Entretien chez Thinkerview :
Hubert Védrine : Géopolitique : Le désastre Français ?

Nous avons été pris par surprise, c’est indiscutable. Nous n’étions pas préparés, c’est prouvé. Pourtant, nous avions été prévenus, nous savions ce qui pourrait arriver. Mais il n’est pire ignorant que celui qui ne veut pas savoir.
« L’émergence d’une maladie respiratoire humaine hautement transmissible et pour laquelle il n’y aurait pas de contre-mesure adéquate pourrait déclencher une pandémie mondiale […]. Elle apparaîtra sûrement dans une zone densément peuplée, où les animaux et les hommes vivent à proximité les uns des autres, comme en Chine ou en Asie du Sud-Est […]. Dans un tel scénario, une capacité de surveillance sanitaire insuffisante au sein de la nation d’origine empêcherait probablement une identification précoce de la maladie. La lenteur de la réaction de la santé publique retarderait la prise de conscience de l’émergence d’un agent pathogène hautement transmissible […]. Malgré les limites imposées aux voyages internationaux, des voyageurs présentant des symptômes bénins ou asymptomatiques pourraient transporter la maladie vers d’autres continents. »
Cet extrait des « Tendances globales du Centre d’analyse prévisionnel de la CIA pour 2025 » date de 2008.
Trois ans plus tôt, le rapport de Philippe Sauzey et de Chantal Mauchet de l’Inspection générale de l’administration, remis, après un an de travail, au ministre de l’Intérieur de l’époque, Dominique de Villepin, avait, ainsi que d’autres, tiré la sonnette l’alarme.
En 2008 encore, le Livre blanc français sur la défense et la sécurité nationale estimait que, dans l’ordre des menaces, le risque sanitaire lié à une pandémie venait juste après les attentats terroristes et les attaques informatiques. Selon ce Livre blanc, l’apparition d’une « pandémie massive à forte létalité était plausible […] et une telle crise était de nature à remettre en cause le fonctionnement normal de la vie nationale et des institutions ». Ce risque élevé est mentionné à nouveau dans le Livre blanc de 2013.
Entre l'Empire carolingien, son passé et son héritage chrétien, celui des Lumières et de la Révolution, et finalement la démocratie et les droits de l'homme, l'Europe a du mal à se définir tant elle redoute à présent tout ce qui relève de l'identitaire. Si l'on s'en tient aux critères de Copenhague de 1993, il suffit, pour intégrer l'Union, d'être démocrate, de pratiquer l'économie de marché et de reprendre l'acquis communautaire. À ce compte-là, pourquoi pas le Sénégal, le Japon, l'Inde ou le Brésil ?
Défendre clairement nos intérêts ne nous empêche pas de promouvoir en même temps nos idées pour l'Europe, pour l'ONU, de faire rayonner la France que le monde aime, etc. Au contraire.
La France n'est pas pessimiste à cause de ses handicaps, mais handicapée à cause de son pessimisme.
Le choc du coronavirus est entrain de pulvériser des croyances très enracinées .
Les milieux culturel, médiatique et même politique croient, pour leur part, concevoir la planète telle qu'ils voudraient qu'elle soit, sans que la sanction de la réalité n'intervienne jamais.
Antidote au catéchisme du devoir de mémoire : l'Histoire. N'en rien occulter. Tout enseigner. Tout transmettre. En tirer des leçons pour l'avenir constamment réactualisées.
Elles [les nouvelles générations] passent de plus en plus de temps devant les écrans, où tout déferle en vrac, et ignorent la littérature, raccourci magique vers les compréhensions de l’âme et le sens de la vie. Paradoxe de la communication : des gens, qui passent leur temps à communiquer partout dans le monde par écrans interposés, ne se saluent pas dans l’ascenseur. C’est plus que de l’acculturation, c’est de la barbarisation. On est hystérisés. La lecture est un antidote à cela. Il existe dans la lecture une lenteur et une densité nécessaires à la construction de l’homme. Les lecteurs deviennent une petite minorité. Il faut défendre la lecture par tous les moyens. Certes, je dis cela alros que je ne pourrais pas vivre sans lire ni écrire. Je crois sincèrement qu’il faut réintroduire l’éblouissement de la lecture dans les vies d’aujourd’hui.
Parce que les Occidentaux ont cru, avec la fin de l'Union soviétique, avoir gagné la bataille de l'Histoire et pouvoir désormais régner en maîtres, ils sont déboussolés par le monde qui se dessine sous leurs yeux, si peu conforme à leurs espérances.
L'Histoire est ce qu'elle est, nous devons la connaître, l'assumer, la poursuivre en la dépassant, en nous gardant de la posture expiatoire comme de l'auto-encensement.