Citations de Hugues Rebell (21)
La pluie commença de tomber tout à coup, une pluie froide de novembre. La nuit était venue, parsemée de lunes bleues et d'étoiles clignotantes, de girandoles rouges et de lettres de feu ; pleine d'ombres lentes ou précipitées, de roulements de voitures et de clapotements de chevaux. Encore une fois le monde se renouvelait, disposait ses clartés et ses ténèbres.
A propos, vous connaissez Jacques de Tavannes ? Présentez-moi donc un jour. Il a du talent, ce bougre-là, beaucoup de talent. Mais, sacré Dieu ! je ne lui ferai pas faire le portrait de ma maîtresse. Il a une façon de vous découvrir les défauts de l'objet aimé qui, ma parole, vous coupe l'aiguillette !
J'ai baisé sur ta bouche une âme ancienne,
Et tes cheveux m'ont donné l'odeur d'un autre siècle.
Pauvre Morny ! le petit Thiers a bien fait de déboulonner ta statue de Deauville.
A quels divertissements de rustres assisterais-tu aujourd'hui !
Sais-tu comment je comprends l’esclavage ? Te doutes-tu de la soumission que j’exige ? Soupçonnes-tu les tortures que je t’infligerai, les humiliations que je t’imposerai ? Sais-tu combien je suis tyrannique et cruelle et que je t’abaisserai à l’état d’un vil valet méprisé ? Est-ce cela que tu veux ? Non, n’est-ce pas ? Tu viens ici pour recevoir une bonne fessée. Alors ne te trompe pas de formule, tu le regretterais.
Une lave ardente se mit à couler dans mes veines et, poussé par une vigueur qui se déchaînait en tempête, je me jetai sur la radieuse idole, ne sachant à quel divin régal attarder mon désir de beauté. L’adorable femme se prêta à mes transports avec une grâce enfantine, m’offrant l’une après l’autre, les affolantes fleurs de son corps divin. Mais, bientôt, elle palpita toute sous mes baisers enivrés, et, s’enroulant à moi, de ses bras marmoréens, elle m’attira vers l’enlacement suprême qui unit nos deux âmes en une commune extase, secouant nos corps en un spasme d’infinie volupté.
Je me tordais comme dans les flammes, poussant des cris déchirants. Elle se déchaînait, folle, la figure contractée, les yeux hagards ; puis, secouée par un spasme vibrant, avec un long cri étouffé, elle s’écroula sur le tabouret, tandis que je croyais rendre l’âme en une secousse suprême, qui me fit tressaillir tout entier en une délirante extase.
« Je vais donc préparer tout à l’heure deux fortes verges à ton intention et me procurer des cordes, — je sais déjà où les prendre pour t’attacher sur le banc, comme tu y étais habitué. Le reste me regarde et tu verras si je saurai m’y prendre pour te rappeler tes gouvernantes ! Seulement, ce qu’il nous faudra en plus, c’est un bâillon ; car des cris comme ceux que tu poussais à Paris, pourraient attirer du monde à la grange si tu ne pouvais te retenir. J’ai pris mes précautions : il y a dans la table à ouvrage de tante une petite pomme en bois servant à repriser les bas et les chaussettes. Cela fera un excellent bâillon ; je te l’introduirai dans la bouche et, en attachant un mouchoir par-dessus, tu ne pourras pas la cracher. De cette façon, je ne serai pas influencée par tes cris et je pourrai aller jusqu’au bout de ma besogne. »
À la lueur tremblotante des lanternes, les coiffures énormes et légères, les bonnets de tulle et de mousseline, les jupes de serge claire, les cercles dorés des oreilles et les colliers de rassade, au-dessus et parmi cette armée immense de têtes crépues et de corps bronzés, flottaient comme des papillons de nuit, des insectes brillants, des libellules et des fleurs d’eau sur un sombre marécage. La fange humaine augmentait toujours ; derrière elle, les hautes montagnes semblaient la vomir avec sérénité ; elle exhalait une odeur lourde et laineuse, de fourrure chaude, de linge humide, de peau en sueur et d’haleines corrompues, elle répandait une rumeur confuse, sorte de lamentation courte, de refrain sans cesse repris, que brisaient parfois un zézaiement de créole ou des cris gutturaux d’Africains. Tout à coup, la lune se dégagea des nuages, enveloppa cette tourbe de sa vapeur lumineuse, fit jaillir des ténèbres mille faces soûles et féroces, révéla des centaines de couples en folie, accouplements horribles où les dents, les ongles s’enfoncent dans la chair, où l’étreinte et le baiser ressemblent à des égorgements.
Rentré chez moi, j’eus une bienfaisante réaction. La douleur cuisante avait disparu, faisant place à une sensation singulière, une sorte de voluptueuse faiblesse ; je me sentais délicieusement brisé.
Eh bien ! fit-elle d’un ton gouailleur, sens-tu maintenant que je te tiens en ma puissance ?
- Oui, madame, fis-je timidement.
- Et sais-tu ce qui t’attend ?
- Oui, je sais, répondis-je.
- Ah ! tu le sais, fit-elle en riant. Eh bien, dis-le-moi si tu le sais.
- Vous allez me fouetter.
- Tu crois ? Et comment vais-je te fouetter ?
- Sévèrement.
- Sévèrement ? reprit-elle. Non, pas sévèrement, à mort, tu entends ? à mort ! hurla-t-elle et, sautant sur moi, les yeux hagards, la bouche crispée, elle m’enfonça ses ongles dans la chair, me secouant brutalement.
- À mort, entends-tu ? répéta-t-elle, à mort ! Tant qu’il reste une goutte de sang, tant qu’il te reste un souffle, je ne te lâche pas, tu entends, je veux que tu t’écroules à mes pieds, haché en miettes.
Vous éprouvez un besoin si pressant ? Oh mais, il faut vite aller vous satisfaire, je puis vous donner deux bonnes adresses. Que préférez-vous, une gouvernante disciplinaire qui ne plaisante pas, ou une aimable française qui est la plus étonnante professionnelle de Londres ? Elle vous fait passer par toutes les gammes et vous brise, si vous voulez, en deux temps trois mouvements.
La nuit que je passai, après la savante correction du clergyman, me berça dans les délices et, le lendemain, à mon réveil, je fus pris d’un désir effréné de sentir une action plus énergique. La partie touchée par les verges magiques du révérend réclamait impérieusement une plus rude caresse.
Ne plaisantons plus, lui dis-je, je veux être votre esclave, prenez-moi.
J’avais remarqué, à diverses reprises, une amazone superbe, caracolant à la promenade sur un magnifique pur-sang qui se cabrait sous sa cravache.
- Écoute, me dit-elle, je vais t’enseigner comment un amant ivre d’amour doit embrasser les pieds de sa maîtresse. Prends d’abord l’orteil tout entier dans ta bouche et suce-le comme une praline.
Quand je repris mes sens, miss Bobby m’avait déjà libéré de mes liens, et je me sentis le cœur tout plein de reconnaissance, d’abnégation soumise et d’adoration pour l’incomparable créature qui m’avait terrassé sous sa volonté. Une lave ardente semblait envahir mes veines et je frissonnai, pénétré de vibrantes effluves.
J’étalais ma chair à leur cinglante caresse, cherchant à l’éviter et la désirant tout entière.
J’aurais poussé des cris, si le bâillon ne m’en eût empêché, et je me tordais comme un ver tombé dans les flammes.
Malgré les souffrances que ces rigueurs me faisaient endurer, j’éprouvais un besoin maladif de les subir et souvent je les provoquais. Saisi brutalement par des mains de fer, je vivais des minutes intenses dans la terreur du supplice qui m’attendait. Le banc m’avait révélé de nouveaux délices, par les liens qui brisaient ma volonté et me livraient impuissant à mes bourreaux, m’obligeant à vider jusqu’à la lie la coupe de mon martyre.