[
Le Livre noir]
Olivier BARROT présente "
Le Livre noir", ensemble de
textes réunis par
Ilya EHRENBOURG et
Vassili GROSSMAN dès 1942 et portant sur l'anéantissement des Juifs par les Allemands, en Union Soviétique.
- En 1947, la publication du livre avait été interdite en URSS. Elle n'a pu avoir lieu qu'en 1993, en Russie, à Vilnius où tous les Juifs russes ont été assassinés pendant
la guerre.

Le gouvernement s'était fixé à Clermont-Ferrand, parce que tout autour ce ne sont que villes d'eaux avec hôtels confortables. Laval resta à Clermont ; les autres ministres avaient arrêté leur choix qui sur Vichy, qui sur le Mont-Dore, qui sur La Bourboule. Tessat jugea plus digne de choisir Royat : c'était là qu'on avait retenu des chambres pour le président de la République.
La spacieuse confiserie A la Marquise de Sévigné regorgeait de monde. Dans la rue les gens se pressaient, attendant qu'une petite table fût libre. Ce qui attirait les réfugiés à la confiserie, ce n'était pas tant le chocolat réputé que la société qui s'y réunissait : après les terribles épreuves traversées, il était agréable de rencontrer des amis, de se retrouver en pays de connaissance. On eût dit que tous les cafés des Champs-Elysées s'étaient donné rendez-vous ici : le Rond-Point et Marigny, le bar Carlton et le Fouquet's.
Madame Montigny, suffoquant de chaleur et de chagrin, racontait :
— Une semaine avant la catastrophe j'ai dû rentrer à Paris : mon mari avait une angine. Et puis nous avons eu bien du mal à repartir. Quel voyage affreux ! Près de Nevers il a fallu abandonner notre Cadillac : plus d'essence. Une espèce de filou nous a conduits jusqu'à Vichy. Mais j'espère que ma voiture est intacte.
A une autre table, un auteur dramatique en vogue se lamentait :
— La première avait été fixée au seize... Et le dix, tout à commencé... Maintenant on ne sait plus quand s'ouvrira la saison théâtrale...
Un boursier criait à son interlocuteur, un sourd qui tenait un cornet acoustique :
— Sans avoir les cours de New-York, il est difficile de dire quelque chose de précis. Mais, à votre place, j'attendrais pour vendre... Quand tout se calmera, ces valeurs remonteront.
Dessère entendait tous ces récits, ces lamentations, ces prophéties, et souriait amèrement. Ces gens n'avaient pas encore compris ce qui était arrivé ; ils croyaient qu'au bout d'une semaine ou d'un mois la vie d'autrefois reprendrait.
C'est seulement lorsqu'on aura créé des conditions de vie non attentatoires à la dignité de l'homme,égales pour tous,qu'on aura assuré leur protection,et qu'elles seront reconnues et ressenties comme une obligation commune à tous les Etats et à tous les hommes,qu'on sera autorisé,dans une certaine mesure,à parler d'une humanité civilisée.
Albert Einstein
Puisse la mémoire des hommes conserver jusqu'à la fin des siècles le souvenir des souffrances et des morts atroces de ces millions d'enfants, de femmes et de vieillards assassinés.Puisse la mémoire sacrée des suppliciés être le gardien formidable du bien, puisse la cendre de ceux qui furent brûlés interpeller le coeur des vivants pour enjoindre les hommes et les peuples à la fraternité.
p.439.
Mais non avons encore aujourd'hui dans les oreilles, et sans doute l'aurons-nous jusqu'à la fin de nos jours, l'ordre qui devait précéder notre mort : ''In die Grabe, marsch !'' (En avant, marche ! Dans le tombeau ! )
Témoignage communiqué par le major du service médical NOHUM POLINOVSKI
C'est pourquoi le fascisme allemand,quand il voulu entraîner les peuples de l'Europe dans une tuerie fratricide,recourut à son tour aux vieux procédés consistant à attiser la haine raciale,à ressusciter les vieilles chimères et préjugés antisémites,à duper les masses.
P.1042.
Moi et quatre soldats nous sommes mis à l'ouvrage, sous la direction de Hossgrebe. Nous placions les Juifs face à la fosse, l'extrémité du canon de nos carabines touchait presque leur nuque. Quelques femmes menaient des enfants par la main. On tuait les gosses en premier. Ça avançait lentement, du fait qu'on faisait venir les gens par groupes de six au plus. J'ai été obligé de tuer parmi d'autres une toute jeune fille. Elle m'a dit en allemand : « Comment pouvez-vous tuer des gens ? » J'ai répondu : « Ce sont les ordres », et j'ai tiré. Ce jour-là, j'ai exécuté en tout vingt-cinq personnes, peut-être davantage, je ne peux pas dire exactement. Les autres en ont tué plus.''

p.399.400.
À présent, elle était seule dans la forêt, ni mère, ni père, ni frères, ni coreligionnaire. Mais si cela fait peur d'être dans une fosse, dans la forêt, c'est encore plus effrayant de savoir qu'on est environné d'assassins et de bourreaux [les Allemands]. Un seul espoir soutenait Hinka : les Allemands seraient chassés ! Cela lui donnait des forces et elle continuait à aller la nuit au village où des femmes compatissantes lui donnaient en cachette un morceau de pain.
Imaginez un peu ! Une nuit d'hiver, la tempête fait rage, des pins centenaires se courbent sous le vent déchaîné, et sur la neige glisse, solitaire, une petite silhouette à demi nue, avec une croûte de pain serrée dans sa menotte gelée ; elle se hâte de rejoindre sa tannière étroite et glacée pour ne pas être surprise par le jour, pour rester là, tremblante de froid, jusqu'à la nuit suivante.
Nos mitrailleurs l'ont retrouvée là, dans la fosse, dans une forêt proche du village de Golachi, à dix kilomètres à l'est de Zambrov.
''Je ne sais pas si j'ai su faire ressentir cette tragédie comme je l'ai éprouvée moi-même. Lorsqu'elle a terminé son récit, nous autres, soldats, qui en avions vu de toutes les couleurs, avions peur de regarder nos copains en face. Nous avions honte vis-à-vis de cette enfant qu'il y ait encore sur cette terre des salauds portant la croix gammée, que l'auteur de Mein Kampf ne se balance pas encore au bout d'une corde, que le chantre de la haine raciale Alfred Rosenberg soit encore en vie.''
C'est ainsi que se termine le récit de Hinka Vroublévitch transcrit pas l'officier de l'Armée rouge V. Krapivine, qui lui a sauvé la vie.
Il y avait ici des camps de la mort : on torturait,on mettait en pièces,on fracassait des têtes d'enfants,on brûlait vifs des gens à qui la souffrance,l'épouvante et les insupportables tortures faisaient perdre la raison.
J'avais alors,très envie de vivre.J'enviais les chiens,les chats;eux avaient le droit de vivre,personne ne les persécutait,tandis que moi,uniquement parce que j'étais juive,je devais mourir.
p.691.
Je me sens seule entourée d'ennemis. Je crains les hommes plus que les bêtes sauvages, alors qu'autour de moi, sévissent une telle cruauté, un tel aveuglement, un tel assujettissement de la pensée, une telle nullité, ''Dors-tu, justice, ou as-tu été tuée ?'' demandait Michel-Ange, ''La vérité n'existe pas sur cette terre, mais là-haut, elle n'existe pas plus'', disait Pouchkine.