Entre les murs gris, on marche des heures durant, cinq en long, trois en large - et pourtant, dans l'argot des prisons cela s'appelle "piquer le dix". Même là, il n'y a pas le compte !
Vous cherchez à deviner la silhouette à travers la vitre opaque. Vous ne voyez qu’une forme haute, imprécise, qui se déplace. Le tour débite la ferraille, dans un ronronnement qui s’intensifie parfois, pendant une fraction de seconde. Une paille dans la fonte.
Le condamné à mort ne pense qu’à des choses simples. Au froid. À l’odeur. À la vie qui est vécue et qui ne se renouvellera pas. Il est assis là, sur le bas-flanc, les mains entre les genoux, l’œil fixe, le dos un peu voûté et il laisse des idées simples, des images simples, venir à lui. Il sent vaguement qu’il est désormais stérile de supputer, de construire, de déduire. On se dépouille du superflu, on vit de quelques souvenirs que l’on n’a pas sollicités, mais qui vous visitent à intervalles, tantôt clairs, tantôt gris, mais toujours étonnamment précis.
Ces silences se prolongent, si lourds qu’on aimerait les faire éclater. Mais, déjà, elle a franchi la porte. Alors, on est malheureux, on étouffe. On voudrait qu’elle soit encore là, expliquer, l’embrasser. Mais elle est dans une rue, se hâtant vers le cabaret, et les vieux vont respirer fort quand elle sera nue dans la lumière de l’estrade.
Elle est toute seule, c’est son choix. Quand elle a besoin de compagnie, elle paie. Elle ne s’encombre plus d’aucun principe. Elle n’a pas toujours été comme ça. Pendant des années, elle a investi sur le respect des règles et de la religion.
Vous avez tourné dans le sens de la flèche et vous êtes tombé sur la fille, qui tournait dans le sens opposé. Vous avez tout de suite remarqué l’éclat de sa peau dorée, luxueuse, tendue, comme celle des enfants des beaux quartiers.
Les heures, elles, sont à la fois éphémères et interminables. On redoute ce qu’on attend, mais l’attente est épuisante. On n’a pas envie de dormir, on n’a envie de rien. Alors, on pense au temps où tout était différent.