Isaac de BENSERADE Lesprit précieux (Chaîne Nationale, 1953)
Une réunion des émissions « Les poètes et leurs musiciens », par Lila Maurice Amour, diffusées les 10 et 17 septembre 1953 sur la Chaîne Nationale.
ÉPIGRAMME
Je mourrai de trop de désir,
Si je la trouve inexorable ;
Je mourrai de trop de plaisir,
Si je la trouve favorable.
Ainsi je ne saurais guérir
De la douleur qui me possède :
Je suis assuré de périr
Par le mal ou par le remède.
SUR LA VILLE DE PARIS.
SONNET.
Rien n’égale Paris ; on le blâme, on le louë ;
L’un y suit son plaisir, l’autre son interest ;
Mal ou bien, tout s’y fait, vaste et grand comme il est :
On y vole, on y tuë, on y pend, on y rouë.
On s’y montre, on s’y cache, on y plaide, on y jouë ;
On y rit, on y pleure, on y meurt, on y naist :
Dans sa diversité tout amuse, tout plaist,
Jusques à son tumulte et jusques à sa bouë.
Mais il a ses défauts, comme il a ses appas,
Fatal au courtisan, le roy n’y venant pas ;
Avecque sûreté nul ne s’y peut conduire :
Trop loin de son salut pour être au rang des saints,
Par les occasions de pécher et de nuire,
Et pour vivre long-temps trop prés des médecins.
p.35
SONNETS SUR LA BEAUTE /Sur la Beauté.
SONNET III.
BEAUX yeux dont l’atteinte profonde
Trouble des cœurs incessamment,
Le doux repos qui ne se fonde
Que sur un si doux mouvement,
De tout ce qu’on dit en aimant,
Beaux yeux, source vive et féconde ;
Beau refrain, doux commencement
Des plus belles chansons du monde ;
Beaux yeux qui sur les cœurs avez
Tant de puissance, et qui sçavez
Si bien joüer de la prunelle ;
Beaux yeux, divin charme des sens,
Vôtre amour est en sentinelle
Pour attraper tous les passans.
p.6
Les Rats tenant Conseil.
Le chat étant des rats l’adversaire implacable,
Pour s’en donner de garde un d’entr’eux proposa
De lui mettre un grelot au col ; nul ne l’osa.
De quoi sert un conseil qui n’est point praticable ?
C’est ainsi que sans fruit, plus d’un conseil s’assemble.
Jamais en opinant, le conseiller ne tremble :
Lui parle-t-on d’agir, le cas n’est pas égal ;
L’on conseille fort bien, l’on exécute mal.
Jupiter et les Besaces.
On dit que Jupiter, comme un joug assez doux,
A posé de sa main deux besaces sur nous.
Devant est celle où sont tous les défauts des autres ;
Et derrière il a mis celle où sont tous les nôtres.
C’est ainsi qu’ici-bas le sot encor la porte ;
Le sage agit d’une autre sorte :
Il la retourne et met ses défauts devant lui,
Tandis que sur son dos il jette ceux d’autrui.
IPHIS : Il est vrai, je soupire.
IANTE : Eh quoi ?
IPHIS : De me voir
Indigne de l'honneur que je vais recevoir,
Mille amants que l'éclat de vos grâces transporte,
En disputant le prix, et le moindre l'emporte,
L'amour m'a suscité tant de parfaits rivaux,
Et je les ai vaincus avec tous mes défauts.
Le Renard et la Cigogne.
Maître renard offrit un beau matin
À dame la cigogne un étrange festin ;
Un brouet fut par lui servi sur une assiette,
Dont l’oison au bec ne put attraper miette.
Aussi, pour se venger de cette tromperie,
À quelque temps de là la cigogne le prie :
Dans un vase à long col lui sert friand morceau.
Le sot n’en put tâter ; et léchant son museau,
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris.
Vous me fîtes jeûner, je vous rends la pareille,
Disait la cigogne au renard baissant l’oreille ;
Tout est dans les règles, ami ;
Car à fourbe, fourbe et demi.
Amants agneaux ,deviennent maris loups .
Le Corroyeur et le Financier
Le délicat voisin d’un puant corroyeur
Plaida pour l’éloigner, et gagna son affaire :
Pendant qu’à déloger le corroyeur diffère,
Le voisin s’accoutume à la mauvaise odeur.
Bientôt le délicat plaideur
Des peaux de son voisin ne sentit plus l’odeur :
Que conclure de là ? Que ce qui semble rude
Devient avec le temps, plus doux par l’habitude.
Eraste.
Quand je vois qu'une fille en aime une comme elle,
Et fait naître en son cœur une flamme nouvelle,
Et que dans ce beau couple un habit seulement
Fait la distinction de maîtresse et d'amant :
Encore qu'à mes yeux ma déesse soupire
Pour quelqu'autre que moi, je suis contraint d'en rire.
Acte II, scène 1.