Citations de Henri Queffélec (73)
Il doute du témoignage de ses yeux qui virent le printemps sur l'île et il voudrait croire qu'il a vu des mirages. Il n'est pas possible que des aubes glorieuses, se déployant dans le fond du ciel, aient éclairé ce morceau de récif...
Il ne voulait pas se fourrer au presbytère comme un bernard-l'hermite dans un bigorneau.
L a tempête file, et les bateaux, et la nuit. A chaque seconde éclatent des milliers de lames et les étraves défoncent la mer. La nuit et les hommes iront jusqu'au bout d'eux-mêmes, le mécanisme est déclenché.
Nuit sans étoiles, grasse et gluante comme du varech frais, peuplée de gouttes de pluie solitaires et menues qui touchaient le corps avec douceur.
Au-delà des digues, l’eau, le ciel et la pluie se confondent en une sublime muraille de brume qui repousse dans un autre monde les rivages disparus. L’univers daourneniste se réduit à une grande flaque chargée de barques vaines et où un goéland fané par la pluie dérive lentement.
Qui voit Ouessant voit son sang, disaient les navigateurs.
Les mots sont des nasses ridiculement étroites. On y enferme trop peu d'idées.
Dans quelle mesure ce roman est-il tiré de la réalité ? Ses personnages, les événements qu'il relate, tout cela est fictif et peut-être aurais-je dû souligner ce caractère de fiction en attribuant un nom imaginaire au port du pas de Calais où est basé le remorqueur l’Élan et que j'ai jugé commode d'appeler Boulogne.
Cela dit, c'est bien à Boulogne qu'est née l'idée de ce roman.
Je me trouvais sur le pont du Jean-Bart, le remorqueur prestigieux dont les exploits lui ont conquis la première place dans une zone de plus en plus étendue et qui est le "Flag-Ship" de la "Société de Remorquage et de Sauvetage du Nord". Je ne pensais nullement à un sujet de roman en montant sur ce bateau. Ce furent M.Jean le Glatin, son commandant, et M.Potaillon, sous directeur de la S.R.S.N., qui m'invitèrent alors à écrire un livre sur le sauvetage.
Ils peuvent témoigner que, dans mon respect pour l’œuvre de Vercel, j'ai longtemps hésité à l'entreprendre...
(extrait de la préface de l'édition parue chez "Presses Pocket" en 1963)
Dehors le vent augmentait. Les chevaux et les moutons qui couchaient sur la dune auraient demain la tête pleine de rêves et leur viande sentirait davantage la mer goémoneuse.
Le code ouessantin ne s'imprime ni à Paris ni en Hollande. Son vélin, c'est le vent qui souffle et on l'apprend comme on respire.
Qu'est-ce que peut vouloir comme cadeau, par exemple, une veuve Abaléa ? Un beau peigne d'écaille à la manière espagnole ? Mais de quoi elle aurait l'air avec ? Un bouquet de fleurs ? Quelles fleurs ? Des grandes comme dans les églises ou des petites comme dans les champs ? Non, pas de fleurs, une langouste, une grosse, une monstrueuse, dans les cinq six kilos. Oui c'est ça, une fraîche, une vivante, une qui cause quand on la remue, grrriiii, grrriiii, on trouvera bien un camarade pour vous dénicher la bête.
Après la dictée où il est questions de vaches "magnifiques, orgueil du maître, avec leurs larges flancs bruns, beaux et pleins de reflets comme des tapisseries", vient la traite du soir, assurée par Maria, de petites bêtes maigrichonnes et sales.
Vous interdisez les épaves et vous voulez qu'on se marie ? Y a pas de raison. Les chrétiens n'ont pas été mis sur la terre pour manger des cailloux et boire de l'eau salée.
Les tempêtes d'équinoxe existaient bel et bien, pouvaient bel et bien être terribles. Épargnée par les tremblements de terre, la Bretagne avait ses tremblements de mer.
Médée ferme les yeux une seconde. Il voyait Aurélia. Défaisant sa coiffe avant de se coucher. Posant des épingles sur la commode. Soupirant. Diminuant la flamme de la grande lampe à pétrole. Écoutant dehors le bruit du vent et cherchant à se représenter la mer... Comment fait le bruit des vagues sur la Côte Sauvage ?... Elle regarde la photographie de leur couple, là-bas, dans la pénombre.
Cette femme n'avait pas le droit de devenir la veuve d'un péri en mer.
Un gravat s'éparpille et, comme un trésor sous la pioche du démolisseur, la lune se montre, qui jette sur les choses sa lumière pâle, égarée. Astre inachevé, rogné sur les bords comme un vieux sou, mais ayant trouvé sa posture de reine fainéante de la nuit.
Sous le ciel bas et maintenant hurleur, elle traversait les champs et les prairies de son lourd pas masculin, en larges hanchées qui déportaient son corps, tantôt à droite, tantôt à gauche, et le vent soulevait ses cheveux comme des algues et claquait dans ses jupes comme sur une armoire.
La demi-cordée se remonte, encore triomphale. Quantité, qualité – diversité aussi. Dire que tous ces poissons eussent pu rester ici à se dévorer les uns les autres. Un palangrier douarneniste qui se nommait le Gamineur les avait flairés comme le requin les eaux sanglantes. Il ne s’en laissait pas conter, lui, sur la pénurie des fonds marins ! Les Japonais et les Norvégiens étaient de grands pêcheurs ; les Bretons également ! (p. 82, Chapitre 4, Première partie).
J'ai commencé plusieurs fois un journal et ne prends pas au sérieux ma nouvelle tentative. Seulement je m'ennuie trop. Ecrire ne compte pas pour moi, je veux dire que je ne suis pas un écrivain-né ; mais j'éprouve un plaisir à tracer des phrases ; écrire m'élève au-dessus de ce sale hôtelier (grand nom pour ce type !), de cette bonne qui pousse un lit, de l'inconnu qu'il me faudra gruger.
Peut-être arriverai-je, par un journal suivi, à orner ma ridicule existence. J'ai vu des images de film styliser et rendre séduisantes des pièces pauvres, des murailles froides - ou si c'était le fini de l'évocation qui les tirait vers la beauté. Un grand nombre de détails bien décortiqués, bien ordonnés, et la médiocrité et la saleté en imposent. Je veux essayer encore de me décrire ma misère.
187 - [Le Livre de poche n°3351, p. 7]
La mer mangeait l’île. Eux, ils capturaient les poissons de la mer. Ils s’étaient installés sur le dos de la mer comme des puces sur le dos d’un chien et ils vivaient de sa substance tandis qu’elle cherchait à les abattre. Guerre sans paix ni trêve.