L'histoire telle qu'on l'écrit ressemble à l'histoire telle qu'elle s'est passée comme une caricature ressemble au modèle.
Et tandis que se développait sur notre sol cette civilisation nationale, nos provinces rompaient l'une après l'autre les liens qui les attachaient soit à l'Allemagne, soit à la France, et tendaient insensiblement à se rapprocher les unes des autres et à former, entre les deux grandes puissances qui se partageaient à l'origine cet Etat intermédiaire, fait de deux fragments d'Etats, que les duc de Bourgogne ont enfin réussi à créer au XVe siècle, et qui dure encore.
Le roi est absolu : dominus noster gloriosissimus rex. Il est héréditaire et le peuple ne participe pas au pouvoir. Les traces d’assemblées de l’armée que Schmidt signale, faute de pouvoir découvrir de vraies assemblées nationales, sont des faits divers comme on en trouve beaucoup, d’ailleurs, sous le Bas-Empire.
Le roi nomme tous ses agents. Il y a, à sa cour, des grands germaniques et romains ; ceux-ci beaucoup plus nombreux d’ailleurs.
Pour que l’État soit gouverné, il faut que le roi conserve la puissance de s’affirmer ; il n’y a d’ailleurs contre lui et contre cette manière de gouverner aucune opposition d’aucune sorte, ni nationale, ni politique. Les partages eux-mêmes qui reclassent si fréquemment les hommes et les territoires, sont l’affaire des rois qui se répartissent leur héritage. Les peuples restent indifférents. Le prestige de la dynastie est très grand et sans doute incompréhensible sans l’Église, car on ne peut invoquer pour l’expliquer aucun sentiment germanique.
S’il est vrai que le roi se considère comme le propriétaire de son royaume, la royauté n’a pourtant pas un caractère aussi privé qu’on l’a soutenu. Le roi distingue sa fortune privée du fisc public. Sans doute, la notion du pouvoir royal est plus primitive que chez les Wisigoths. À la mort du roi, ses États se partagent entre ses fils, mais c’est là une conséquence de la conquête, et qui n’a rien d’ailleurs de germanique.
À vrai dire, une minorité peut transformer un peuple quand elle veut le dominer effectivement, quand elle n’a pour lui que mépris, et le considère comme une matière à exploiter ; ce fut le cas pour les Normands en Angleterre, pour les Musulmans partout où ils apparurent, et même pour les Romains dans les provinces conquises. Mais les Germains ne voulaient ni détruire, ni exploiter l’Empire. Au lieu de le mépriser, ils l’admiraient. Ils n’avaient rien à lui opposer comme forces morales.
Ce qui reste pour soutenir le commerce, ce sont les juifs. Ils sont nombreux partout. Les Arabes ne les ont ni chassés, ni massacrés, et les chrétiens n’ont pas changé d’attitude à leur égard. Ils constituent donc la seule classe dont la subsistance soit due au négoce. Et ils sont en même temps, par le contact qu’ils conservent les uns avec les autres, le seul lien économique qui subsiste entre l’islam et la chrétienté ou, si l’on veut, entre l’Orient et l’Occident.
Il va de soi qu’en pleine guerre, le vainqueur ne laissa pas ses sujets trafiquer avec le vaincu. Et lorsque la paix ranima l’activité dans les provinces conquises, l’islam l’orienta vers les destinées nouvelles que leur ouvrait l’immensité de ses conquêtes.