Citations de Henry Miller (1057)
Je commençais à lire, à trop lire. Je me tournais vers le dedans, je me refermais sur moi-même, comme font les fleurs, la nuit.
Mais pour en revenir à cette liste... [Liste des lectures de Miller, demandée par les éditions Gallimard] je veux bien préciser qu'elle comprend à la fois les bons et les mauvais livres. Je dois d’ailleurs convenir que, lorsque j’y pense , je suis incapable de dire lesquels ont été mauvais. S’il me fallait donner un critère en ce qui concerne les livre bons ou mauvais, je dirais… qu’il y a ceux qui sont vivants et ceux qui sont morts. Certains livres non seulement donnent une sensation de vie, entretiennent la vie, mais encore, à l’exemple de quelques rares êtres humains, augmentent la vie. (p.156)
Ne pas dire un mot de toute une journée, ne pas voir de journal, ne pas entendre de radio, ne pas écouter de commérage, s'abandonner absolument, complétement à la paresse, être absolument, complètement indifférent au sort du monde, c'est la plus belle médecine qu'on puisse s'administrer.
Goutte à goutte, on dégorge sa culture livresque, les problèmes fondent et se dissolvent : les liens sont tranchés en douceur ; la pensée quand on daigne s'y adonner devient très primitive.
Les livres tendent à nous séparer, le théâtre tend à nous unir. Le public, pareil à une pâte molle entre les mains d'un dramaturge habile, ne connaît jamais de solidarité plus grande que durant la brève période d'une heure ou deux qu'il faut pour représenter une pièce. On ne retrouve que pendant une révolution quelque chose de comparable à cette unité de la foule. Si l'on sait s'en servir, le théâtre est une des armes les plus puissantes que l'on puisse mettre entre les mains de l'homme.
...j'avais tiré cette conclusion que les hommes qui trempaient le plus dans la vie, qui la moulaient, qui étaient la vie même, mangeaient peu, dormaient peu, ne possédaient que peu de biens, s'ils en avaient. Ils n'entretenaient pas d'ilusions en matière de devoir, de procréation, aux fins limitées de perpétuer la famille ou de défendre l'état. Ce qui les interessait, c'était la vérité, rien que la vérité. Ils n'accordaient de valeur qu'à une forme d'activité: créer.
Toute la difficulté avec Bessie, c'était qu'elle ne pouvait pas, ou ne voulait pas se considérer comme un simple coup à tirer. Elle parlait de passion, comme si c'était là un mot flambant neuf. elle était passionnée pour tout, même pour une chose sans importance, comme un petit coup à tirer. Il fallait qu'elle y mît son âme.
"Mais je suis passionné moi aussi, parfois",disait Van Norden.
"Ho! toi!" répond Bessie. "Tu n'es qu'un satyre épuisé. Tu ne sais pas ce que signifie la passion. Quand tu bandes, tu crois que tu es passionné."
"Bon!... Peut-être après tout ce n'est pas de la passion, mais tu ne peux pas être passionné sans bander, c'est vrai ou non?"
Tout cela pour dire que les livres que j'ai le plus de plaisir à lire sont ceux qui me mettent en rapport avec l'incroyable nature de l'être humain. (...)
Si je me passionne pour l'existence des artistes, dans tous les domaines, je m'intéresse plus vivement encore à l'homme dans son ensemble. (p.190-191)
Quels ont été les sujets qui m'ont fait rechercher les auteurs que j'aime, qui m'ont permis d'être influencé, qui ont façonné mon style, mon caractère, ma conception de la vie? Les voici en gros: l'amour de la vie, la poursuite de la vérité, de la sagesse et de la compréhension, le mystère, la puissance du langage, l'ancienneté et la gloire de l'homme, l'éternité, le but de l'existence, l'unité de toute chose, la libération de soi-même, la fraternité humaine, la signification de l'amour, les rapports entre le sexe et l'amour, le plaisir sexuel, l'humour, les bizarreries et les excentricités dans tous les aspects de la vie, les voyages, l'aventure, la découverte, la prophétie, la magie (blanche et noire), l'art, les jeux, les confessions, les révélations, le mysticisme, et plus particulièrement les mystiques eux-mêmes, les religions et cultes divers, le merveilleux dans tous les domaines et sous tous ces aspects car "il n'y a que le merveilleux et rien que le merveilleux".
En ai-je oublié ? Remplissez vous-mêmes les vides ! je me suis intéressé, et je continue à m'intéresser à tout. (p.160-161)
Je suis un homme libre-- et j'ai besoin de ma liberté. J'ai besoin d'être seul. J'ai besoin de méditer ma honte et mon désespoir dans la retraite; j'ai besoin du soleil et du pavé des rues, sans compagnons, sans conversation, face à face avec moi-même, avec la musique de mon coeur pour toute compagnie... que voulez-vous de moi? Quand j'ai quelque chose à dire je l'imprime. Quand j'ai quelque chose à donner, je le donne. Votre curiosité qui fourre son nez partout me fait lever le coeur. Vos compliments m'humilient. Votre thé m'empoisonne. Je ne dois rien à personne. Je veux être responsable devant dieu seul ... s'il existe!
Tout le long des berges, les arbres s'inclinent lourdement sur le miroir terni ; quand le vent se lève et les emplit d'un murmure bruissant, ils verseront quelques larmes et frémiront au-dessus des remous précipités de l'eau. Ça me coupe le souffle. Personne à qui communiquer même une parcelle de mes sentiments.
Nous participons tous à la création. Nous sommes tous des rois, poètes, musiciens il n'est que de s'ouvrir comme un lotus pour découvrir ce qui est en nous.
"Chaque homme a sa destiné propre. Le seul impératif est de la suivre et de l'accepter, où qu'elle le mène."
Même en dormant, je continue de rire.
L'homme a ce choix: laisser entrer la lumière ou garder les volets fermés.
Quel plaisir de s’asseoir et boire un coup quelque part. Souvent, en traversant la ville en autobus, je sortais tout d’un coup parce que l’endroit n’était pas familier. J’avais une telle soif de connaître tous les quartiers. En déambulant j’étais comme un homme ivre. Tout me donnait de l’enthousiasme, un appétit insatiable.
Je ne pense pas non plus qu'un homme comme Giono me remercierait de faire de lui un auteur à gros tirages. Il aimerait être lu, bien sûr. Quel auteur ne le souhaite pas ? mais, comme tout écrivain, il aimerait surtout être lu par ceux qui le comprennent. (p.130)
Qu'est-ce qui rend un livre vivant ? Voilà une question qui se pose souvent ! La réponse me paraît toute simple. Un livre vit grâce à la recommandation passionnée qu'en fait un lecteur à un autre. Rien ne peut étouffer cet instinct fondamental de l'homme. Quoi qu'en puissent dire les cycliques et les misanthropes, je suis convaincu que les hommes s'efforceront toujours de faire partager les expériences qui les touchent le plus profondément.
Je n'aime pas la perfection. Je veux rester toujours en conflit avec moi-même...pas avec les autres, pas avec le monde, mais avec moi-même. Je trouve cela extrêmement sain et salubre. On en tire quelque chose. S'il est une prière que j'adresse encore à Dieu, c'est celle-ci: "Préservez-moi d'être jamais un sage !" (p.69)
Quant à Victor Hugo, je le vois comme un soleil, ou un homme colossal, et ses espoirs pour l’humanité aussi colossaux, fantastiques et incroyables, non, impensables !
…un professeur de philosophie et un logicien, pas seulement de première bourre, mais un coupeur de cheveux en quatre, un ventriloque capable d’entortiller en noeud gordien la cervelle d’un pontife rabbinique.
(p.68)