Poème de Ionut CARAGEA
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Armées silencieuses
mon ombre m’espionne à chaque pas
pour rendre son rapport à la Mort
mais moi je fais semblant
d’être calme et obéissant
je regarde les croix qui ne sont autres
qu’emplâtres sur la face de la Terre
et je dis : ça me va, Madame la Mort,
ça me va !
le Temps avale avide
les battements de mon coeur
il me laisse comme pourboire
quelques souvenirs
juste quelques petits souvenirs
et je dis : ça me va, Monsieur le Temps,
ça me va !
heureux et triste à la fois
car je suis encore
une dispersion de la lumière
dans une goutte de sang
je fais ma prière
et je dis : ça me va, Madame la Vie,
ça me va !
je fais semblant
d’être calme et obéissant
mais le soir
ayant l’air d’un rêveur
j’écris
et les mots s’alignent
comme des armées silencieuses
sur la feuille de papier
combattant la fatalité
Tout les gouvernements prétendent avoir fait leur devoir, aussi est-on criblé de dettes à présent.
(p. 34, David Boia)
Je suis convaincu que je peux arriver là-bas
dans ce monde que je touche seulement
du bout des doigts
et de mon crayon magique
poésie ouvre-toi et laissez-moi entrer
dans ta contrée de rêve
mon âme est la clé des mots
ma souffrance est la voie (...)
(" La suprême émotion")
Le trousseau
je traîne après moi une ombre
un trousseau débordant de pensées
venues du monde où je vivais
avant que je m’incarne
le vol m’est impossible
car le trousseau pèse lourd
tout ce que je peux faire c’est enlever
une par une les pensées
qui deviennent mots
ainsi j’arrive à avancer
un pas, un petit pas à la fois
je m’efforce encore et encore
pour enlever toutes mes pensées
que je sois léger tel un oiseau
toutefois le trousseau reste pesant
et je crie d’impuissance:
n’était-ce assez d’être Sisyphe
poussant son coeur
en haut de la colline ?
pourquoi faut-il encore traîner
ce trousseau débordant de pensées ?
dans sa langue
l’oiseau me répond :
comme j’aimerais moi aussi
être un ange !
mais quand mes ailes
me portent trop haut
hélas, je perds mes plumes
mes yeux se font de glace
et je perds mon souffle
pendant que toi au moins
tu peux écrire de mes plumes
toi au moins tu peux voir
au-delà des nuages…
Statue de marbre
mon existence
une symbiose
entre deux mondes
et le temps un serpent
qui part vers l’inconnu
abandonnant sa chemise
dans ma tête
mes mots dessinent
l’architecture parfaite
d’une renaissance
mais moi, têtu comme un âne
je déchire la feuille de papier
en attendant
l’apocalypse de l’amour
les mots mordent encore
dans ma chair
de leurs dents acérées
mais moi, comme
une statue de marbre
j’attends qu’une hirondelle
vienne cueillir mes larmes
Certificat de renaissance
j’ignore ce qu’on trouve au-delà
ainsi que derrière le ciel
je regarde la lune
ce mystérieux miroir
dans lequel l’humanité
cherche son visage imperceptible
cette île de lumière
entourée d’un océan de nuit
cette fleur dont les pétales
furent arrachés
par certains dieux en délire
cette pièce qui refuse
de tomber dans le creux de nos mains
quand nous prions les yeux fermés
au croisement de nos rêves cinglés
ce fruit défendu
portant toujours la morsure
qui nous bannit du Paradis
oui, je vous le dis
j’ignore ce qu’on trouve au-delà
mais je peux imaginer
une éternité où il fait bon vivre
une éternité où naîtront les mots
pour me tenir compagnie
d’ici là
j’exhume mes vieux souvenirs
et les croque tel un chien affamé
tout en espérant ne pas m’étouffer
de ma propre enfance
et me retrouver sans ombre
car l’ombre
est la seule qui valida
mon certificat de renaissance
quand plus personne ne croyait en moi
quand le temps cheminait tel un ver
dans mon cœur mûri d’amour
quand mon esprit se mettait au carré
pour me convertir en poème
Un tas de métaphores
même si le sens de la vie
n’est qu’un souvenir pendu
à la ficelle d’une forte illusion
ou une pluie qui tombe sans clémence
sur les ombres nichées
dans la poitrine de l’herbe
même si la guerre des esprits étroits
frappe à la porte de mon coeur
et je suis obligé de plier mes ailes
au lieu de survoler les vastes étendues
de terres et de mers
même si l’obscurité piétine de ses sabots
la fondation des rêves
et seule la joie de la mer
reste la pluie d’étoiles filantes
même si la lune est une larme glacée
sur la face de la nuit
et si les pics des montagnes enneigées
ne peuvent pas tremper leurs pointes
dans l’encre du ciel
pour réécrire l’histoire du monde
même si je suis qui je suis
un être ordinaire dans la foule
je ris toujours face à la mort
en lui offrant un tas de métaphores
Je refuse de dormir
Je refuse de dormir
je refuse de me rendre
au rêve
je me retourne face au monde
et avec les cendres de souvenirs
je crée un poème
un oiseau roucoulant
sous les fenêtres des cœurs
aux volets fermés
je refuse de dormir
je flotte sur ma propre respiration
jusqu'aux lèvres d'un
amour resté sans voix
et j'érige un nid de sortilèges murmurés
pour des âmes amères
je refuse de dormir
je reste enchaîné
au rocher de la nuit
jailli de la larme de l'obscurité
et je nourris mon poème
de mon propre foie
pour révéler aux humains
que l'espoir n'est pas encore mort
je refuse de dormir
et mes blessures profondes
saignent des fleuves
de l'infini
je refuse de dormir
je reste la bouche entrouverte
et mon âme se déverse en cascades
je sème sur les champs de la Voie Lactée
des fleurs et des épis de lumière
je refuse de dormir
je promène ma main
dans les cheveux dénoués
d'une comète
emmène-moi avec toi, aime-moi
rends-moi heureux
emmène-moi au bord de l'univers
que je connaisse mon créateur
car lui aussi
refuse de dormir
il offre son âme
sans relâche
Le monument du silence
je lis des silences
pour écrire des mots
je lis des mots
pour approfondir les silences
pour le reste,
beaucoup de bruit existentiel
que le coeur cherche
à transposer en musique
et des myriades de larmes
que je partage avec les gens
au pique-nique de nos âmes
dans l’allée des questions
sans réponse
je lis des silences
sur le visage des étoiles
sur les lèvres des ombres
dans les yeux pétrifiés des croix
et dans les mains
qui me caressent en rêve
je lis des silences
pour m’emmurer en silence
être le monument érigé
en l’honneur de celui qui règne
sur les dimensions
des silences absolus
je lis des silences
j’agonise et meurs en leurs seins
pour renaître en silence
et prier ceux
qui m’ont souri
dans les icônes de la solitude
je lis des silences
pour écrire des mots
je lis des mots
pour approfondir les silences
L'abîme de la métempsychose
La toute première larme
de la solitude
lave le corps inanimé
de l'amour
transformé
en ombre
les mots sont
comme des doigts tendres
avec lesquels je caresse
les tempes des souvenirs
la solitude
et son infinie
sensation de froid
et l’éternelle question
sans réponse
pourquoi ?
pourquoi ?
J'erre
à travers l'abîme de la métempsychose
sans savoir qui suis-je
sans savoir
où dois-je
amarrer mon âme
je me dispute avec Dieu
partageant l'instant
comme un quignon de pain
et je suis toujours affamé
de son impériale révélation
reviens et bénis-moi
de la présence
du miracle de la poésie
verse la perfection
et sème l'arc-en-ciel
dans mon cœur
couronne mon malheur
des lauriers d'un baiser
fantomatique
fais-moi remplir l'absence
à ce que je suis