicité des systèmes qui luttent entre eux, armés de concepts différents, succéderait l'unité d'une doctrine capable de réconcilier tous les penseurs dans une même perception, – perception qui irait d'ailleurs s'élargissant, grâce à l'effort combiné des philosophes dans une direction commune ». Transposons cette idée au politique et à la psychologie : on se fera une idée des premiers effets concrets que pourrait avoir cette philosophie qui, contrairement aux autres, ne se satisfait plus seulement du monde éthéré des concepts.
Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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Le rire

Il est important de définir le pourquoi du rire . A notre époque le rire est trés souvent mis en avant comme thérapie . Cet ouvrage propose de comprendre pourquoi le rire est si important dans la vie . L'on ne ris pas pour rien , il y a toujours une raison qui enclenche cette réaction . Pas toujours celle à laquelle on pense . Certes cet ouvrage est "relativement simple " , les amateurs de pavés qu'eux seuls on l'impression de comprendre vont prendre cette réflexion de trés haut . A tort , car cet ouvrage est remarquablement construit et d'une intelligence certaine .
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Oeuvres complètes

Encore un gros pavé, acheté en prévision d'une lecture au long cours, que je termine ces temps-ci. De Bergson j'avais lu le Rire, un sujet qui m'intéressais (j'avais aussi parcouru l'Ironie de Jankélévitch), mais c'est loin d'être l’œuvre phare du philosophe français.

Mais pourquoi Bergson, d'ailleurs?

Alors que j'étais en terminale, mon professeur de philo ne jurait que par lui, et vaguement par Nietzsche. J'ai bien plus accroché à l'allemand, ce qui a repoussé ma lecture du premier. Mais m'y voilà, une première lecture intégrale, avant sûrement de relire quelques livres essentiels pour mieux comprendre. Car comprendre l'intuition bergsonienne, son concept de Durée, cela ne se fait pas d'un coup, tout seul, sans effort...

Ce volume contient donc toutes les publications de l'auteur, sauf Durée et simultanéité, un essai sur la relativité einsteinienne.

On plonge donc véritablement dans le cheminement de sa pensée.

C'est une philosophie très construite, parfaitement rédigée, écrite avec art, qui suit une structure parfaite, logique, belle de classicisme ; et paradoxalement elle entend imposer l'idée de l'intuition du réel plus que de son intellection. C'est là toute sa beauté d'ailleurs. Il faut alors lire, relire et réfléchir pour comprendre.

Car si le langage est clair, simple, la pensée ne l'est pas du tout, loin de là. Elle ne s'offre pas, et le découpage (ou plutôt son absence) n'aide pas à faire des pauses, des coupures dans la lecture. C’est dense, très dense !

Mais quel génie, indubitablement, et si certaines considérations basées sur la science de son époque sont aujourd'hui datées et dépassées, largement, le fond de la pensée et la méthodologie sont toujours là !

Force est de constater qu'il n'a pas trouvé de continuateur, et que sans doute le tournant qu'a pris la philosophie après la guerre (seconde) lui aurait sans doute déplu...

Il faut donc d'autant plus lire, relire et méditer cette pensée tournée vers la vie, le présent, résolument optimiste et tellement riche et exigeante.
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Le rire

Tout ce qu'écrit Henri Bergson sur "Le rire" semble évident aujourd'hui mais ça ne devait pas l'être au tout début du 20ème siècle puisque cet essai a été publié en 1900. En effet, aujourd’hui on reconnaît facilement le comique de mots par exemple, avec des experts en jeux… (je pense notamment à Raymond Devos mais il y en a bien d'autres).



Le philosophe sous-titre cet ouvrage en précisant qu'il s'agit d'un essai sur la signification du comique. D'ailleurs, c'est marrant d'écrire sur ce sujet.

Uniquement humain, le rire a une fonction sociale qu'il s'amuse à décrire quand il est provoqué par le comique.

Moi qui aime rire et qui le fait facilement j'ai toujours eu horreur des moqueries du type vidéo gag où les rires forcés sont là pour se moquer voire humilier.

A ce sujet, il montre que ce rire provoqué à partir d'une maladresse involontaire peut être un rappel à l'ordre social.

Il constate aussi que c'est surtout le côté mécanique, répétition de la vie réelle, qui incite au rire. Son développement permet de décrire le comique de mots, de situations, de caractères avec un grand nombre d'exemples comme l'analyse du procédé des vaudevilles et plus généralement des comédies de Molière particulièrement bien choisies.



Même si cet essai est très sérieux et étayé dans ses démonstrations, Henri Bergson m'a surtout donné envie d'aller au théâtre pour rire "d'un jeu qui imite la vie".





Challenge Riquiqui 2024

Challenge Multi-défis 2024 51

Challenge XXème siècle 2024

Challenge Nobel illimité

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L'évolution créatrice

Dans cet ouvrage, Bergson veut établir une véritable philosophie de la vie et la lier à une théorie de la connaissance.

Ayant déjà défini la notion de "durée" (opposée au temps, c'est une perception par notre conscience de moments qui se prolongent les uns dans les autres de manière irréversible et imprévisible) dans ses précédents essais, il l'applique à l'univers tout entier.

Il défend l'idée d'un "élan vital" qui serait une force à l'origine des formes de plus en plus complexes qui caractérisent le développement de la vie. Ce serait donc un processus de création que seule notre intuition est capable de révéler car notre intelligence ne peut par nature qu'isoler les phénomènes les uns des autres et ne saisit pas le discontinu, les changements inscrits dans la "durée" authentique.

Il définit l'intuition comme un prolongement de l'instinct, qui serait libéré des contraintes imposées par la nécessité de conservation.

Bergson sépare donc le monde en deux types différents d'ordre:

- la matière est soumise à une organisation géométrique, elle-même propre à l'intelligence, qui serait le fruit d'une volonté.

- l'élan vital, automatique et naturel, qui correspond aux déterminations de l'instinct.

Pour Bergson, le désordre n'existe pas, c'est seulement la déception d'un esprit cherchant un ordre et se trouvant confronté à un autre.

Pour lui, l'histoire de l'évolution est une confrontation constante entre l'élan vital et la matière.

Si l'intuition est donc la seule faculté à pouvoir saisir le principe de la vie, c'est dans le but de faire progresser la conscience de l'homme.

Enfin, Bergson affirme que la notion de "néant" n'a pas de réalité, c'est une fausse idée issue de la seule intelligence.

Selon lui, le temps étant considéré comme une grandeur indépendante, qui peut se mesurer, il est opposé à la durée qui est une perception différente de ce qui fait l'être, à savoir son unité et son dynamisme.
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L'évolution créatrice

L'évolution créatrice est un chemin de pensée à rebours de l'évolution des espèces, pour tenter de dépasser l'intelligence en se refondant dans le tout, et de là, chercher à interroger l'instinct alors que l'intelligence est déjà en train de se condenser.

Une fois dans le grand bain, il serait dommage de retrouver toute de suite la terre ferme. du moins quand il faudra y revenir on se sera débarrassé de certaines illusions nourries par l'intelligence elle-même.

C'est le moment de voir clairement les limites des thèses néo-darwinienne et néo-lamarckiste sur l'évolution des espèces et de tenter de voir en creux les manifestations de la vie, d'y voir un souffle de conscience, un élan vital, un mouvement créatif opposé à une intelligence qui ne fait que produire du même avec du même - une intelligence qui immobilise tout ce qu'elle touche en même temps qu'elle sert à la mobilité de l'animal en quête de nourriture.

Ce courant de conscience pousserait pratiquement l'homme en dehors du buisson des espèces. Il y a une différence de nature avec l'animal dit Bergson. L'homme serait un aboutissement bien qu'il n'y ait point de plan conçu d'avance.

Critique d'un finalisme radical et du mécanisme radical, l'évolution créatrice est une belle leçon de philo où les métaphores interviennent comme des intermèdes poétiques qui permettent au lecteur de reprendre son souffle et l’entraînent à voir les choses en creux - à moins que la leçon de philo ne soit qu'un intermède dans un élan poétique.

L'intelligence immobilise, découpe et conçoit un moi amorphe et des vides à combler. Spinoza m'a amené à Bergson et maintenant il me semble que quelques intuitions extrême-orientales, le non-agir, la vacuité, pourraient dégager l'horizon. Mais ici en occident les progrès de la science, un mécanisme radical poussent les philosophes dans leur retranchement.

Bergson déploie un effort considérable pour se mettre à la page des dernières découvertes, repasser sur les principaux chemins de la philosophie depuis l'antiquité, remonter la pente de l'intelligence et donner une nouvelle portée à la métaphysique.
Lien : http://classiques.uqac.ca/cl..
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Le rire

« du mécanique plaqué sur du vivant ». La comédie ne serait pas un art si ce principe primitif énoncé par Bergson n'était qu'une recette.

Pourtant, quand je vois la tête de Louis de Funes dans l'Avare (ou dans ses autres comédies), je vois immédiatement la raideur du personnage et ça suffit presque à faire rire.

Lorsque mes enfants de 9 et 11 ans ont ri à gorge déployée en regardant cette comédie (la version filmée), c'était presque étonnant. En tous les cas la belle langue de Molière faisait bien partie du cocktail.

J'ai lu le « Rire » en pensant à cette expérience. de quoi rit-on ? Pourquoi rit-on ?

En analysant les différentes formes du comique, Bergson teste aussi sa philosophie du vivant. Et comme tout ce qui est vivant, Bergson sait que le rire ne s'enferme pas dans une définition. C'est tout l'intérêt de sa philosophie. La pensée est mouvante, inductive, déductive, vivante entre l'incertitude et les triomphes éphémères. La langue est fluide, claire et concise tout en avoisinant la poésie.

L'art vise à faire lâcher prise et Molière réussi son coup lorsque le public se met à rire. Mais là on ne rit plus seulement de la raideur du personnage mais de son vice, l'avarice, et peut-être même de la vanité, mère de tous les vices.

C'est que le personnage de la pièce a lui aussi perdu une certaine attention à la vie en se comportant de la sorte. Et le rire ici, donc l'art, a une fonction de correction sociale. « On pourrait dire que le remède spécifique de la vanité est le rire, et que le défaut essentiellement risible est la vanité ».

Le « Rire » ouvre donc une réflexion sociologique qui ne demande qu'à être développée. Il ne faudrait donc sans doute pas trop prêter attention au pessimisme qui envahit Bergson à la fin de son essai : « le rire n'aurait rien de très bienveillant. Il rendrait plutôt le mal pour le mal ».

Il ne lui suffirait pourtant que prolonger sa propre citation de la poésie de Sully-Prudhomme (à propos de Spinoza) en dévoilant un vers de plus sur le bien et le mal :

"Ce sage démontrait avec simplicité

Que le bien et le mal sont d'antiques sornettes

Et les libres mortels d'humbles marionnettes

Dont le fil est aux mains de la nécessité".

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Le rire

Soyons clair, l'idée n'est pas de critiquer le point de vue du philosophe. L'objectif est de critiquer l'ouvrage.... c'est un bouquin de philo, c'est pas le genre roman quoi ! la philo c'est pas évident. L'avantage de Bergson c'est qu'il est relativement accessible, ce qui n'est pas le cas de Kant par exemple, le livre n'est pas trop indigeste, c'est le genre d'ouvrage qui peut réconcilier avec la philo.

Ce que j'ai aimé surtout dans ce bouquin c'est le fait que Bergson étaye sa théorie d'exemple clairs et il y a un chapitre "lectures" tout à fait instructif qui permet de resituer l'ouvrage dans le contexte.

Un livre en appellant d'autres, il m'a permit de découvrir le théatre de Labiche.
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L'évolution créatrice

La critique suivante est un extrait de mon livre "Croire ou savoir ?".



Les concepts flous



Dans son ouvrage « L’évolution créatrice », Bergson a recours à un mystérieux et vague « élan vital » pour rendre compte de l’évolution de la vie sur la Terre. Cette approche est, à mon sens, tout à fait similaire au recours à la « volonté de Dieu » pour rendre compte, par exemple, du mouvement des planètes. Il s’agit d’une pseudo-hypothèse qui n’apporte rien, n’explique rien, mais surtout est porteuses d’effets pervers dangereux : elle risque d’inhiber la démarche humble, patiente et méthodique d’observation, de réflexion et d’expérimentation, seule démarche susceptible de conduire pas à pas à une description et à une compréhension de plus en plus fines de la réalité. C’est malheureusement ce qui s’est produit pendant des siècles, avec toutes les conséquences néfastes qu’on connaît, par exemple sur la progression de la médecine. L’« élan vital » de Bergson peut paraître bien innocent, mais je pense vraiment qu’il contient ce germe de perversion, comme bien d’autres approches de ce type, passées ou actuelles. En cela, il est bien révélateur d’un écueil insidieux à éviter.

Chaque fois qu’on a essayé d’expliquer un phénomène de l’Univers physique (que ce soit la foudre, l’électricité, la vie, etc.) par des principes vagues, par des intentions, des dieux ou encore un Dieu, on a, au mieux, piétiné et parfois régressé. Non seulement ces tentatives ne sont pas des explications, mais c’est justement quand on s’en affranchit qu’on commence à progresser dans la compréhension. Ces tentations du passé ne sont pas encore mortes : on trouve encore de nombreux croyants qui essayent d’enfermer Dieu dans le Big Bang (comme une sorte de dernier refuge !). Pourtant, comme toujours, c’est quand on refuse ce genre de facilité qu’on commence à voir s’ouvrir des horizons nouveaux, toujours plus vastes et plus extraordinaires. Dans le cas du Big Bang, l’ouverture laisse entrevoir rien moins que des Univers multiples !



L’humilité de la recherche



Bien sûr, ceux qui ont eu le courage d’entrer dans cette voie de recherche et d’y persévérer ont bien compris qu’on n’a jamais fini de comprendre. Mais l’humilité et l’ascèse qu’elle exige sont payantes : les merveilles découvertes compensent largement les efforts effectués pour y parvenir.

Heureusement que les chimistes ne se sont pas laissé décourager par les préjugés de Bergson qui le conduisent à proposer que la chimie n’est pas applicable à la matière vivante. Ils n’auraient pas découvert tout l’univers de la chimie organique avec, au passage, une foule d’applications médicales pour soulager une multitude de douleurs physiques (et même psychique si l’on pense à toute la pharmacopée de la psychiatrie). Heureusement, de même, que les biochimistes ne se sont pas laissé impressionner par ces autres préjugés qui conduisent le même Bergson à penser que la chimie n’est pas pertinente pour rendre compte du fonctionnement des êtres vivants et de leur évolution. Ils n’auraient peut-être pas découvert l’ADN ni la multitude de ses applications et le généticien Craig Venter n’aurait peut-être pas osé entreprendre les travaux qui lui ont permis de réaliser cette formidable prouesse technologique que constitue le premier être vivant contrôlé par un génome entièrement synthétisé en laboratoire, le premier être vivant sans parents !



Le souci de la vérification



Dans « L’évolution créatrice », je ne rencontre que des suggestions (de formulation souvent imprécise) que des scientifiques appelleraient « hypothèses de travail ». C’est bien normal, quand on essaye de comprendre, de formuler des hypothèses de travail et c’est ce que font en permanence tous les scientifiques (jour et nuit, pourrais-je même ajouter par expérience personnelle…). Seulement voilà : une hypothèse de travail n’a pas d’autre but que de conduire à une prédiction réfutable. On réalise alors l’observation ou l’expérimentation destinée à confirmer ou à infirmer la prédiction et ce n’est qu’en cas de confirmation que l’hypothèse de travail est retenue. Dans le cas contraire (de très loin le plus fréquent), elle va rejoindre le cimetière bien rempli des « bonnes idées » fausses. C’est ainsi que fonctionne la science et c’est ce mécanisme qui est responsable de sa redoutable efficacité. Par contre, dans son « Évolution créatrice », Bergson n’élimine aucune de ses hypothèses de travail (puisqu’il ne les trie pas par l’expérience), de sorte qu’il se retrouve au milieu d’un fatras de préjugés.

Il apparaît, à la lecture, que Bergson est bien au courant des découvertes de son époque, particulièrement en biologie. Malheureusement, il procède un peu à la manière des créationnistes actuels : il passe sous silence toutes les prédictions bien réalisées des théories retenues par la science de son époque et il met l’accent sur quelques difficultés qu’elles n’expliquent pas encore pour justifier l’existence d’un « élan vital » qui pourtant n’explique rien de plus. Pour un lecteur du XXIème siècle, c’est assez amusant : je suis loin d’être un expert en biologie, mais pourtant j’ai plusieurs fois souri à la lecture, dans « L’évolution créatrice », d’un de ces mystères de l’époque de Bergson aujourd’hui bien résolu (et grâce à des explications autrement plus précises et convaincantes qu’un recours à un mystérieux « élan vital »).



L’émerveillement fondé sur le réel



À mon avis, le recours à des concepts flous (comme celui de l’« élan vital » ou même celui de Dieu) ne présente pas seulement un risque d’entrave méthodologique à la démarche scientifique progressive de compréhension. Il est également susceptible, et c’est encore plus grave, d’obscurcir l’enthousiasme quasi-mystique que procure l’approche intime du réel. Je suis personnellement beaucoup plus émerveillé par la contemplation de l’Univers et de la vie qu’il porte que par toutes les théories plus ou moins fumeuses inventées par les hommes, surtout quand ces théories ne sont pas confrontées à l’expérience. Je ne suis pas dupe : la nature est dure, cruelle. Mais, nom de Dieu (!!), qu’elle est belle ! Je n’ai jamais été déçu dans ma quête constante de la vérité. Oh, il ne s’agit certes que de la vérité avec un v minuscule (Ponce Pilate demandait, paraît-il, « Qu’est-ce que la Vérité ? » et là, il devait y avoir un V majuscule…). Qui plus est, on ne peut jamais l’atteindre cette vérité (et c’est même prouvé mathématiquement par la raison elle-même qui a réussi à découvrir ses limites !). Pourtant, c’est sur ce chemin rugueux et difficile que s’est toujours révélé progressivement à mon intelligence et à mon cœur une sorte de présence sereine, lumineuse. L’effort permanent de recherche m’en a rapproché de plus en plus et il continue de m’en rapprocher. C’est là, et là seulement, tout au fond de ma conscience, que je me permets d’envisager l’existence de Dieu. Mais ce n’est qu’une hypothèse de travail !

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Le rire

Le rire, c'est, écrit à de nombreuses reprises Bergson, "du mécanique plaqué sur du vivant". Ce qui ruine l'humanité de l'individu, sa liberté, son autonomie, son indépendance, sa prétention à exister par soi-même, tout cela fait rire. Par exemple voir quelqu'un trébucher dans la rue, percevoir un tic de langage ou un geste récurrent, un trait de caractère, entendre révéler le mécanisme de la langue par des jeux de mots, etc. Le rire est aussi, ainsi, humiliation.
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Le rire

Je connaissais l'existence de cet ouvrage depuis l'âge de seize ans et je ne l'ai lu qu'à trente-six ans. J'ai eu trop de temps pour en fantasmer le contenu. Il allait m'apporter toutes les réponses à ce mystère. J'ai évidemment été déçue. Dimanche, j'ai recroisé une vague connaissance. C'était un moment très embarrassant auquel j'ai vite coupé court. Elle s'est forcée à rire à mes vannes tant elle ne savait pas si j'étais sérieuse. En partant j'ai répensé à quelqu'un d'autre. Il avait beau ne pas m'apprécier, il ne parvenait pas à s'empêcher de rire à ce type de vanne. Il avait exactement la même expression de surprise que la fille d'une copine. Quand elle avait six ans, je lui racontais la Reine des Neiges de d'Andersen alors elle me racontait celle de Disney qui partait s'isoler parce qu'elle glaçait tout le monde. le plus sérieusement du monde, je lui ai dit "C'est l'histoire de ma vie!" Après la surprise, elle a éclaté de rire. Bergson, n'explique pas ça. C'est sans doute mieux comme ça. Ca reste magique. Je comprends bien son propos, sur la mise à distance, et la petite "gifle" sociale. Je comprends bien le fait que d'autres le décrivent comme un mécanisme de défense. Pourtant je crois que c'est ce que j'ai préféré dans la vie, c'est rire et faire rire. La vie ne vaut d'être vécue sans humour.
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L'évolution créatrice

Bergson n'aime pas les conceptions mécanistes de l'évolution de Darwin et de Spencer. Ce que les biologistes ne voient pas, c'est que leur conception de la différenciation n'a de sens que ramenée à un mouvement unitaire et continu qu'ils prétendent éluder au profit d'une savante mécanique aveugle qui agirait par causalité. C'est l'intelligence qui est responsable de cette illusion, celle que l'on puisse saisir de l'instable et du mouvement à partir du stable et de l'inerte, ce que font les biologistes en étudiant des êtres vivants singuliers et en prétendant deviner ce qu'il se passe - ou s'est passé - entre eux.



C'est que l'intelligence est spatialité et qu'elle se sent particulièrement à son aise dans le travail de découpage et de décomposition de la seule réalité qui soit, le mouvement. A partir de ses pièces découpées, l'intelligence s'amuse alors à inventer des systèmes, aussi froids, inertes et morts que les morceaux de réalité qu'elle étudie. Au contraire, pour comprendre la réalité, qui est vivante, il faut exercer l'intuition.



C'est pour cela que pour Bergson, la théorie de l'évolution, si elle existe, ne peut être mécaniste (causalité) ni finaliste (elle travaille en vue d'une fin ultime), elle doit être conscience, qui est la seule manière de comprendre comment les êtres vivants poursuivent leur existence, c'est-à-dire en suivant le mouvement de la vie collé à la réalité. L'évolution est donc une création perpétuelle de solutions par des êtres vivants conscients. S'il n'y avait pas création, la réalité serait donnée tout d'un coup comme sur une pellicule cinématographique. Puisque ce n'est pas le cas, c'est bien que l'avenir reste indéterminé et soumis à l'action de la conscience.



Ainsi, le mouvement général, cet élan de vie qui soulève la matière pesante qui suit un mouvement descendant, ne peut qu'être un mouvement d'élévation, un cheminement vers la liberté dont la conscience humaine, la plus développée, est à la fois l'aboutissement et l'instrument.



On lit ça et là que l'écriture de Bergson est fluide et limpide, mais ce n'est pas mon opinion. Au contraire, il est difficile à "accrocher", et l'on est sans cesse dévié par des images, des métaphores, des sujets annexes qui ne viennent qu'avec une réflexion supplémentaire se rattacher au fil du discours. Il est vrai que l'écriture est souvent belle et, en un sens, monumentale, mais l'ensemble du propos reste, je trouve, décousu, ou manque d'uniformité. L'impression vient cependant à la lecture de Bergson que Sartre et Merleau-Ponty y ont puisé une part importante de leur inspiration (le néant, la conscience agissante, le corps propre, la spatialité, etc.). Très beau texte en tous les cas, mais à relire, sans doute, du fait de son hétérogénéité.
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Essai sur les données immédiates de la conscience

Les données immédiates de la conscience ressembleraient assez à la fusion d'une multitude de sentiments et de sensations de nature différentes, hétérogènes, se produisant à l'état de rêve.

Mais revenons à la vie active et ces états de conscience deviennent des grandeurs, les qualités deviennent des quantités, on parle de choses plus ou moins belles, plus ou moins fortes, plus ou moins chaudes, conçues dans un espace homogène.

Bergson se place sur le terrain de l'observation systématique et n'hésite pas à puiser dans les références scientifiques, jusque dans la psychophysique pour sortir « du champs clos de la dialectique pure ». Ce premier livre du philosophe est l'occasion de se familiariser avec sa méthode.

Cette longue introduction est justifiée par l'importance de la confusion qui s'opère : « elle corrompt, à leur source même nos représentations du changement extérieur et du changement interne, du mouvement et de la liberté », une liberté précédemment abandonnée par Kant dans son monde inaccessible des « noumènes ».

Voici une petite expérience à mener entre amis ou en famille sur la base des paradoxes de Zenon : on lance une pierre, celle-ci doit parcourir d'abord la moitié de la distance qui la sépare de la cible. Pour parcourir la distance restante, la pierre devra d'abord parcourir la moitié de cette distance et ainsi de suite, elle ne touchera jamais sa cible…

La confusion est ici à son comble : «… dans la mesure où tout mouvement nous paraît consister dans une succession de position simultanées. En réalité le mouvement est irréductible aux points occupés par un mobile dans l'espace: il résulte d'un acte de synthèse de la conscience, analogue à la succession temporelle de nos états de conscience ». (solution de Bergson résumée dans les commentaires du dossier critique de cette édition dirigée par Frédéric Worms).

Passant de « l'immédiat à l'utile », cette réalité qui est l'espace homogène, « nettement conçue par l'intelligence humaine nous met à même d'opérer des distinctions tranchées, de compter, d'abstraire, et peut être de parler. ». Bergson aime d'ailleurs faire de cette conception une différence de nature entre l'homme et l'animal.

Sa philosophie c'est « l'esprit humain faisant effort pour s'affranchir des conditions de l'action utile et pour se ressaisir comme pure énergie créatrice ». Ainsi on aurait sans doute l'impression d'un animal laissé très loin de chez lui mais qui saurait revenir sans problèmes.
Lien : http://classiques.uqac.ca/cl..
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