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Citation de hcdahlem


INCIPIT
UN JOUR DE MARS 1944
L’évasion
La forêt bruissait du souffle des scies et des hommes harassés, des cris des kapos, et de l’écho saccadé des cognées. L’air sentait la pourriture végétale sur la terre gorgée de froid.
En ce début d’après-midi, les gardes, le ventre plein, étaient fatigués, car même les plus méchants digèrent. Ils fumaient en regardant ailleurs pour n’avoir pas à sévir.
C’était aussi, pour les détenus, un moment de repos relatif. Les muscles se détendaient un peu. Parfois, un œil toujours fixé sur les SS et les kapos qui buvaient du café chaud à même les thermos, ils interrompaient leur travail. Jamais longtemps.
L’un d’eux en profita pour aller pisser derrière un buisson. Il s’appuya contre un chêne…
Plus rien. Un trou noir dans lequel il se laissa tomber avec un contentement inexprimable.
Il se réveilla avec le sentiment que quelque chose n’allait pas: c’était le silence. Il ouvrit les yeux; un instant, il espéra qu’il rêvait puis comprit que son commando était reparti au camp sans lui. Aussitôt, son estomac se vida, toute la soupe claire, par tous les orifices. Il savait ce qui arrivait à ceux qui avaient le malheur de ne pas rentrer au camp avec les autres.
La nuit tombait. Il était fichu. Inutile de chercher à s’enfuir ou de demander asile à un paysan. Les Boches offraient des récompenses à ceux qui dénonçaient les fuyards. Circonstance aggravante, il était juif.
Il se coucha sous la souche d’un arbre, et se tint immobile autant qu’il lui était possible. Il tremblait des pieds à la tête. Du suc gastrique remontait sans cesse à sa bouche. Il avait peine à respirer. Aucune échappatoire. Ou plutôt une seule : se suicider tout de suite, en se jetant d’un arbre.
Jamais il n’aurait la force de monter si haut. Alors il imagina se fracasser la tête en se précipitant contre un tronc. Cela semblait difficile, et il se demanda même s’il était possible de mourir de cette façon. Longtemps, il rêva de ce qu’il se savait incapable de faire.
La nuit recouvrait tout.
Là-bas, au camp, l’alerte devait avoir été donnée, et on le cherchait.
Il sursauta. Des pas, des rires gras. Une sueur visqueuse lui inonda la figure. C’était une patrouille partie à sa recherche. À entendre leurs voix joyeuses, on aurait cru une bande de joyeux lurons en knickerbockers et grosses chaussettes qui se baladaient dans la Forêt-Noire.
Dès qu’ils le verraient, ils cesseraient de rire, ou plutôt ce ne serait plus le même rire. Ils le battraient à coups de crosse, sur la tête, dans le ventre, en prenant garde à ne pas le tuer.
La patrouille était maintenant toute proche. Il hésita à sortir. «Messieurs, je suis désolé, je ne l’ai pas fait exprès. S’il vous plaît, veuillez me pardonner!»
En position fœtale, il pissa encore dans ses cuisses. Il claquait des dents. Il voulut penser à Anna, mais son nom ne fit que lui traverser l’esprit. Au regard de ce qui allait suivre, plus rien de sa vie ne semblait avoir d’importance. Pas même le passé. D’ailleurs, cela faisait longtemps qu’il n’y songeait plus.
La peur triturait ses viscères, soulevait encore et encore son estomac. Ses tempes battaient si fort qu’il croyait les entendre résonner autour de lui.
Il eut une pensée pourtant, une seule, cinq mots : « Je voudrais être un animal. »
Un soldat arrivait maintenant, une lampe de poche à la main. Son halo éclaira les feuilles gelées près de sa cachette.
Le prisonnier vit les bottes, et l’homme se pencher, qui braqua un instant la lumière sur lui, avant de l’en détourner. Il devina le relief de son casque d’acier et la rondeur de ses joues serrées par la jugulaire. Il tenait un chien-loup par une laisse qu’il tirait pour l’empêcher d’avancer. C’était fini. Il allait appeler les autres et le faire sortir en lui arrachant une oreille.
Mais le soldat, immobile, le regarda; soudain, murmura: «Reste tranquille. Je reviens tout à l’heure.»
D’une voix forte qui lui cogna le cœur, l’homme ensuite cria: «Rien à signaler par ici, il doit être plus loin. On va le trouver!»
Et il s’éloigna.
Alors, à nouveau le silence. Le froid est une mort douce. On s’endormait, paraît-il.
Il songea à Anna, sa fiancée, qu’il supposait à Ravensbrück. Puis, tenaillé par la faim, à une boucherie de Strasbourg, sa ville.
Combien de temps s’écoula ainsi, il ne le sut jamais.
Tout à coup, Nicolas Berger entendit des pas dans les feuilles mortes qui craquaient comme des croûtes de pain. Penché sur lui, habillé en civil, un chapeau large en feutre sur la tête, l’Allemand lui murmura: «Sortez!», d’une voix grave et douce. Berger tremblait à nouveau, mais moins que tout à l’heure. Malgré ses jambes engourdies, il se releva aussi vite qu’il le put, les yeux baissés, au garde-à-vous. On ne regarde jamais un Allemand en face. Il n’aime pas ça et vous flanque un coup de gummi en plein visage. L’Allemand ne disait rien. Il devait réfléchir.
Le prisonnier osa lever la tête, et il reconnut le lieutenant SS Paul Sattler qui avait dirigé le commando de l’après-midi. Un jeune homme encore.
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