Vasari en effet a raison d'écrire : « S'il arrive que chez un homme d'un talent vraiment supérieur il se découvre quelque vice, même grossier et digne de blâme, il est si bien dissimulé par l'ensemble de ses mérites qu'au lieu d'être, comme chez un autre, le prétexte d'un désaveu ou d'attirer une punition à son auteur, c'est à peine si l'on y voit l'ombre d'un péché. Non seulement dans ces circonstances l'homme de talent n'est pas puni, mais on le traite avec ménagement, comme si la justice elle-même s'inclinait toujours avec un certain respect devant l'ombre du talent, si léger qu'il puisse être. Entre autres effets merveilleux, c'est au talent qu'il appartient en effet de changer en libéralité l'avarice des princes, de triompher de la haine des hommes, d'écraser l'envie et d'élever enfin jusqu'au ciel ceux qui, du rang des simples mortels, par l'avantage de leur renommée, deviennent immortels. C'est ce que nous voyons dans la vie de Fra Filippo di Tommaso Lippi ».
Entre ses aventures amoureuses et ses embarras d'argent, Lippi était trop souvent dans l'impossibilité de tenir les engagements qu'il avait pris comme artiste; il lui arrivait aussi de s'attarder indéfiniment à ses œuvres, quand ce n'était pas pis encore; parfois en effet, après avoir reçu une commande, il la passait à d'autres, et, circonstance aggravante, à des artistes médiocres ; l'œuvre faite, il la présentait comme étant de lui et il exigeait le paiement de la somme stipulée dans le contrat. Antonio del Branca, de Pérouse, qui habitait Florence, lui donna, le 16 février 1451 , à faire un tableau, pour le prix de soixante florins d'or. L'œuvre achevée, Lippi réclama le prix; mais Branca refusa de payer, donnant pour raison que le tableau n'était pas de la qualité convenue, et qu'en outre, selon toute évidence, Fra Filippo l'avait fait peindre par un autre artiste.
Comment ne pas croire à la tradition, en présence de l'humilité si profonde de l'artiste, de la beauté de ses œuvres, de la délicatesse infinie de son sentiment, de l'élévation de sa pensée, de sa douceur dans l'expression? De tous les maîtres qui se sont appliqués à pénétrer l'image de l'homme de l'idée du divin. Fra Angelico est peut-être le seul qui ait réussi h reproduire ces figures célestes d'une pureté idéale, avec cette merveilleuse simplicité d'expression et de dessin qui sera l'éternel honneur de son pinceau.