Je n'oublie pas que j'ai reçu une mission sacrée. Je revois les femmes qui me l'ont confiée, en partant pour le Revier, antichambre de la mort : "Si vous rentrez, il faudra leur dire. Ils ne vous croiront pas, mais il faudra leur dire".
Ida ne perd jamais de vue que l'amitié était leur planche de salut.
On croyait ferme qu'après la Shoah aucun génocide ne serait plus possible, envisagé. Déception totale!
L'oubli serait aussi intolérable que les faits aux-mêmes
En me relisant, je ne suis pas certaine d'avoir insisté sur la déshumanisation des camps. N'être qu'un numéro, ne rien posséder de personnel qu'une gamelle et une cuillère, avoir constamment faim, toujours froid durant les longs hivers, être épuisée, battue et craindre le pire à chaque instant ...
Au retour, je pensais souvent au camp, mais uniquement quand j'étais seule. Les gens ne voulaient pas en entendre parler!
"Si vous rentrez, il faudra leur dire. Ils ne vous croiront pas, mais il faudra leur dire"
Leur, c'est vous. Aujourd'hui. Demain.
Je l'ai dit: je n'ai pas pleuré. Je n'ai pas le souvenir d'avoir versé une larme. Je ne me vois pas sortant mon mouchoir. Je ne voulais pas faire de peine à Alice. Je ne voulais pas faire ce plaisir aux gendarmes. Dans ces cas-là, on ressent une force intérieure. Affaire de dignité. Non, et non, j'ai pas pleuré!
Après la guerre, nous avons cru que le nazisme et ses méthodes étaient anéantis à jamais. Quand nous avons appris, plus tard, les massacres au Cambodge et au Rwanda, nous avons dû admettre que la leçon d'Auschwitz n'avait pas été tirée.
J'ai survécu à la déportation, mais Auschwitz m'a privée de la vie que j'aurais pu avoir. Au camp, nous avons été brisées. On le reste quand on revient seule, que nos parents ont disparu. J'ai longtemps attendu mon père avant de réaliser, de comprendre... J'étais jeune, j'avais envie de vivre, mais il y avait quelque chose d'irrémédiablement cassé.