La guerre a détruit leurs maisons et leur a volé des années de leur vie. Les gens fuient, abandonnant derrière eux les décombres de leurs habitations et pendant ce temps, la guerre continue. Les hommes gardent le doigt sur la gâchette, quand leurs femmes partent à la recherche d’un endroit sûr pour y mettre au monde de nouveaux enfants.
Confession: cela ne veut rien dire pour moi. Je l'ai rayé à la main de ma carte d'identité(...). De toute façon j'avais arrêté de m'en servir depuis le Samedi noir
Beyrouth est gouvernée par la peur et le silence, humiliées par un officier syrien, un soldat israélien ou des miliciens, tour à tour ou conjointement
Je désirais m’éloigner. J’ai donc accepté de venir ici. De ne plus retourner en Syrie. Mais pour cela, il fallait écrire. Je ne serais pas la première femme à m’exhiler pour ne pas mourir. Mon histoire viendra s’ajouter à celles de bien d’autres, contraintes de quitter leur pays
Couchée avec innocence sur le dos, Beyrouth permettait à ses habitants, invités et gens de passage de se disputer la nudité de son beau corps ; habituée aux invasions étrangères, rapaces, séismes et secousses répétées, elle revenait toujours plus resplendissante, comme on l’avait appris dans les livres d’histoire. Que ressentait-elle maintenant que ses habitants se partageaient sa chair, ne laissant que les os ? Les villes devenaient-elles folles d’un trop-plein de beauté ? Ne supportaient-elles plus leur perfection et se mangeaient-elles elles-mêmes ? Reviendraient-elles plus éclatantes qu’auparavant ? Leur splendeur supporteraient-elle de nouvelles restaurations ? Leur avait-on dit qu’elles risquaient un jour d’être défigurées ?
Après le suicide d’Hana, la famille a évité de s’interroger sur les raisons réelles de sa mort. Ils ont préféré se taire, tous. Le silence est une économie sociale : une économie dans laquelle il n’y a ni épargne, ni investissement, juste une perte cumulée au fil du temps. Ils ont fermés les yeux, le prix de la vérité aurait été trop élevé, personne ne voulait s’en acquitter
Était-ce la folie qui est venue à nous ce jour-là ou nous qui étions venus à elle ? Avait-elle vraiment fait irruption dans notre vie et dans nos cœurs ? Chacun de nous ne l’aurait-il pas plutôt nourrie et laissé croître en lui ? Est-ce ainsi que s’édifie une nation ? Je ne savais que faire face à ces bruits qui se rapprochaient toujours, jusqu’à engloutir toute certitude
Durant ma vie à Beyrouth, j’ai rarement croisé quelqu’un qui choisissait volontairement de vivre des moments de solitude, de se retrouver avec lui-même dans un lieu retiré. Chaque foi que je me remémore la ville que j’ai quittée, j’ai l’impression que les gens – moi y compris – y vivaient constamment hantés par le regard et la parole des autres.
Il marche au milieu du désordre d’une longue nuit beyrouthine. Il entend des feux d’artifice retentir au loin. On dirait des explosions, qui se répètent pendant de longues minutes. C’est l’expression violente de la joie, de toutes sortes de sentiments. Il erre dans la ville dont le vernis de la civilisation s’écaille.
Je passe lentement ma main sur les taches de rousseur de les épaules.Tous les hommes devant lesquels je me suis déshabillée les ont caressées avec leurs lèvres. Un peintre beyrouthin originaire de Baalbeck m’avait dit que c’était des étoiles éteintes sur ma peau.