Nous essayons de mettre en évidence les principes du “paradigme” qui se révélèrent les plus universaux et survécurent à la disparition de l’hésychasme comme doctrine purement théologique en entrant organiquement dans le tissu de la culture russe. (...) au XIXe siècle et au début du XXe, quand la culture russe atteignit sa claire “conscience de soi” , les penseurs russes utilisèrent pour leurs constructions philosophiques les idées des représentants de la philosophie occidentale les plus proches du “paradigme” hésychaste formulé ci-dessus : il convient de nommer avant tout Nicolas de Cues, Fichte, Schelling et Heidegger (les plus grands représentants de la philosophie mystique allemande).
(...)D’abord, l’élévation de l’homme au-dessus de son existence “inauthentique” antérieure (das Man, selon la terminologie de Heidegger, dans la philosophie duquel on peut trouver des coïncidences étonnantes avec l’idéologie de la “voie” hésychaste), c’est-à-dire la transfiguration “intérieure” accomplie , et ensuite le processus, commencé de la transfiguration “intérieure”, de la transfiguration de l’être du monde, dont l’homme transfiguré est la source et le centre.
Mais évidemment la « charge » de vision du monde donnée à la culture russe par l’hésychasme n’a pas limité son action au Moyen-âge. Même si dans la théologie du XVIIe siècle nous ne trouvons presque plus d’éléments témoignant de la conservation de représentations hésychastes de l’homme et de son chemin vers Dieu, cette influence fut tellement importante pour la culture que, dans sa forme transfigurée, les éléments principaux de cette tradition peuvent être découverts presque à chaque époque, et chez les artistes et les penseurs les plus divers. Voilà pourquoi la compréhension de l’hésychasme, non pas seulement comme courant de théologie orthodoxe, mais comme paradigme d’une vision du monde universelle ayant conservé son influence jusqu’à nos jours, représente un problème de premier rang, sans l’interprétation duquel il est impossible de comprendre non seulement le développement de la culture de la Rus’ du Moyen-âge, mais tout le développement culturel russe postérieur.