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Critiques de Henry Morton Stanley (4)
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Comment j'ai retrouvé Livingstone



Comment j’ai retrouvé Livingstone Henri M Stanley



Lire Stanley est un bonheur, et surtout une surprise : Je l’avais lu il y a longtemps dans mes années africaines, et avais noté son orgueil, sa condescendance vis à vis de ses porteurs, ses affirmations sur la supériorité de la race blanche, sa manière de donner des ordres, de chasser y compris les girafes ( dont je croyais que la viande était immangeable)

Relecture après relecture, je comprends mieux : les quatre vingt dix hommes qui le suivent devaient manger, et ne pouvaient se contenter de baies sauvages, vu les kilomètres qu’ils couvrent depuis Zanzibar jusqu’ autour du lac Tanganyika.



L’enfance de Stanley a été tragique, à la Dickens : orphelin, abandonné, recueilli dans un orphelinat/établissement de redressement en Angleterre où il est né, finalement il fait sa vie aux Etats Unis, et se trouve à Madrid comme correspondant de guerre lorsque le fils du directeur du New York Herald lui demande de couvrir l’inauguration du canal de Suez, puis différents lieux de conflits au Moyen Orient… enfin de rechercher Livingstone, réputé mort près des sources du Nil.

La rencontre entre les deux hommes, Stanley le journaliste et Livingstone le missionnaire, a quelque chose de magique. Trouvailles mises en scène par ces mots un peu imbéciles mais rendues inoubliables par Stanley lui-même:



« Docteur Livingstone, I presume ? ».



Stanley, à Zanzibar, prépare, en vue de payer les frais de passages de chaque village les milliers de mètres de cotonnades de toutes les couleurs, la verroterie vénitienne elle aussi de toutes couleurs, les fils de laiton, puis les provisions personnelles, corde, tentes, ânes, toiles, munitions, médicaments, enfin, il fait désosser un bateau.

Suivant le même itinéraire que Burton et Speke parvenus jusqu’au lac Tanganyika en 1858, Stanley recrute les mêmes porteurs (les survivants)en 1871.



C’est avec extase qu’il décrit une ville construite à Simbamouenni ( actuelle Tanzanie), dans une vallée magnifique, avec des fortifications arabo-persiques en pierre, des tours aux quatre coins, des portes en bois de tek du pays et « couvertes des arabesques les plus fines et les plus compliquées ».



La fièvre, les marécages, « la désolation de l’isolement »les passages difficiles dans chaque village qu’il faut parfois payer deux fois, s’accumulent pour le faire douter de retrouver Livingstone. Pourtant, se dit-il, « Personne au monde ne m’arrêtera; seule la mort pourrait…mais non ; mais non, pas même la mort, car je ne mourrai pas ; je ne veux point, je ne peux pas mourir. »

C’est donc bien plus qu’une mission destinée à être publiée dans un journal américain : Stanley non seulement admire la beauté des sombres massifs sur fond d’un tapis de verdure, les collines ornées de grands arbres, le ballet des zèbres qui jouent entre eux, ressent « la fierté du spectateur qui se croit possesseur d’un si vaste domaine, peuplé de si nobles bêtes », il est possédé de ce sentiment océanique dont parle Freud. Il calcule aussi le travail de tous ces hommes qui rendent le paradis possible, l’aménagement des pistes, le portage, les kilomètres à pied de toute l’équipe, la fidélité de certains « fidèle et dévoué jusqu’à la mort, Sélim m’a sauvé à Mfouto ; et, en lui donnant ces éloges, je sens combien ils suffisent peu à exprimer le sentiment que j’ai des services qu’il m’a rendu. »



Sentimental, Stanley ?

eh bien, oui.

Enfin, sa rencontre avec Livingstone, sa découverte d’un caractère calme, capable par sa détermination tranquille de désamorcer les conflits, ainsi que, par son rire, les tentatives de séduction de l’épouse du roi du Cazembé, parée de ses plus beaux bijoux (elle est jeune et jolie, avoue Livingstone dans son Dernier journal, mais lui est missionnaire !) est déterminante : il admire cet homme, de tout son cœur.



Livingstone vient d’être dévalisé, il survit à peine et pourtant, il a décidé d’aller jusqu’au bout de ses recherches sur la seconde source du Nil. Avec Stanley, qui lui a apporté des vivres, les nouvelles du monde ( CF citation) et les malles de son courrier en attente à Zanzibar depuis un an, il essaie de prouver que depuis le lac Tanganyika un effluent au Nord serait peut être une source du Nil le reliant au lac Albert.



Commentaire de Stanley : « le docteur est plus capable que moi d’établir le fait ; aussi, dans la crainte de dénaturer sa pensée, je lui abandonne le soin de l’expliquer lui-même quand il en aura l’occasion. »

Commentaire personnel : j’essaie d’expliquer ce que je lis, avec toute mon incompétence.

Après 480 kilomètres marchés en 28 jours, ils rentrent au pied-à-terre du docteur, qui décide de rester et de continuer ses recherches et confie au journaliste ses nombreuses notes destinées à la Société de géographie de Londres, au commanditaire américain du voyage de Stanley, et à ses enfants.



Cet homme avait fait ma conquête, écrit Stanley.

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A la recherche de Livingstone

Le 16 octobre 1869, Henry Morton Stanley accepte la mission que lui assigne James Gordon Bennett Jr, le directeur du New York Herald. A savoir retrouver l'explorateur écossais David Livingstone, disparu depuis plusieurs années.

Stanley entame son périple qui le mène à Zanzibar où il constitue une caravane. Le jeune homme ignore encore tout de l'Afrique et doit négocier habilement avec arabes, banyans et hindous musulmans qui règnent sur le commerce de cette partie de l'Afrique. Il s'entoure d'hommes d'expérience et constitue une caravane avec tout le matériel nécessaire à ce voyage de plus de mille kilomètres dans ce qui correspond à l'actuelle Tanzanie.

Sans oublier, bien sûr, la monnaie d'échange (verroterie, étoffes, fil de laitons, perles...) qui sont indispensables pour traverser les différents royaumes et payer un tribut.



L'expédition composée de 192 hommes (rassurez-vous ils seront bien moins nombreux à l'arrivée) va mener Stanley jusqu'à Ujiji sur les rives du célèbre Lac Tanganyika. Mais avec les chaleureuses retrouvailles entre les deux explorateurs et le fameux : "Docteur Livingstone, je présume ?" il faudra à notre jeune explorateur affronter la terrible traversée de l'Ounyanyembé et ses guerres tribales , la désertion de ses hommes, les maladies...



Un grand classique dans la littérature de voyage et sur les grands explorateurs, je dois néanmoins avouer que la seconde partie où Stanley et Livingstone passent quatre mois ensemble m'a un peu moins passionnée.
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Dans les ténèbres de l'Afrique

Henry Stanley se présente lui-même comme « le fondateur de l'Etat du Congo ». C'est lui qui l'a exploré pour le compte du roi des Belges Leopold. Il raconte ça dans un autre livre. Ici, il est question d'une mission ultérieure qui lui a été confiée par divers commanditaires et autorités. Il s'agissait de porter secours à Emin Pacha, un administrateur égyptien du Sud-Soudan actuel, qui a été isolé pendant cinq ans de 1883 à 1888, à cause d'une révolte locale dite madhiste. Toute la situation et les enjeux politiques et économiques sont très bien expliqués au début du livre et précisés par la suite. Il faut bien sûr interpréter les propos de Stanley qui ne sont pas objectifs, comme lorsqu'il prétend que le Congo a été un modèle de colonisation pacifique. Mais il ne m'a pas paru cacher grand-chose dans ce livre ; il explique aussi bien les missions officielles qu'officieuses, ainsi que ses propres brutalités.

On peut dire que cette expédition a été un échec. Elle a coûté énormément de vies humaines pour des résultats médiocres. Les multiples traversées de l'est de la forêt du Congo, à peu près inexplorée à l'époque, sont chaque fois des catastrophes qui accumulent famines, maladies et morts. L'arrière-garde a été décimée, en partie à cause de l'officier Barttelot qui en était en charge, avec une passivité que lui reproche Stanley. Mais il reconnait lui-même avoir éprouvé un certain fatalisme dans cette forêt et dans la loi qu'elle impose. Toutes ces aventures sont bien écrites et intéressantes à lire, bien qu'un peu répétitives : morts, morts, morts… Elles sont entrecoupées par quelques propos sur l'esclavage, le trafic d'ivoire, la biologie, la géographie, l'ethnologie (en particulier sur les pygmées, mais aussi les Tutsi qu'il appelle Ouatoussi ou Ouatouma et que d'autres ne différencient pas des Bantoues ; selon lui, c'est un peuple de pasteurs avec des origines sémitiques qui méprisent les agriculteurs plus « Africains »).

Enfin, et malgré les nombreuses qualités qu'il attribue à Emin Pacha, Stanley ne semble pas avoir entretenu de bons rapports avec lui. Il lui reproche son irrésolution, son matérialisme, son incapacité à se faire obéir et, à la fin, son ingratitude. En vérité, Stanley souhaitait qu'Emin Pacha se mette au service du Royaume-Uni, mais celui-ci préféra rentrer en Allemagne, sa patrie d'origine.
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Du Zambèze au Tanganyika

La littérature coloniale est née en Angleterre, inspirée des premiers colons britanniques qui explorèrent des territoires encore inconnus. Alors qu’en France, une certaine hiérarchie administrative œuvra pour que les premiers colons soient essentiellement des militaires et des fonctionnaires de l’État, tenus à une certaine confidentialité, le Royaume-Uni, fidèle à sa pensée libérale, délégua d’abord des marchands, car l’Angleterre étant une île, l’import-export par voie maritime y était particulièrement développé depuis déjà plusieurs siècles, ce qui a d'ailleurs généré la piraterie, ce qui est une forme illégale de commerce, puis l’activité des corsaires, ce qui est l’appellation légalisée de cette même forme illégale de commerce.

Le premier homme à écrire des ouvrages coloniaux de fiction, quoique inspirés de faits réels, était un marchand du nom de Frederick Marryat, auquel on doit pas moins de 26 romans d’aventures exotiques, publiés entre 1829 et 1848, qui furent traduits en français dès 1833 et connurent un immense succès jusqu’au Second Empire.

Cependant, son cas reste isolé. Bien vite, ce furent les explorateurs, qui publièrent d’autant plus volontiers les récits de leurs voyages que le produit des ventes de leurs livres leur permettait de financer une nouvelle expédition. L’exploration était en effet une tâche ingrate, car au contraire du marchand, non seulement l’explorateur ne faisait pas de commerce, mais il devait aussi se charger de cadeaux, histoire d’amadouer les populations locales et d’obtenir ainsi des informations sur telle ou telle région qui devait être explorée.

Alors que la France s’installait en Afrique de l’Ouest, région touffue par endroits, mais offrant aussi des grandes plaines désertiques ou pré-désertiques qui, en dépit des températures élevées, facilitaient les déplacements des caravanes, les Britanniques héritèrent de l’Afrique de l’Est, région bien plus belle mais terriblement sauvage et extrêmement ardue, partagée entre des jungles étouffantes, et d’interminables savanes remplies de fauves dangereux. Ce sont d’ailleurs ces savanes qui donneront aux colons britanniques l’idée du "safari", que l’on ne pratiquera pas dans les colonies françaises avant le début du XXème siècle.

L’exploration de cette partie de l’Afrique prit à l’Angleterre plusieurs décennies, et engendra quantité de martyrs, de disparus dont on ne retrouva jamais aucune trace – ce qui généra le cliché de l’anthropophage africain faisant bouillir les explorateurs dans une marmite, vision totalement fantaisiste, car il n’y a jamais eu une seule tribu cannibale en Afrique – et d’échecs innombrables et cuisants, qui amenèrent la plupart des colons à renoncer à s’avancer plus avant vers l’intérieur des terres, et à se contenter de développer un impressionnant trafic d’esclaves.

C’est à partir de 1840 qu’un explorateur d’un genre absolument nouveau, va révolutionner sa profession : David Livingstone devint à lui seul une légende encore révérée de l’exploration africaine. En 30 ans, il arpenta toute l’Afrique australe, d'un océan à l'autre, du Kenya à l’Afrique du Sud, apprenant les langues locales avec un indéniable don. Médecin de formation, ordonné pasteur par conviction religieuse, David Livingstone était un esprit droit et rigoureux, et il doit beaucoup à ses qualités morales et intellectuelles l’immense popularité qui est encore la sienne, même en Afrique. Ses connaissances médicales lui permirent d’apporter des médicaments inconnus des autochtones, et qui sauvèrent bien des vies. Ses convictions religieuses le rendirent plus respectable, plus noble, aux yeux des indigènes que les esclavagistes ou les marchands, qui étaient seulement guidés par leurs intérêts. Quand il rencontrait une tribu, David Livingstone n’hésitait pas à s’y installer pour une ou deux semaines, prenant le temps de discuter avec chacun et de perfectionner sa connaissance des langues, choisissant minutieusement les cadeaux à offrir à chaque habitant selon ses goûts et ses besoins, apportant au sein de ces tribus une idée jusque là inconnue d’elles : le souci d’équité.

Il fut également, tant en Afrique que lorsqu’il rentrait en Angleterre pour y faire des conférences, un vigoureux militant contre l’esclavagisme. Toute sa vie, David Livingstone défendit l’idée d’un colonialisme bienveillant, respectueux et humaniste.

Bien qu’il puisse aujourd’hui nous apparaître condescendant, le système des cadeaux était essentiel, non seulement pour fraterniser avec les populations locales, mais aussi pour obtenir, dans des pays qui ne fonctionnaient pas selon un système monétaire, des vivres, des animaux de remplacements, des ustensiles, et des outils. Par principe, David Livingstone refusait qu'il y ait des armes dans sa caravane. Il fut d’ailleurs plusieurs fois attaqué par des bandes de pillards, envers lesquelles il ne tenta pas la moindre résistance. Pacifiste et humaniste, il jugeait que c'était à lui à se faire à l'Afrique et non le contraire. Il se contentait d'évangéliser les Africains seulement lorqu'ils en faisaient la demande.

En 1865, il publia « Exploration du Zambèze et de ses Affluents », qui fut son ultime récit de voyage. Puis il disparut, cessa brusquement toutes ses correspondances, jusqu’à ce que plus personne en Afrique ne sache ce qu’il était devenu.

L’homme était très populaire et très estimé en Angleterre. Il était inimaginable de l’abandonner à son sort. Mais qui serait assez fou pour lancer une expédition de recherche ? Un candidat se présenta : Henry Morton Stanley, jeune journaliste sans expérience, mais bien décidé à devenir célèbre par tous les moyens.

On ne pouvait trouver une personnalité plus éloignée de David Livingstone que celle de ce Henry Morton Stanley, né dans une famille alcoolique et misérable, dont il fut retiré pour être enfermé dans un orphelinat, où il fut battu et violé. Devenu ouvrier à l’âge de 15 ans, il se hissa jusqu’au journalisme par un travail acharné, une totale absence de scrupules, et l’opiniâtreté noire de celui qui ne vit que pour prendre une revanche sur le destin. L’Afrique ne l’intéressait pas, il ne croyait ni en Dieu, ni aux valeurs morales, et il prouva par la suite qu’il était obsédé par la domination brutale des indigènes, le pillage immodéré de l’Afrique et le trafic d’esclaves, auquel il prit part financièrement. Il n’avait en réalité qu’une qualité : la rage d’arriver. Mais ce fut probablement cette rage qui lui permit de réussir là où bien d’autres auraient échoué.

Car après des mois d’avancée difficile dans la jungle, Stanley put retrouver le docteur Livingstone en 1871, dans un petit village de l’ouest de la Zambie où, selon son habitude, il s’était arrêté pour vivre avec les indigènes. Il n’était rien arrivé de grave à David Livingstone, mais simplement, sa santé déclinant avec l’âge, il s’était décidé à partir dans une dernière quête effrénée vers la source du Zambèze, qu’il voulait absolument découvrir, et baptiser du nom de la reine Victoria, comme il l’avait fait quelques années plus tôt pour les chutes Victoria, où les flots du Zambèze s'écoulent à travers une gigantesque faille dans le roc de plusieurs kilomètres de long.

David Livingstone n'avait pas cessé, depuis des années, de remonter le cours du fleuve, à pied et avec sa caravane, espérant chaque jour atteindre la source du Zambèze un jour prochain. Or, cette quête qui l'absorbait, au point de délaisser ses notes et son courrier, se révélait interminable, car le fleuve Zambèze coule sur pas moins de 2750 kilomètres. Aux dires de Stanley, David Livingstone était conscient de s’être lancé dans un voyage dont il ne reviendrait pas vivant, mais il espérait arriver tout de même à la source. Il en était hélas encore loin quand il mourut de dysenterie et de malaria deux ans plus tard.

En 1872, une fois revenu en Angleterre, Henry Morton Stanley publia à son tour le récit de son expédition, « Comment J’ai Retrouvé Livingstone », qui fut un immense best-seller, dont les ventes augmentèrent encore lorsque la mort de Livingstone fut connue. La carrière journalistique et littéraire de Stanley était ainsi définitivement lancée.

Ces deux ouvrages furent traduits en français chez de petits éditeurs aux tirages modestes. Ils furent rapidement épuisés, et sans doute seraient-ils totalement oubliés de ce côté-ci du Channel, si un explorateur français, Alain Gheerbrant, n’avait eu l’incroyable idée, en 1959, de faire réimprimer ensemble le dernier livre de David Livingstone et le premier livre d’Henry Morton Stanley dans une édition critique présentée par lui-même, et publiée par le Club des Libraires de France à seulement 4000 exemplaires, sous une luxueuse reliure en toile, enluminée des gravures et des cartes des deux éditions originales.

Ce volume, encore trouvable à un prix abordable, constitue à mon sens un chef d’œuvre indispensable de la littérature coloniale, car non seulement il exhume des traductions fidèles de deux ouvrages fondateurs du genre, mais Alain Gheerbrant s'est servi de ces deux récits, qu’il accompagne d’un avant propos, d’un texte de transition entre les deux livres, et d’une postface, pour raconter une autre histoire : la rencontre émouvante, figée par la postérité, de deux hommes, fort différents, dans un coin perdu d’Afrique, où l’un étant à la recherche de l’autre, et l’autre étant touché du chemin parcouru par l’un, il advint qu'une sympathie instinctive naquit entre eux, alors que s’ils s’étaient mieux connus dans un autre contexte, ils se seraient volontiers haïs.

En effet, ces deux livres racontent à peu près la même histoire : une expédition qui remonte le Zambèze, non sans difficultés extrêmes et contretemps malencontreux. Mais ces deux hommes qui parcourent, à quelques années d’écart, le même chemin, ne voient pas la même chose, ne s’expriment pas avec la même sensibilité, ce qui fait qu’à aucun moment, on ne ressent un sentiment de répétition. David Livingstone est avant tout investi dans une démarche documentaire : sa narration est morne, sans prétention littéraire, avec même un peu de la sécheresse du médecin qui établit un diagnostic, et son frère Charles Livingstone, co-auteur, se borne à unir de façon à peu près harmonieuse des notes qui furent prises au jour le jour.

Livingstone ne parle que très peu de lui-même, sinon pour décrire une scène où son rôle lui semble avoir plus d’importance. Il écrit surtout sur l’Afrique et les Africains, déploie à la fois une très grande érudition et une bienveillance poétique sur les us et coutumes des indigènes. Son livre est considérablement instructif, d’autant plus que l’auteur est rigoureux, il veut tout comprendre et se fait tout expliquer. On réalise, en le lisant, quel homme passionné et investi il a pu être. Il ne fait jamais le moindre reproche aux Africains, il ne condamne réellement que leur intempérance sexuelle (puritanisme protestant oblige), et leur complicité active dans le trafic d’esclaves.

Car l’une des révélations les plus frappantes du récit de Livingstone, c’est sa dénonciation fort documentée du trafic d’esclaves, initiée en réalité… par les Africains eux-mêmes ! Ou, plus précisément, par des bandes criminelles nomades et organisées, qui faisaient des descentes ponctuelles dans des villages pour s’emparer de jeunes hommes qu’ils menaçaient de mort, dont ils ligotaient les avant-bras, et qu’ils reliaient entre eux avec ces fameux bâtons fourchus souvent reproduits sur des gravures, et qui sont une invention barbare authentiquement africaine (une gravure du livre montre d’ailleurs les esclaves bel et bien menés par d’autres noirs).

Les futurs esclaves étaient alors ramenés vers les côtes, dans les villes portuaires, ou d’autres marchands, soit africains, soit le plus souvent arabes, se chargaient de les vendre aux colons britanniques, qui n'étaient donc que les acheteurs passifs d’une main d’œuvre qui, malgré tous ces intermédiaires locaux, restait bon marché.

Pour autant, David Livingstone ne juge pas les britanniques moins coupables que les trafiquants. Comme sujet royal et comme chrétien, le devoir d’un Britannique, selon lui, serait de refuser ce trafic infâme. Il entend bien les problèmes liés au manque de personnel dans l’exploitation coloniale elle-même, mais non seulement il ne juge pas que la contrainte se justifie au point d'enchaîner des hommes, mais il dénonce aussi le trafic international des négriers, qui exportent les Africains comme du vulgaire bétail, en surchargeant les navires, quitte à ce qu’un tiers du cheptel meure en cours de voyage.

Plus encore que la consignation fidèle mais prévisible de l’expédition, ce chapitre amer sur la réalité du trafic d'esclaves, en Afrique de l'est dans les années 1860, est particulièrement intéressante, même si évidemment, elle serait difficile à republier à notre époque de mœurs victimaires et de mortification morale.

Mais pourtant, en tournant, un peu navré, la dernière page du récit de David Livingstone, le lecteur n'a pas idée de ce qui l'attend : rien ne procurera plus de douloureuses émotions que le récit de Henry Morton Stanley qui, soit volontairement, soit avec une belle inconscience, prend exactement le contrepied de l’ouvrage de Livingstone.

Ce n’est pas un rapport circonstancié, c’est un roman d’aventure au pays des sauvages, pire : un roman d’épouvante. Stanley, effectivement, débarque en Afrique sans rien en connaître, et surtout pas les langues locales. Durant toute sa narration, il ne parle des Africains et même des Arabes que comme des animaux ou des vermines, dont il redoute le pire mais auxquels il doit absolument imposer son autorité.

Rassembler une expédition lui est donc difficile, et il est obligé de recruter, dans les bouges et les endroits mal famés, des aventuriers douteux, des escrocs, des crapules et des assassins, lesquels ne se privent pas d’égorger des villageois, ou de vider des bouteilles d’alcools, jusqu’à en être ivre mort. Plus que les difficultés du trajet, c’est la gestion de ces fripouilles qui pose le plus de problèmes à Stanley. Et autant Livingstone ne parlait que rarement de lui, autant Stanley ne s'intéresse qu'à ce qu'il ressent et ce qu'il constate, sans pour autant se donner le beau rôle.

Il n’y a, à ses yeux, qu’une façon de mater des brigands, c’est d'être encore plus brigand qu’eux. Stanley est donc un homme qui menace, qui braque des fusils en permanence sur la tête des gens, qui leur tire dessus quand ils cherchent à s’enfuir, qui ne s’adresse jamais à un Africain sans le menacer du fouet ou de coups de bâton, qui s’arrête dans les villages en regardant autour de lui, en se demandant d’où viendra la menace.

Son récit est parfaitement odieux, mais paradoxalement, il est aussi très drôle, car loin de s’y présenter en civilisé conquérant, Stanley donne de lui l’image d’un homme perpétuellement apeuré, soucieux d’affirmer une autorité virile de peur qu'elle ne lui échappe, mais intérieurement persuadé de traverser l’Enfer de Dante, et d’y mourir s’il ne tire pas plus vite que son ombre.

Cette vision volontiers paranoïaque de l’Afrique, surtout lue après celle si humaine et pacifique de Livingstone, frappe surtout par son incongruité obsessionnelle, et à lire ce déluge presque ininterrompu de menaces, de trahisons, de pièges et d’agressions diverses, on ne peut s'empêcher de penser à un mauvais nanar italien des années 80.

De ce fait, on est très étonné de découvrir à la fin du récit un Stanley apaisé, et même transfiguré, par sa rencontre finale avec Livingstone, auquel il adresse cette phrase devenue mythique, par tout ce qu’elle suggère d’un flegme britannique naissant spontanément entre deux citoyens de la Couronne :

- « Docteur Livingstone, je présume ? »

Une question d’autant plus marquante qu’elle succède à 200 pages de véritable « survival-horror », comme on dit aujourd’hui.

En effet, et cela semble sincère, Stanley éprouve une immense estime pour ce pasteur-docteur qui a su créer autour de lui un havre de paix, en compagnie d’autochtones qui l’estiment comme un père. Il se demande même, avec une candeur stupéfiante, comment Livingstone parvient à se faire obéir et respecter par ces sauvages sans jamais devoir les battre à coups de trique, avant de conclure sombrement qu’il se sentirait incapable de traiter les Noirs avec humanité; et peut-être faut-il voir dans cette déclaration à la fois odieuse et chagrinée le traumatisme d’un enfant malmené par la vie, qui ne veut plus jamais croire à autre chose qu’à la force brutale.

« Du Zambèze au Tanganyika » est donc le mariage heureux, quoique inconfortable, de deux visions coloniales vieilles d’un siècle et demi, où percent toute la complexité et les paradoxes de la nature humaine, et qui incarnent, par leur divergence, la vanité de toutes les utopies dès lors qu’elles se heurtent à la réalité âpre d’un contexte nouveau auxquelles elles ne sont pas préparées.

Entre l’humaniste fervent, mourant à la recherche d’une source, et l’opportuniste raciste et dominateur qui risque sa vie pour la célébrité - mais qui ne la perdra pas -, on peut établir toute une échelle de valeurs, mais on peut aussi juger que la terre d’Afrique se moque bien des ambitions des hommes et dicte à tous sa propre loi, celle de la jungle, que nul n’a jamais su totalement éradiquer. Cependant, les exemples parlants et contrastés de l’aventure commune de Stanley & Livingstone sont à la fois une grande aventure humaine, et une réflexion pertinente, et plus profonde, qu’il n’y parait sur la nature de notre humanité, quand elle s’extrait du cocon douillet et illusoire de la civilisation.   
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