L'école réaliste moderne dont Gustave Courbet a été l'initiateur et dont il demeurera incontestablement la personnification la plus brillante et la plus forte, est appelée à remplir une place trop importante dans l'art contemporain pour que la physionomie de son plus grand maître ne soit pas étudiée avec soin. En dehors de l'artiste, la figure de l'homme a un côté intéressant et fort curieux.
Courbet, qu'on avait installé au second étage dans une chambre à deux lits, dont il avait fait un atelier, travaillait avec une ardeur sans relâche. Il avait, depuis son arrivée, expédié deux toiles commandées à Paris. Son talent commençait à faire grande sensation, et, cette année-là, si je ne me trompe, le peintre d'Ornans avait obtenu des bourgeois du jury, une première médaille. — Le plus pauvre, le seul besoigneux des hôtes de Laurier, était Pierre Dupont ; mais en qualité de poète, c'était certainement celui auquel l'avenir causait le moins de préoccupations. Il se trouvait si béatement heureux chez son hôte que, pour l'instant, il n'avait nul souci du reste.
Les champs et la nature attiraient Courbet plus que les hommes, et les ravissants paysages au milieu desquels est encadrée la petite ville d'Ornans, influèrent certainement sur son esprit et sur ses goûts. Ornans, située à sept lieues de Besançon, dans le vallon de la Loue, est divisée par la rivière en deux parties qui communiquent entre elles par deux ponts de pierre. Dans une petite gorge, au nord-ouest de la ville, sur un plateau élevé, dominé par de hautes montagnes, se trouvent les ruines du vieux château d'Ornans, ancienne résidence des ducs de Bourgogne.
J'ai connu Courbet dans ma première jeunesse. Ma famille habitait alors Ornans, et je n'ai pu manquer d'y rencontrer le maître peintre. A cette époque (1857-58-59), il s'éloignait volontiers de Paris; il aimait la province et Montpellier tout particulièrement. A Ornans, il descendait chez son père, un très-gros bourgeois agriculteur, possédant des terres qu'il faisait valoir lui-même. Deux soeurs non mariées complétaient la famille.
Envoyé, à vingt ans, à Paris, pour commencer son droit, — M. Oudot, professeur à la faculté, était son parent, — il s'empressa d'y faire tout autre chose. Un peintre de Besançon, un brave M. Flageoulot, l'avait initié, comme disait Courbet, « aux principes de l'art ; » mais l'élève préféra étudier à Paris. Il fréquenta les ateliers d'Auguste Hesse et de Steuben et copia avec frénésie les maîtres flamands, hollandais, vénitiens.
Courbet adorait les horizons d'Ornans, et ceux qui connaissent le pays peuvent se rendre compte de la vérité avec laquelle il le peignait. Courbet y a trouvé ses improvisations les plus vraies et les plus délicates. MM. Castagnary et Champfleury l'accompagnaient quelquefois en Franche-Comté ; à Ornans, leurs noms sont connus presque autant que celui du célèbre peintre.