AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Hermann Broch (14)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Les somnambules

Hermann Broch nous convie, avec ses Somnambules, à une puissante réflexion sur le système social dans lequel nous vivons. Je pense que le véritable objectif de l'auteur est le petit essai qui s'intitule "dégradation des valeurs" et qui est distillé en 10 chapitres distincts au cours de la troisième partie du roman.



Dans cet essai, l'auteur défend la vision selon laquelle tout système tend à devenir absolu, jusqu'au boutiste, à phagocyter tous les autres et qu'au cours de ce processus, en devenant de plus en plus rationnel, jusqu'à l'ultra-rationalisme il est l'acteur de sa propre implosion car au bout du bout de tout système, il y a l'individu, et que l'individu, aussi absolu et rationnel soit-il sera toujours la proie d'une certaine forme d'irrationalité.



En clair, en passant du système moyenâgeux, totalitaire en ce sens où toute activité humaine avait pour finalité la religion et le salut apporté par le Christ, à un système initié à la renaissance par ses propres excès et l'irrationnel qui le conditionnait, l'Europe occidentale est passée par toutes les étapes d'une dégradations des valeurs dont la première étape fut l'atomisation du système sous l'impact du protestantisme, prélude à une hyper spécialisation dans chaque domaine.



Dès lors, chaque domaine possède sa logique propre qui n'est plus contenue dans un système global et équilibré. le militaire va au bout de sa logique, le capitaliste aussi, l'artiste de même, etc., sans qu'aucun ne comprenne plus la finalité du domaine de l'autre.



Mais à l'extrémité ultime de chacune de ces logiques pourtant fort rationnelles, il ne peut y avoir que de l'irrationnel. Prenons par exemple le capitaliste ; une fois qu'il a tout acheté, tout capitalisé, son système ne peut qu'imploser, car il devra nécessairement commettre des actions non justifiables par l'esprit rationnel, comme par exemple acheter un tableau de plusieurs millions de dollars, etc.



Pour amener cet essai que j'ai très succinctement et très imparfaitement tenté de résumer, l'auteur écrit un gros roman, terreau où il fait germer les situations qu'il souhaite analyser dans son essai.



Le roman est divisé en trois parties, les deux premières se focalisant d'abord sur Joachim von Pasenow, officier militaire de carrière en 1888 puis sur August Esch, comptable en 1903. La troisième partie, qui se déroule en 1918 et qui est longue à elle seule comme les deux autres réunies, nous présente un troisième personnage en la personne de l'alsacien Wilhelm Huguenau, lequel est un commerçant doublé d'un déserteur qui va interagir avec Esch et Pasenow.



Vous aurez compris que pour le propos, l'auteur a choisi des professions bien rigides et rationnelles (militaire, comptable, businessman) et dont pourtant les représentants ont des élans d'irrationalité.



Le titre fait vraisemblablement référence au fait que les protagonistes glissent dans leurs vies bien huilées comme sur des rails (la rationalité) mais qu'ils vont tous dévier, de façon peu compréhensible, à un moment de leur existence, tels des somnambules marchant au devant d'eux quitte à descendre dans l'abîme.



Ce livre n'est pas véritablement captivant quant au roman bien que très agréable par moment. de mon point de vue, ce livre vaut surtout pour la qualité de la réflexion philosophique à laquelle il nous invite et qui en fait une oeuvre rare, du calibre ou pour le moins comparable à de gros romans de langue allemande comme La Montagne Magique ou L'Homme Sans Qualités, du moins c'est là mon avis de somnambule, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          1030
La Mort de Virgile

Poème lyrique et réflexion métaphysique sur la mort, incarnée par la voix de Virgile, le roman d'Hermann Broch retraçant les dernières dix-huit heures de vie du grand poète latin est une oeuvre incomparable à toutes autres. Et - à condition bien sûr d'y adhérer – une expérience de lecture intégrale, qui occupera l'esprit du lecteur pleinement, hautement, longuement...

Porté par une ambition de transcendance hors toute mesure, radical dans son effort titanesque de faire exprimer par le langage littéraire quelque chose qui se situe par principe au-delà de tout langage humain, rédigé dans un style poético-philosophique touffu, fastueux – parfois jusqu'à devenir pesant quand celui-ci se maintient sur quelques pages d'affilée dangereusement «au bord de l'informe», selon l'expression judicieuse utilisée par Claudio Magris dans un article consacré à l'auteur –, LA MORT DE VIRGILE est un roman réputé pour son degré très élevé d'abstraction, par moment quasiment impénétrable – jusqu'à être considérée par certains lecteurs, ou auteurs, tel W. G. Sebald, comme de la «pure mystification»!

Dans tous les cas, il serait souhaitable, pour ceux qui se sentiraient prêts à tenter l'expérience, et pour essayer de l'apprécier à sa juste mesure, de l'approcher autant comme une oeuvre littéraire certes à très haute prétention philosophique, que –et peut-être encore davantage- comme une composition lyrique, une très vaste élégie en prose et partition symphonique consacrée à la mort en tant qu'apothéose cognitive.

(À ce propos, pour la première fois en ce qui me concerne – chose inimaginable jusque-là !-, l'envie m'a pris d'accompagner ma lecture par de l'écoute musicale, et ce jusqu'à me faire noter quelques titres dans la perspective d'une éventuelle relecture - dont je pourrais citer, à titre d'exemple, et conseiller, pourquoi pas, «La Nuit Transfigurée» de Schoenberg, parfaite à mon sens pour la toute dernière partie du roman!)

LA MORT DE VIRGILE peut aussi être envisagée comme une rhapsodie homérique narrant la désagrégation progressive des images mentales à l'approche de la mort («la vie humaine est soumise à la grâce et à la malédiction des images, ce n'est qu'en images qu'elle peut se concevoir elle-même»), la fragmentation des souvenirs personnels du poète jusqu'à leurs derniers maillons symboliques, antérieurs à toute forme de pensée, et son retour, enfin, à l'Ithaque d'avant naissance...

Broch confère au franchissement que représente la mort la possibilité d'accéder à une forme de connaissance totale, permettant en l'occurrence au poète de relier ce qu'il possédait de plus singulier et de plus intime, aux plans universel et cosmique. de replacer son parcours terrestre et le sens de son oeuvre dans le cours de l'Histoire et dans le courant ininterrompu de l'humanité, dans le «majestueux écoulement fluvial du troupeau nu». de bannir toutes limites spatio-temporelles à sa conscience et de disloquer progressivement son identité personnelle vers une sorte de noosphère, avant de la voir peu à peu se dissoudre dans l'Intemporel. Et -pari encore plus délicat en s'agissant de mort et de transcendance– Broch s'évertue à attribuer une stature sacrée à l'expérience de mort vécue (pardon pour l'oxymore !) par le poète, tout en y convoquant accessoirement le religieux : Virgile, mort moins de vingt-ans avant la naissance du Christ, a durant ses visions fiévreuses comme l'intuition de l'avènement proche d'une nouvelle ère monothéiste, et d'une mystique proche du christianisme dont le règne et l'aura divin entourant la personnalité d'Auguste auraient pu constituer les prémisses. L'écrivain réussira néanmoins à écarter toute dimension ouvertement confessionnelle et/ou personnelle à son oeuvre (d'origine juive, Hermann Broch se convertit tardivement au christianisme). Un vrai tour de force qui ne laissera pas indifférents, je pense, des lecteurs qui, quoiqu'agnostiques comme moi, ou franchement athées, n'auraient pas pour autant renoncé à pratiquer le doute vis-à-vis de leurs propres convictions métaphysiques (ou matérialistes)...

Ce dernier aspect semble par ailleurs lui avoir valu, toujours selon Magris, d'être devenu «suspect», aussi bien aux yeux de certains conservateurs «traditionnalistes», qu'à ceux des «post-modernes admirateurs du vide, dans la mesure où il [Broch] avait soumis ce dernier à une critique implacable».

Herman Broch fait partie, avec Thomas Mann et Hermann Hesse, de la sainte trinité du grand roman de langue allemande de la première moitié du XXe qui, abordant de grands sujets universels et philosophiques, ne cèdera pourtant pas à la tentation de quitter les territoires de cette rationalité si caractéristique de la pensée germanique. Ainsi, dans LA MORT DE VIRGILE, les efforts de l'auteur pour conduire la langue au bout de ses ressources sont saisissants, mais ne présentent à aucun moment le caractère désinvolte et farfelu des péripéties langagières proposées par un Joyce (ce dernier étant par ailleurs très admiré par Broch).

Le souci de cohérence et de rationalité discursive ne désertent jamais sa plume, y compris lorsque les tautologies, antinomies, oxymores et autres antilogies envahiront la prose, faisant la langue littéraire et poétique de Virgile tourner en bourrique, révélant par cette même occasion ces solives brutes du langage humain que nous essayons de notre mieux à cacher derrière de belles moulures rhétoriques. La fièvre de Virgile finira par les effriter peu à peu, surtout lorsque le lyrisme dissonant de sa langue mourante l'amènera à vagabonder aux portes de l'indicible, dans ces régions extrêmes et inhospitalières à une parole bien charpentée, plus réceptives aux images éthérées et aux sons purs.

LA MORT DE VIRGILE, divisée en quatre grandes parties, pourrait, si on veut bien, inspirer également quatre mouvements symphoniques :



1er Mouvement : «L'Eau - L'Arrivée» (Adagio con Brio):

Le vaisseau qui transporte le poète, parti de l'Épire avec la flottille d'Auguste, qui était venu personnellement le chercher à Athènes, arrive sur la rade de Brindisi à la tombée du jour, le 20 septembre de l'an 19 av. J.-C. Une fois à quai, les esclaves accompagnant un Virgile malade ne tenant déjà plus debout, allongé sur une litière mais suivant précieusement du regard le manuscrit original de L'Énéide qu'il transporte avec lui, avancent pas à pas, péniblement, au milieu de la confusion qui règne dans le port et dans la ville, provoquée par l'immense foule venue acclamer l'Empereur rentré en Italie le jour même de son anniversaire. Pour échapper à la multitude, la suite devra emprunter des détours et des raccourcis, traversant entre autres une ruelle où le poète moribond, exposé aux insultes et à la «nudité du rire» des plus misérables, mêlera dans son esprit l'avalanche de ces voix moqueuses avec les cris d'Érinyes venues le traquer : au milieu de la jubilation que représente l'offrande de l'Énéide à la gloire d'Auguste, couronnant de lauriers sa carrière de poète, il commence à percevoir devant lui l'oeil d'une longue nuit de fièvre et de doute. La suite arrive enfin au palais, et Virgile est installé dans une chambre.



2ème Mouvement : «Le Feu - La Descente» (Molto Agitato)

En présence d'un enfant qui s'était mystérieusement joint aux esclaves pendant le trajet jusqu'au palais, et que le poète avait finalement autorisé à rester auprès de lui dans sa chambre, le coffret contenant le manuscrit de l'Énéide juste à côté du lit où repose son corps, Virgile, de plus en plus fiévreux, alternant des mouvements animiques d'ascension et de descente, errant entre anabase et catabase, sera livré durant une très longue et éprouvante nuit aux affres d'une horreur sans limites, au «vide ricanement du néant», ainsi qu'aux caprices de volte-face éphémères induits par l'espoir de trouver un abri dans les souvenirs de son enfance de paysan ou encore dans l'extinction définitive de sa voix de poète «parjure» qui n'aurait pas été «à la hauteur de la grâce qui lui avait été faite». Pour le lecteur, ce sera aussi le passage le plus éprouvant du roman, avec ses très longs paragraphes concentriques, parfois étalés sur plusieurs pages, où il avancera comme le poète, empêtré dans ce que le langage humain a à la fois de plus touchant et de plus précaire.

«Quand l'âme est étendue pour le sommeil, pour l'amour et pour la mort (...) c'est une âme infiniment étendue, enclose sans fin pour le cercle des temps, tout comme le paysage qu'elle est elle-même devenue, elle passe comme celui-ci par tous les âges ; elle va de l'âge d'or à l'âge d'airain, et même encore au-delà, jusqu'au retour de l'âge d'or, et parce qu'elle est modelée sur le paysage, elle est également une frontière qui sépare, qui réunit les sphères, entre les régions supérieures et inférieures – âme semblable à Janus dans son infini dans les deux sens, étendue à l'infini, reposant dans la pénombre, si bien que sa conscience aux aguets, sans unir le haut et le bas, peut donner à ces zones une égale importance, pendant que l'événement comme tel, en revanche, perd de son importance, indigne d'être épié et appréhendé par la conscience.»

Au petit matin, en tout âme et conscience, Virgile prend la décision de brûler l'Énéide.



3ème Mouvement «La Terre - L'Attente» (Moderato Affetuoso)

La matinée déjà avancée, Virgile est réveillé par la présence diaphane de l'enfant, Lysanias (ou serait-ce l'esclave - cela n'a d'ailleurs plus aucune importance pour lui: ainsi que de la magnificence qu'il avait pu attribuer à son Énéide, il s'était débarrassé en même temps au cours de sa longue nuit de la surface visible des phénomènes comme d'un «vêtement inutile»).

L'enfant lui annonce la visite de ses amis Plotius Tucca et Lucius Varius, venus exprès de Rome pour le rencontrer. Ceux-ci, à la grande surprise du poète, sont au courant de son dessein de détruire le manuscrit (l'esclave aurait entendu ses divagations nocturnes ?). Ils essaieront par tous les moyens, mais en vain, de l'en dissuader. Après leur départ, ce sera Auguste en personne qui viendra à son chevet avec la détermination de repartir avec le précieux coffret. Il s'en suivra une passionnante joute philosophique entre l'empereur et Virgile, un long dialogue où il sera entre autres question du rapport ambigu de l'art au pouvoir (« le peuple a besoin de symboles », insistera Auguste), ou de l'impuissance du poète à empêcher le mal et la destruction, ou à contribuer à l'avènement d'un ordre nouveau («l'art, aujourd'hui, n'a plus de tâche à accomplir» décrète Virgile).

«L'arme abattit jadis le premier ancêtre et toujours sans cesse, répétant le meurtre, l'homme s'extermine par soi-même, par la force des armes qui s'entrechoquent ; anéantissant l'homme pour se faire un esclave, il est lui-même esclave de son arme, faisant craquer la création, la livrant aux brasiers d'incendie, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus que pétrification glacée» : le seul héros qui mériterait d'être chanté, affirme-t-il face à César, sera «celui qui le premier acceptera d'être désarmé».

(Je ne pense pas spoiler en vous indiquant qu'en définitive, le divin Auguste repartira avec le coffret contenant le plus grand poème épique de l'antiquité latine...)



4ème et dernier Mouvement : «L'Éther - le Retour» (Largo e maestoso)

Après le départ d'Auguste, tout devient murmure et ruissèlement apaisé autour de lui. «Ce murmure existait tout simplement, il n'était pas nécessaire de prêter oreille pour l'entendre, aucun effort n'était nécessaire pour le retenir ; bien plus, cette manifestation de murmure ne demandait pas à être retenue, car elle s'efforçait d'aller plus loin». L'image humaine et évanescente créée par les derniers battements du coeur spirituel du grand poète sera celle d'une traversée en bateau, transfiguration et leitmotiv principal des cinquante dernières pages du roman rédigées sous la forme d'un hymne magistral élevé à la dissolution de l'être dans le Grand Tout.



Une oeuvre d'une telle ambition et envergure ne peut que susciter des jugements à sa hauteur : on en sera subjugué, ou on la détestera... Les interprétations qu'elle peut susciter sont multiples, diverses, parfois divergentes aussi, à l'instar d'autres grands romans révolutionnaires de la modernité (et dont l'Ulysse de Joyce deviendrait en quelque sorte le parangon).



C'est ainsi que certains liens existants entre le sens de l'oeuvre et le contexte dans lequel celle-ci avait été rédigée, ont pu être évoqués par ses commentateurs. L'écrivain sortira in extremis de son pays (Autriche), en 1939, grâce à l'intervention d'intellectuels et d'écrivains européens de renom ( Joyce, d'ailleurs, encore une fois, en ferait aussi partie ). Son manuscrit sous le bras, Broch le retravaillera sans cesse durant son exil pour le publier enfin, d'abord dans sa traduction en langue anglaise, aux Etats-Unis, en 1945.



À quoi servirait de continuer d'écrire lorsqu'il faut plutôt agir? À quoi aurait servi, entre autres, tout le foisonnement artistique de la Mitteleuropa entre les deux guerres face à la montée des totalitarismes dans le continent? À quoi en définitve sert l'Art face à la barbarie? Ou enfin, pour dire les choses autrement, toujours dans le contexte de l'époque où le roman fut écrit, et avec la stupeur d'un Adorno : comment écrire un poème après Auschwitz..?



Pour finir ce billet trop excessivement bavard (et peut-être aussi un peu déplacé dans le cadre d'un «after» festif que nous tenterions encore de prolonger - excusez, alors, les amis!), je dirais, et je l'espère pour tous, qu'on aura largement le temps avant de se décider à lire, ou à relire LA MORT DE VIRGILE, et de choisir le moment idéal pour le faire!



Et, pourquoi pas, différer cette lecture éventuellement au moment où l'on aura la fâcheuse sensation de commencer à entendre la Camarde rôder dans nos parages?



Parce que, croyez-moi, la mort va très bien à Virgile! Et aussi, parce que c'est juste beau à en mourir...



Commenter  J’apprécie          4226
La Mort de Virgile

Ce roman, le plus grand, le plus intense, le plus beau de tous les romans de Broch, selon Kundera, plonge le lecteur dans un état second. C'est un texte visionnaire, où la fièvre du personnage dont nous accompagnons le délire intérieur nous transporte quelque part dans les limbes du sublime, en un lieu où la littérature, plutôt que de chercher à reproduire le réel, élabore un monde qui lui est propre. Il faut certes du courage et de la persévérance pour en venir à bout, mais ce livre-engrenage "ne vous lâchera qu'après avoir donné un tour à votre esprit", comme disait Victor Hugo dans son "Tas de pierres". TL
Commenter  J’apprécie          91
Les somnambules

Les Somnambules, premier roman d'Herman Broch, se présente comme un triptyque, avec des récits indépendants (bien que certains des protagonistes d'un volume réapparaissent dans les volumes suivants) où un personnage principal incarne une période charnière de l'histoire du Reich dans un processus global de déclin des valeurs traditionnelles des sociétés européennes.



Ainsi dans 1888, Pasenow ou le Romantisme, nous est dévoilé la figure de Joachim von Pasenow, qui s'est un peu vu contraint de choisir la carrière des armes, car traditionnellement c'est à l'ainé que revenait la gestion du domaine et des terres familiales, à son frère Helmuth en l'occurrence, "tombé pour l'honneur, pour l'honneur de son nom" lors d'un duel. C'est dire assez que Joachim a baigné dans une atmosphère traditionnaliste, sous la coupe d'un père autoritaire et inexorable, qui lui souhaite voir faire un mariage avec une Elisabeth von Baddensen, dont la famille possède une centaine d'arpents de terre, dont elle héritera un jour sous le titre de baronne. Le patriarche le presse donc de demander son congé du service actif afin de reprendre le flambeau de l'ainé valeureux et de songer à cette union qui scellerait une belle alliance. Mais Joachim regimbe un peu, être officier lui semble plus prestigieux que l'état de gentleman-farmer et il préfère à la compassée Elisabeth, les charmes faciles de la bohémienne Ruzena. Pressé de plus en plus par ce père dont les projets virent à la manie, il cherche conseil auprès d'Eduard von Bertrand, un ancien "camarade sous l'uniforme du Roi", qui a abandonné le devoir de sa charge pour la vie aventureuse et mercantille d'importateur de coton, décision que juge sévèrement Joachim, ainsi que son air dégagé, sa mise et ses manières déliées qui lui semblent affecter le cynisme. Malgré cette réprobation et ce léger mépris qu'il éprouve pour von Bertrand, ce dernier exerce un indéniable ascendant sur Joachim, et ses conseils avisés semble régler naturellement et fort avantageusement ce qui parait inextricable dans la vie de Pasenow, avec un désintéressement tellement manifeste qu'il en devient suspect pour Joachim. La personnalité rigide et paradoxalement fantasmagorique de Pasenow que Von Bertrand qualifie de romantique lui font se demander si son si fidèle ami ne joue pas le rôle d'un Méphistophélès dans son existence...



Le singulier antihéros de 1903, Esch ou l'Anarchie est un petit-bourgeois luxembourgeois qui s'est fait licencié sous le prétexte fallacieux d'erreurs dans la comptabilité de son entreprise, manœuvre pour donner le change sur les malversations de son supérieur hiérarchique. August Esch vit terriblement mal cette situation, lui que chaque injustice révolte, à telle enseigne qu'il démissionne aussi sec d'une bonne place qu'il vient à peine de décroché aux entrepôts de Cologne lorsque qu'il apprend que celui qui lui a facilité son embauche, militant syndicaliste infirme, a été raflé lors d'une réunion durant une grève et emprisonné, iniquité dont il tient Eduard von Bertrand, que le lecteur connait déjà, maintenant président de la Mittelrheinische personnellement pour responsable. Pour tout dire Esch, en bon comptable consciencieux et probe, à une conception de la vie en partie double, la rédemption résulte du sacrifice, un martyr doit racheter la faute, pour maintenir les plateaux de la balance de la justice immanente bien alignée, quitte à se lancer dans des opérations fort hasardeuses. Ainsi il s'embarque dans une entreprise assez croquignole, l'organisation de compétition de lutte féminine bidon, pour permettre à une jeune femme, qui ne parle pas un traitre mot d'allemand et qui ne lui est aucunement attachée, d'échapper à sa condition de partenaire offerte et passive des jeux dextres d'un jongleur lanceur de couteaux. Et ainsi du reste, relations amoureuses, relations d'affaires, vie et trépas, les bons comptes font les bons amis, aux cieux comme ici-bas. La conduite et les agissements du brave August suivent malgré cette rhétorique apparemment rigoureuse une logique somme toute plutôt évanescente et des voies pour tout dire anarchiques. August Esch a tout du personnage Kafkaïen, en moins bureaucratique mais en plus impétueux.



Le délitement des valeurs à l'œuvre dans les Somnambules trouve son complet accomplissement dans l'âme boutiquière du personnage principal de 1918, Huguenau ou le Réalisme. Wilhelm Huguenau est un déserteur alsacien, donc ressortissant allemand à l'époque des faits, qui après une longue et prudente marche à travers les lignes ennemies arrive un beau jour dans une petite ville de l'Électorat de Trèves sur les bords de la Moselle. Le spectacle des terres agricoles en friche suite à l'absence des hommes partis pour le front, lui fait flairer la bonne affaire et en homme qui "sent le vent' il y voit une occasion de faire sa pelote. Il décide de faire passer une annonce dans une feuille de choux locale en se déclarant acquéreur de terrains. C'est là qu'il rencontre August Esch, le comptable du volume précédent, qui se débat tant bien que mal comme rédacteur du Messager de l'Électorat de Trèves, métier qui par définition doit composer avec l'imprévu ce qui est aux antipodes du train-train précis, rassurant et codifié de la comptabilité, qui met ses nerfs à rude épreuve et qui fait de lui une figure qui détonne dans le calme de cette ville provinciale. Huguenau change son fusil - lui qui s'en est si peu servi, d'épaule, et décide de faire main basse sur le journal avec une manœuvre frauduleuse dont il a le secret. Ce dernier volet, qui constitue près de la moitié du volume total de pages de la trilogie, se présente comme une synthèse de cette dernière, avec sa structure narrative plus complexe et ses chapitres digressifs et conceptuels intitulés Dégradation des valeurs qui théorisent le propos initial du triptyque, l'émergence d'un individualisme forcené de l'homme moderne symptomatique de la démonétisation des valeurs traditionnelles qui a débuté avec la Renaissance. C'est dans cet aspect protéiforme qu'on peut voir dans l'œuvre d'Herman Broch une filiation avec l'Homme sans qualités de Robert Musil qui lui est contemporain.



Ce premier roman d'un des deux plus grands romanciers viennois de son temps est important dans l'aspect novateur de sa forme narrative et dans l'analyse de cette décomposition des valeurs dans la société et chez l'homme européen, vacillant entre les deux abymes de l'irrationalité et de l'ultra-rationalité et qui va le conduire vers le totalitarisme que l'auteur pressent et annonce. Une œuvre importante et visionnaire.





Commenter  J’apprécie          71
Les somnambules

La lecture parfois éprouvante de cet imposant roman me laisse un sentiment mitigé.



La construction en trois parties situées à trois époques différentes (1888, 1903, 1918) est intéressante. Elles illustrent trois étapes de l’évolution de la société vers un monde dont Broch ne partage pas les valeurs, un monde générateur de solitude et d’angoisse. Il est significatif que ce roman ait été publié en 1931, à un moment où le modernisme triomphant commence à avoir du plomb dans l’aile. La modernité a révolutionné les sciences avec Einstein, Bohr, la physique quantique. Elle a révolutionné la géopolitique avec le leadership pris par les Etats-Unis aux dépens de l’Europe. Elle a révolutionné les arts dans la peinture, la musique, le roman… Mais elle a accouché de la première guerre mondiale, de ses millions de morts et du premier usage des gaz de combat. Elle a accouché des désordres économiques en Allemagne puis dans le monde entier. Il est d’ailleurs intéressant de faire un parallèle avec la période actuelle, marquée par de profonds bouleversements et elle aussi souvent ressentie comme une période de crise.



Pour en revenir au roman, il faut pourtant noter que tout critique qu’il soit sur la modernité, Broch fait lui-même preuve d’un modernisme assez radical dans la forme de son livre. Il a l’ambition de faire œuvre totale : multiples récits, de plus en plus éclatés, passages en vers ou sous forme de pièce de théâtre ou encore de correspondance, réflexion sur l’histoire, l’architecture, la religion. Dans les parties narratives, j’ai apprécié l’écriture souvent ironique et pleine d’humour distancié de Broch.



Le roman comporte aussi de longs passages philosophiques consacrés à la ‘dégradation des valeurs’. Et c’est là que ça se gâte ! Ces parties sont assez indigestes et difficilement compréhensibles, à tel point que je me demande si ce galimatias abscons n’est pas volontaire de la part de Broch, qui chercherait ainsi à placer le lecteur dans un état de confusion et de perplexité symbolisant l’état de l’homme dans la société moderne.



J’en tire la conclusion qu’il est très difficile de faire cohabiter dans la même œuvre forme littéraire et forme philosophique.

Commenter  J’apprécie          70
Les somnambules

Livre lu à la faculté où je m'étais prise de passion pour la littérature allemande et autrichienne.



J'en ai gardé un très bon souvenir, quelque peu diffus cependant après les années écoulées. J'ai en mémoire un moment de belle littérature.
Commenter  J’apprécie          70
Les somnambules

Hermann Broch est sans conteste un des plus grands auteurs de langue allemande du XXième siècle. Auteur, philosophe, essayiste; Hermann Broch signe avec les Somnambules son oeuvre la plus accomplie. Il y évoque la crise d'identité liée à la perte de valeurs qui fondaient une société face à l'éclosion d'un nouveau monde qui réfute ces valeurs.

C'est une trilogie où l'on suit des personnages en bute à ces bouleversements : Pasenow qui incarne l'idéal romantique allemand, Esch ou les tentations à l'anarchie et Hugueneau qui représente la volonté du réalisme face au chaos.

L'histoire se déroule en Allemagne et l'auteur glisse au coeur de son roman des passages philosophiques sur l'effondrement des valeurs et des implications sur l'individu de la perte de ses repères.

Ce roman foisonnant et riche s'inscrit dans un mouvement de pensées qui traversera aussi les oeuvres de Joseph Roth, Thomas Mann, Hermann Hess, Alfred Doblin, etc...

Un auteur à redécouvrir.
Commenter  J’apprécie          60
Autobiographie psychique

Cet homme, écrivain, dramaturge et essayiste, explique en long et en large que sa vie psychique est une torture et il tente de la décrire en profondeur. Ses relations humaines, avec les femmes en particulier, s'en trouvent très perturbées. Il eut la délicatesse d'envoyer ce texte à deux amies new-yorkaises vers 1942 ainsi qu'au psychanalyste d'obédience freudienne Paul Federn qui l'a suivi durant son exil en Amérique.



Sa névrose trouve une source lors de la petite enfance dans la défaite subie, vis-à-vis du père et du frère, dans la recherche de l'amour maternel. Hermann Broch s'est considéré, par rapport à ces deux hommes, comme un «non-homme», un impuissant. Ce sentiment d'impuissance est totalement psychologique, ne se traduit pas par une incapacité physique, mais pèse lourdement sur le comportement : il se sent inférieur et dans l'obligation de surcompenser tant dans le domaine sexuel que professionnel et intellectuel.



Ces perturbations névrotiques entraînent un clivage de la personnalité qui le pousse vers deux types de femmes: le premier, autorisé, est l'héritage de la figure de la mère et constitue un devoir. La chasteté, voire l'inceste, font partie de ce genre de relation. Le second type comprend tous les attraits érotiques que les domestiques ont représentés aux yeux de l'enfant. Mais: "...cet amour sensuel, [...], est interdit, il est même doublement interdit parce qu'il implique l'infidélité vis-à-vis de la mère, mais comme précisément cette infidélité est en même temps une façon de se venger de l'amour maternel qui l'a refusé et qui s'est porté sur le père et le frère, je peux et je dois me l'autoriser, d'autant plus que c'est seulement sur cette voie que je peux m'apporter la preuve importante de la puissance."



La brève introduction qui précède esquisse les multiples conflits intérieurs causés par les sur-mois de l'auteur, ces "complexes d'obligations qui se chevauchent", sans cesse en contradiction avec tout espoir de réalisation amoureuse, qui interdisent quasiment tout égoïsme de la vie pulsionnelle. Les infractions à ses obligations morales, ce qu'il nomme ses infidélités, conduisent à des autopunitions comme des pertes de mémoire, des spasmes intestinaux et les punitions dites cathartiques, c'est-à-dire qui le poussent à recommencer – purifier – le travail littéraire et artistique entrepris, souillé par l'infidélité.



L'autoanalyse de Broch est d'une rare sincèrité et le fait d'une clairvoyance supérieure. Je cite la notice de l'éditeur : "Il est fascinant d'observer comment l'auteur arrive à donner une image de lui-même qui, malgré ses côtés difficiles – sur le plan érotique et sexuel qu'il décrit avec une remarquable franchise –, ne le rend pourtant pas trop «répugnant»." Le dernier mot me gêne un peu : si chaque personne indélicate pouvait expliquer aussi honnêtement son comportement...



Au terme, Broch conclut que la psychanalyse ne peut soigner ses problèmes, car elle est elle-même dotée des fonctions d'un personnage (femme) mythique (ne fût-ce que dans la personne du psychanalyste) et le travail d'analyse devient automatiquement une infidélité à chaque femme aimée et au travail : "Je devrais pendant la durée d'une psychanalyse réussie interrompre radicalement non seulement toute relation avec les femmes, mais aussi tout travail afin que l'analyse soit la seule amante qui règne." Bref, la névrose empêche la psychanalyse.



Je ne m'attarde pas sur la seconde partie du livre, "L'autobiographie comme programme de travail" qui reprend les grandes étapes de la pensée philosophiques de l'essayiste, depuis la théorie de la valeur jusqu'à sa collaboration à une philosophie de l'État (The City of Man). De nombreuses réflexions sur l'organisation de l'État m'ont semblé avoir perdu de leur acuité si l'on tient compte de l'évolution politique, économique et sociale de l'Europe mondialisée.



Hermann Broch, c'est aussi l'important roman "Les Somnambules" qui trouve place à côté de "L'homme sans qualités" (Robert Musil) et "La montagne magique" (Thomas Mann). De même, son travail "Théorie de la folie des masses" qui tente d'expliquer la montée des fascismes en Europe.
Lien : http://christianwery.blogspo..
Commenter  J’apprécie          60
Les Irresponsables

Ce qui semble au début être un recueil de nouvelles - l'oeuvre est effectivement issue d'un remaniement et d'une refonte de plusieurs récits indépendants originellement, est bien un roman, dans ce qu'il possède d'unité thématique dans son développement et dans la récurrence des personnages. On peut à bon droit affirmer que les Irresponsables, dernier roman d'Hermann Broch, est l'aboutissement logique et fatal du déclin progressif des valeurs mis en perspective dans le premier opus de l'auteur intitulé les Somnambules. le présent ouvrage se propose de mettre en scène un certain type allemand, celui du petit bourgeois dépourvu de convictions politiques, aliéné par une indifférence éthique envers son devenir et la condition humaine de ses concitoyens. C'est pour cela qu'ils sont qualifiés d'irresponsables et cet état d'âme communément partagé fut le terreau grâce auquel le nazisme proliféra.



Les Irresponsables baigne dans une atmosphère onirique et symbolique, ce qui lui permet paradoxalement d'évoquer la période préhitlérienne avec plus d'acuité et de justesse que s'il avait adopté les codes du naturalisme. Ce dernier ouvrage est indéniablement l'opus le plus "abordable" des trois grands romans de l'auteur : il n'a ni les dimensions intimidantes des Somnambules, ni la complexité formelle de la Mort de Virgile. Une introduction idéale dans l'univers du grand écrivain viennois. Au terme de ce cycle de lecture de l'auteur la préférence subjective du scripteur se porte sur les Somnambules.
Commenter  J’apprécie          50
La Mort de Virgile

Le livre est bâti sur les 18 dernières heures de la fin de vie de Virgile lequel est ramené en piteux état de Grèce où il avait contracté la malaria. Broch a organisé cette temporalité en 4 chapitres liés au cycle de la vie: L‘arrivée, La descente, L’attente et Le retour. Et la mort est racontée en 4 mouvements qui correspondent aux 4 éléments naturels : l’eau, le feu, la terre et l’air (éther).



Dans ce texte empreint de mysticisme, Broch va consacrer 600 pages a une sorte de rêve, de délire agonique, d’une lente surrection des souvenirs les plus intimes de Virgile. C’est un texte mystique, impregné de la présence du Christ qui va hanter tout le roman (à noter la conversion au christianisme de Broch) et son originalité est de nous présenter le Sauveur comme le pressentiment d’une Voix et d’une Chair. L’auteur développe les thèmes de la vie et de la mort, la responsabilité du poète face à l’irruption du Mal : la maladie, la misère du peuple. (p.29 …Le Mal, un déferlement immense d’une malédiction indicible, inexprimable, inconcevable). L’auteur Broch se base aussi sur la légende qui dit que Virgile voulait détruire l’Énéide.



Nous sommes à Brindisi en septembre 19 av JC, Publius Vergilius Maro (Virgile) est un poète latin très reconnu, né le 15 octobre 70 av JC à Andes, Lombardie. Il revient malade de Grèce atteint de malaria: l’empereur Auguste est allé le chercher là, car Virgile a manifesté le désir de brûler le texte de l’Énéide qui flattait Auguste; le poète trouve que l’Énéide est une oeuvre inachevée et il voudrait l’offrir en sacrifice aux dieux. Or ce poème que Virgile a mis les 11 dernières années de sa vie à écrire, rend un hommage appuyé à Auguste, grand vainqueur d’Actium, et qui est au début de son règne, un règne enfin pacifique.



Après dures négociations, Auguste sauvera le manuscrit des flammes.



Le livre de Broch n’est pas un roman mais un texte poétique avec des phrases interminables « à la Proust », un monologue intérieur qui ne s’achève jamais mais sans la signification qui existe chez Proust. C’est un délire, un rêve entre comateux et éveillé qui se remémore, mais se perd aussi. Il existe une moyenne de 2 phrases par page et j’ai fait une nouvelle expérience de dédoublement de la pensée en lisant et en même temps en pensant à autre chose bien concrète. A la fin de la page je m’apercevais du dédoublement et la relisais bien concentrée pour me dire, à la fin, que je n’obtenais pas plus de renseignements; c’était en réalité un rêve éveillé, incantatoire, hypnotique et seule la musicalité du phrasé avait une signification car le reste était abscons. Le texte est surabondant en anaphores qui servent à lui donner un rythme, une musicalité.



Par moments le texte peut être si beau qu’il nous élève nettement au dessus d’une certaine médiocrité. Félicitations au traducteur qui a su garder le côté très lyrique à la métrique. Il faut lui rendre hommage, il s’agit d’Albert Kohn.



Mais par bonheur, tout le livre n’est pas délire et les conversations entre Virgile et Auguste sont de haute teneur politique et philosophique, ainsi que les conversations entre Virgile et ses deux plus vieux amis qui seront aussi ses exécuteurs testamentaires. Elles restent d’une notable modernité.



Cette lecture est une mise à l’épreuve du lecteur, c’est une expérience en soi, mais il faut beaucoup de patience et d’un esprit libre de toute préoccupation.




Lien : https://pasiondelalectura.wo..
Commenter  J’apprécie          50
Le tentateur

LE TENTATEUR d’ HERMANN BROCH

Sur la route du col de Kuppron au Tyrol, le médecin de campagne voit arriver un étranger avec 3 locaux en camion. Au bistrot, ces locaux disent que le nouvel venu les a incités à la chasteté pendant le voyage, il s’appelle Marius Ratti. Ça village a longtemps connu une certaine prospérité avec une mine objet de tous les fantasmes. En dehors du médecin, homme bienveillant conscient des limites de sa science, il y a la mère Gisson, qui elle aussi soigne avec des plantes, femme de bon sens. Lax est l’homme riche du secteur qui prête de l’argent et manigance. Mais depuis l’arrivée de l’étranger, des tensions se font jour, on parle de rouvrir la mine, on exhume les vieilles légendes de nains et de géants et la superstition est omniprésente. Curieusement, l’étranger, installé chez les Wenter, est devenu une référence car en dehors de son prêche pour la chasteté, il prône le retour aux traditions, abandon de la mécanisation et surtout, le retour des femmes à leur place « naturelle », elles s’occupent pour lui de choses qui ne concernent que les hommes! Le médecin, atterré, constate peu à peu l’évolution des mentalités de ces montagnards simples et craint le pire d’autant que les élections approchent, les bagarres se font plus fréquentes et que les idées de Marius Ratti font leur chemin n’hésitant pas à menacer et saboter.

C’est une fresque monumentale que nous offre Hermann BROCH sur la manipulation des foules en mélangeant rêve et mythologie, promettant et menaçant dont je ne doute guère de la métaphore avec la montée du nazisme. En même temps BROCH parle à travers les commentaires du médecin, qui incarne le bon sens et l’intelligence, de l’évolution sournoise des idées de Ratti et de la mainmise qu’il finit par exercer sur les hommes. J’ai souvent pensé à Mr OUINE de Bernanos en lisant ce livre, car, si tout tourne autour de lui dès son arrivée, Marius Ratti n’apparaît quasiment jamais dans ce roman directement alors que son ombre plane sur le lieu.

Un très grand roman sur cette sorte d’antechrist qu’est ce vagabond venu de nulle part.

Hermann BROCH est un écrivain autrichien né en 1886 mort en 1951.
Commenter  J’apprécie          30
La Mort de Virgile

Une vaste flotte escorte le navire d'Auguste qui débarque dans le port de l'actuelle Brindisi, accueilli en triomphateur, dans l'hubris de la foule venue à sa rencontre. Dans un de ses bateaux git le poète Virgile, affaibli et délirant, victime de la malaria qu'il a contracté en Grèce, rapatrié par la volonté expresse de César. Il a cinquante et un ans et ses jours sont comptés. Alternant hallucinations où se pressent des visages du passé et des figures fantasmées et moments de lucidité où il reconnait les gens venus à son chevet, notemment ses amis de toujours les poêtes Lucius Varius Rufus et Plotius Tucca, qui seront ses exécuteurs testamentaires, et Caius Octavius lui-même, Virgile est pris de l'idée folle et obsédante de livrer aux flammes son grand œuvre, l’Énéide, pendant latin de l’Iliade et l'odyssée, .épopée contant les épreuves du Troyen Énée, ancêtre mythique du peuple romain, Ces derniers n'auront de cesse qu'à l'article de la mort il renonce à son projet sacrilège.



La Mort de Virgile est un roman exigeant et ardu, dans sa dimension poétique et métaphysique L'auteur à voulu retranscrire les atermoiements et les visions d'un esprit divinateur dans les affres de la fièvre. Ainsi un tiers du volume est occupé par une exténuante divagation où l'esprit du malade englobe tous les mondes que l'esprit humain saisit et ce qu'ils sreflètent d'inconcevable, l'œuvre s'achèvant par le passage de Virgile dans l'autre rive, par-delà les règnes animal, végétal et minéral, jusqu'au chaos primordial qui précédé l'éternel retour. Certes, c'est un roman ambitieux, foisonnant, et le lecteur ne peut que s'incliner devant une telle maitrise, s'incliner certes, mais de guerre lasse.
Commenter  J’apprécie          20
Le tentateur

Ultime oeuvre de Broch, ce roman raconte comment Marius Ratti, vagabond charismatique, pronant la haine des machines, de la radio, des étrangers, des citadins, pronant le patriarcat, l'abstinence sexuelle au profit de l'amitié, de la camaraderie, arrive à séduire, à fanatiser meme les habitants d'un petit village de montagne autrichien.

Il va réveiller en eux les souvenirs ancestraux d'un culte de la Terre et du sang. Cette hystérie collective culminera dans le sacrifice d'une jeune vierge, Irmgard, sacrifice visant à réconcilier l'homme et la Terre, souillée par les machines ; et sa parodie, le coursier Wentchy, martyrisé par Wenzel et sa bande.

Son influence maléfique sera combattue par le narrateur, médecin qui a quitté la ville , mais aussi par Mère Gisson, allégorie de la Terre et du matriarcat.



C'est un roman à la fois mythologique, poétique, politique, philosophique et religieux. C'est une parabole de l'arrivée d'Hitler au pouvoir, et du processus de fanatisation des foules. Une des oeuvres préférées de Freud, et Broch a également trouvé une source d'inspiration dans l'oeuvre de Nietzsche



Comme toujours chez Broch, il exige beaucoup de son lecteur, (mais reste plus lisible que "la mort de Virgile", mais la fascination par l'écriture et l'ampleur des thèmes, qui font l'objet de chapitres précis, comme l'Or, les reves, l'infini, la haine, la solitude, la rédemption,....), est au rendez vous!

Remarquables descriptions de la Nature et de ses manifestations, et après avoir lu les pages 336/337 , quand vous caresserez votre chien, vous verrez cela d'une façon philosophique!



Après la lecture des 4 romans de Broch,je classe cet auteur parmi mon firmament personnel des romanciers, en compagnie de Dostoievsky, Faulkner et Proust.
Commenter  J’apprécie          10
Logique d'un monde en ruine : Six essais ph..

Autour de la notion d’homme, de sa définition et de ses conséquences, ­règnent à présent une grande confusion et une multitude de querelles.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
Commenter  J’apprécie          00


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Hermann Broch (316)Voir plus

Quiz Voir plus

Portez le chapeau avec Zola

Il connaissait les bons faiseurs de Paris, jugeait chacun d’eux d’un mot, parlait de la saveur des chapeaux d’un tel et de la logique des robes de tel autre. À dix-sept ans, il n’y avait pas une modiste qu’il n’eût approfondie, pas un bottier dont il n’eût étudié et pénétré le cœur. Indice : répondez questions 2 à 5 et revenez ensuite sur celle-ci que vous aurez par élimination

Germinal
Au Bonheur des Dames
L'assommoir
Le ventre de Paris
La curée

10 questions
261 lecteurs ont répondu
Thème : Émile ZolaCréer un quiz sur cet auteur

{* *}