Citations de Henri Cazalis (38)
LES HARPES DE DAVID
La nuit se déroulait, splendide et pacifique;
Nous écoutions chanter les vagues de la mer,
Et nos coeurs éperdus tremblaient dans la musique;
Les harpes de David semblaient pleurer dans l'air.
La lune montait pâle, et je faisais un rêve:
Je rêvais qu'elle aussi chantait pour m'apaiser,
Et que les flots aimants ne venaient sur la grève
Que pour mourir sur tes pieds et les baiser;
Que nous étions tous deux seuls dans ce vaste monde;
Que j'étais autrefois sombre, errant, égaré;
Mais que des harpes d'or en cette nuit profonde
M'avaient fait sangloter d'amour et délivré,
Et que tout devenait pacifique, splendide,
Pendant que je pleurais, le front sur tes genoux,
Et qu'ainsi que mon coeur le ciel n'était plus vide,
Mais que l'âme d'un Dieu se répandait sur nous!
Chants de l'Amour et de la Mort
Amour, vin étrange !
Ceux que tu désaltères
ont toujours plus soif
après qu'ils ont bu
(" Le livre du néant ")
Combien de temps dureront-ils encore
les paysages du ciel et de la terre?
Combien de temps encore
s'ouvriront les roses,
chanteront les oiseaux,
fleuriront les aurores,
brûleront les étoiles
et le coeur des hommes?
(" Le livre du néant ")
Arbres, silencieux géants , spectres sans voix,
qui apparaissez devant nos yeux;
fils aînés de la Nature, rochers noirs,
endormis immobiles sous les claires étoiles ;
lune, témoin éternel,
Qui êtes-vous
et qui suis-je ?
Et pourquoi nous rencontrer ainsi
dans l'immensité de l'abîme ,
moi, vous interrogeant,
Et vous, pleins de silence ?
(" Le livre du Néant ")
Au milieu du désert, je sais une eau bleue:
ce sont tes regards, mon amour.
Mes désirs sont les flamants roses,
qui s'y viennent désaltérer.
(" Le livre du Néant")
LE CIEL D’ORIENT
AU milieu du désert, je sais une eau bleue : ce sont tes regards, mon amour. Mes désirs sont les flamants roses, qui s’y viennent désaltérer.
p.104
OURAGAN NOCTURNE
LES vagues se cabraient comme des étalons
Et dans l’air secouaient leur crinière sauvage,
Et mes yeux, fatigués du calme des vallons,
Voyaient enfin la mer dans une nuit d’orage.
Le vent criait, le vent roulait ses hurlements,
L’Océan bondissait le long de la falaise,
Et mon âme, devant ces épouvantements
Et ces larges flots noirs, respirait plus à l’aise.
La lune semblait folle, et courait dans les cieux,
Illuminant la nuit d’une clarté brumeuse ;
Et ce n’était au loin qu’aboiements furieux,
Rugissements, clameurs de la mer écumeuse.
— Ô Nature éternelle, as-tu donc des douleurs ?
Ton âme a-t-elle aussi ses heures d’agonie ?
Et ces grands ouragans ne sont-ils pas tes pleurs,
Et ces vents fous, tes cris de détresse infinie ?
Souffres-tu donc aussi, Mère qui nous as faits ?
Et nous, sombres souvent comme tes nuits d’orage,
Inconstants, tourmentés, et comme toi mauvais,
Nous sommes bien en tout créés à ton image.
p.298-299
PENSÉES DOULOUREUSES OU BOUFFONNES
DANS UNE FORET, LA NUIT.
ARBRES, silencieux géants, spectres sans voix, qui apparaissez devant mes yeux ; fils aînés de la Nature, rochers noirs, endormis immobiles sous les claires étoiles ; lune, témoin éternel, qui êtes-vous, et qui suis-je ? Et pourquoi nous rencontrer ainsi dans l’immensité de l’abîme, moi, vous interrogeant, et vous, pleins de silence ?
COMME ces nuées d’oiseaux voyageurs, qui par-dessus nos têtes traversent le ciel et se perdent au loin, sans que nous puissions savoir ni d’où ils viennent, ni où s’enfuit leur vol, ainsi devant nos yeux passent les choses créées ; et nous ne connaissons ni le royaume impénétrable de la formation des êtres, ni le royaume sombre de leur transformation.
p.16-17
L’ILLUSION
LA Pensée est l’atmosphère des choses. Elle est l’Infini où se meuvent les mondes, l’Éternité où se meut le temps. La Pensée est la grande Aïeule, la demeure des êtres, la source profonde de la vie, la Force, d’où sortent toutes les forces, les puissants orages électriques, comme les éclairs de nos passions.
Et la Matière même n’est qu’une des mille apparences, une des formes par elle revêtues.
LE moindre atome contient une force : et cette force n’est, elle aussi, qu’un des modes de la Pensée.
« Fendez un atome, vous y trouverez le Soleil, » dit un poëte persan.
p.154
PENSÉES DOULOUREUSES OU BOUFFONNES
LE fond des choses est inquiétant ; mais la surface nous rassure, et nous nous laissons prendre aux éclats de rire du Soleil.
p.15
PENSÉES DOULOUREUSES OU BOUFFONNES
LA création est-elle comme ce livre que feuilletait Hamlet, vide de sens ? Des mots, des mots, des mots !…
p.67
L'homme, la bête et l'arbre ont les mêmes secrets.
La sève est un sang pâle aux veines des forêts.
PENSÉES DOULOUREUSES OU BOUFFONNES
SANS cet orgueil humain, par lequel l’homme se considère si souvent comme un point central, en cet infini, « dont le centre est partout et dont la circonférence n’est nulle part, » comment, impuissant et débile, oserait-il donc quelque chose, et l’Infini ne l’écraserait-il pas de toute son immensité ?
p.71
L’ILLUSION
RIEN n’est simple, tout est complexe, tout est étrange ici-bas. Si l’on avait quelque profondeur dans l’analyse, on verrait que le moindre atome sort de l’éternité et de l’infini, et a fait pour arriver jusqu’à moi, dans ma main qui écrit ou mon cerveau qui pense, un chemin plus long que d’ici au Soleil ou à la plus reculée des étoiles. On ne voit guère aujourd’hui que la surface des choses ; on ne voit pas l’abîme qui est sous elles, l’abîme de causes et d’effets, de mouvements, de courants sans fin, de flux et de reflux qui les ont fait un jour s’élever à la surface.
p.150-151
Toujours
Tout est mensonge : aime pourtant,
Aime, rêve et désire encore ;
Présente ton cœur palpitant
À ces blessures qu’il adore.
Tout est vanité : crois toujours,
Aime sans fin, désire et rêve ;
Ne reste jamais sans amours,
Souviens-toi que la vie est brève.
De vertu, d’art enivre-toi ;
Porte haut ton cœur et ta tête ;
Aime la pourpre, comme un roi,
Et n’étant pas Dieu, sois poète !
Rêver, aimer, seul est réel :
Notre vie est l’éclair qui passe,
Flamboie un instant sur le ciel,
Et se va perdre dans l’espace.
Seule la passion qui luit
Illumine au moins de sa flamme
Nos yeux mortels avant la nuit
Éternelle, où disparaît l’âme.
Consume-toi donc, tout flambeau
Jette en brûlant de la lumière ;
Brûle ton cœur, songe au tombeau
Où tu redeviendras poussière.
Près de nous est le trou béant :
Avant de replonger au gouffre,
Fais donc flamboyer ton néant ;
Aime, rêve, désire et souffre !
L'Illumination des Alpes
Les Alpes aux seins blancs se dressent dans l'air bleu;
L'ardent Soleil les mord de ses lèvres de feu;
L'amant divin est près de quitter ses maîtresses,
Et pour suprême adieu, pour dernières caresses,
Sur leurs beaux corps neigeux par son âme embrasés,
En un large incendie il répand ses baisers.
L'illumination immense de sa joie
Roule sur l'océan des cimes qui flamboie;
Et tout rougit, tout brûle, et le Soleil descend
Dans la gloire de l'or, de la pourpre et du sang.
Tandis qu'une ombre froide envahit les abîmes,
Cette pourpre s'attarde et fleurit sur les cimes.
Puis le couchant s'éteint; plus un sommet ne luit;
Un crépuscule vert précède encor la nuit.
Silencieuse et morne, ainsi qu'un temple vide,
Chaque cime présente une face livide,
Pâle de la pâleur d'un cadavre glacé;
Et tout ce fol éclat s'est soudain effacé.
0 symbole entrevu, devant ces Alpes roses,
Des trompeuses clartés que revêtent les choses!
Ces pourpres, ces éclairs embrasant les sommets
Transfiguraient aussi mon âme, quand j'aimais
Je la sais aujourd'hui, la fantasmagorie
De ce vain monde avec ses heures de féerie;
Et cependant je suis heureux d'avoir été
L'éphémère témoin de sa vague beauté,
Et d'avoir, conscient de l'infini mensonge,
Parfois tremblé d'amour, attendri par le songe.
L’Illusion
RÉMINISCENCES
À DARWIN
Je sens un monde en moi de confuses pensées,
Je sens obscurément que j’ai vécu toujours,
Que j’ai longtemps erré dans les forêts passées,
Et que la bête encor garde en moi ses amours.
Je sens confusément, l’hiver, quand le soir tombe,
Que jadis, animal ou plante, j’ai souffert,
Lorsque Adonis saignant dormait pâle en sa tombe ;
Et mon cœur reverdit, quand tout redevient vert.
Certains jours, en errant dans les forêts natales,
Je ressens dans ma chair les frissons d’autrefois,
Quand, la nuit grandissant les formes végétales,
Sauvage, halluciné, je rampais sous les bois.
Dans le sol primitif nos racines sont prises ;
Notre âme, comme un arbre, a grandi lentement ;
Ma pensée est un temple aux antiques assises,
Où l’ombre des Dieux morts vient errer par moment.
Quand mon esprit aspire à la pleine lumière,
Je sens tout un passé qui me tient enchaîné ;
Je sens rouler en moi l’obscurité première :
La terre était si sombre aux temps où je suis né !
Mon âme a trop dormi dans la nuit maternelle :
Pour monter vers le jour, qu’il m’a fallu d’efforts !
Je voudrais être pur : la honte originelle,
Le vieux sang de la bête est resté dans mon corps.
Et je voudrais pourtant t’affranchir, ô mon âme,
Des liens d’un passé qui ne veut pas mourir ;
Je voudrais oublier mon origine infâme,
Et les siècles sans fin que j’ai mis à grandir.
Mais c’est en vain : toujours en moi vivra ce monde
De rêves, de pensers, de souvenirs confus,
Me rappelant ainsi ma naissance profonde,
Et l’ombre d’où je sors, et le peu que je fus ;
Et que j’ai transmigré dans des formes sans nombre,
Et que mon âme était, sous tous ces corps divers,
La conscience, et l’âme aussi, splendide ou sombre,
Qui rêve et se tourmente au fond de l’univers !
Ce qu'il a voulu, nous tous le devons vouloir il a voulu que son pays, comme chaque pays, gardât ou reprit pieusement la tradition de son art national; et il a voulu que cet art fût logique, fût simple, fût sain et robuste.
LE TSIGANE DANS LA LUNE
C'EST un vieux conte de Bohème :
Sur un violon, à minuit,
Dans la lune un tsigane blême
Joue en faisant si peu de bruit
Que cette musique très tendre,
Parmi le silence des bois,
]usqu’ici ne s’est fait entendre
Qu’aux amoureux baissant la voix.
Mon amour, l’heure est opportune :
La lune argente le bois noir ;
Viens écouter si dans la lune
Le violon chante ce soir !
p.16
L’ILLUSION
J’ETAIS avant ma naissance, et j’étais avant la naissance des choses ; j’étais avec la matière infinie ; chaque atome de mon corps errait à travers l’infini ; et ma pensée flottait dans l’abîme de la Pensée divine, aspirant à la vie, à la liberté, à la solitude, — comme ces êtres plongés dans le fond de la mer, et qui lentement tendent vers la surface lumineuse…
p.158