Ce que j'aimais, c'était être dehors, dans les landes ou la forêt, ramasser des plantes, les observer, les reconnaître, faire germer des graines, les arroser, regarder pousser les tiges et les feuilles, ou mieux encore ramasser des algues sur le grêve et sur l'estran et les coucher sur le papier, encore humides, une fois revenue à la station de biologie marine, dont les larges baies vitrées donnaient sur la mer. J'aimais ces activités car elles n'enfermaient pas l'esprit, (...) Entre êtres vivants, on pouvait toujours tenter de communiquer. Avec n'importe quel arbre, je sens que je peux entrer en relation.
Mr Jules, et moi, avons séjourné chez les Naruse. Le père possédait une petite fabrique de laque et la mère venait d'une famille de peintres sur soie, celles dont on fait les kimonos et les ceintures.
Ces gens, bien qu'assez modestes, vivaient dans un raffinement qui a immédiatement séduit votre grand père. Tout était beau chez eux, les objets les plus quotidiens, les cloisons peintes, les paravents, les coussins...
Leurs deux filles jouaient de la musique, Midori du "koto" et Mitsuko du "shamisen". Le soir, elles chantaient après dîner, je crois que c'est comme ça que Mr Jules est tombé amoureux.
Une paix régnait sur ces lieux, une paix indicible et grave, presque inquiétante à force d'intensité. Il y avait dans ce paysage à demi sauvage, habité sans l'être, un mystère puissant qui me dépassait, une sorte d'esprit flottant qui à la fois calmait et gardait en éveil. Plus encore que dans la ville je restais impressionnée par l'étrangeté dégagée. Je me sentais transportée d'enthousiasme et en même temps j'étais stupéfaite, interdite et comme repoussée aux marges d'un monde impraticable.

Les heures, les jours s’écoulaient et Tim, loin de se défaire de son attachement, le consolidait et le renforçait. Il se passait aisément de son Bphone et avait renoncé sans trop de difficultés aux relations permanentes qu’il entretenait avec ses camarades et amis à travers les réseaux et les diverses messageries. Il savait qu’une alerte prévenait automatiquement, en cas de « cure », ceux qui vous adressaient des messages ou des « requests ». Il n’était pas si attaché à tout cela et, finalement, pas vraiment dépendant non plus. Il y passait d’ailleurs moins de temps que d’autres, grâce à Today en particulier, qui l’occupait et le distrayait efficacement d’une certaine solitude.
Le paradoxe était ce que ce fût « à cause » de Today qu’il se trouvait en déconnexion, car il n‘entrait pas plus d’addiction dans sa relation au petit robot que dans n’importe quel sentiment ou attachement pour ne personne chère.
Tim considérait Today comme il l’aurait fait d’un colocataire ou d’un copain : il avait, en introduisant avec son robot un dialogue que le temps enrichissait, développé une relation « humaine » avec lui, et leur compagnonnage s’apparentait à celui de deux amis proches.
Le fond l'irrationalité qui gouverne l'enfance correspond bien à cet état approximatif dans lequel se forme la fiction, faite de mots qui arrivent d'on ne sait où et viennent prendre leur place, à notre insu.Quand on est enfant, on ne s'étonne pas que le monde soit incompréhensible, on devine qu'existe à tout cela un sens qui nous échappe, et l'on pense que les grands connaissent l'ordre de ce qui nous apparaît comme un vaste chaos.
En littérature, c'est un peu la même chose, on pressent qu'il y a une cohérence cachée dans les mots qui tiennent sous notre plume, mais on conserve le sentiment de ne pas maîtriser ce qui surgit.Cela nécessite d'avoir gardé l'humilité de l'enfance, et d'accepter d'être un instrument, un vecteur plutôt qu'un acteur.
( Stock, 2007, p.163)
L’inaction volontaire dans laquelle étaient laissés les pensionnaires du centre pendant les premières trente-six heures avait pour but de les conduire à une « autonomie psychologique ». C’est ce que prétendait la brochure que chacun pouvait trouver dans sa chambre et lire attentivement, ainsi qu’il était conseillé de le faire sur la première page du petit fascicule. « Au terme d’une errance cérébrale qui vous obligea à rechercher en vous-même des ressources pour canaliser votre propension à vous rapprochent encore et toujours d’une machine-support, vous finirez par trouver une manière « d’être à vous » qui rendra le sevrage supportable. » Une machine-support !
Tim avait bondi en lisant ces lignes, ulcéré par le jargon des psychologiques du centre et la condescendance qu’ils manifestaient envers les connectés dont, Tim n’en doutait pas un instant, ils se servaient constamment.

C'est avec "La ferme des animaux" et surtout "1984", le plus impressionnant roman antitotalitaire jamais écrit, que George Orwell s'est fait connaître dans le monde entier.
Cet écrivain britannique a choisi de mettre la littérature au service des valeurs qu'il voulait défendre : liberté, justice et fraternité. Ses positions courageuses, sa vision lucide et son esprit critique en ont fait l'un des plus grands écrivains politiques du vingtième siècle.
Dans ce livre mi-fiction, mi-biographie, Isabelle Jarry, en hommage au créateur du novlangue, le nouveau langage du monde de "Big brother", invente les mots "orwelliens" du vingt et unième siècle. Elle imagine une chronique du futur ludique et inquiétante et nous fait également découvrir, au détour de chaque terme de son lexique d'anticipation, l'homme passionnant que fut Orwell.
Né en juin 1903, George Orwell aurait eu cent ans cette année : sa pensée et son oeuvre demeurent aujourd'hui, plus que jamais, d'une brûlante actualité.
(quatrième de couverture de "George Orwell : cent ans d'anticipation" paru chez "Stock" en 2003)
Pourtant je suis très sensible à l'élégance et à la beauté. J'apprécie les belles maisons, les belles femmes, les beaux jardins, les beaux tableaux, les belles robes, les beaux tissus, mais à la manière de quelqu'un qui serait assis sur le bord de la route et qui regarderait passer le cortège.Admiratif. Admiratif mais pas impliqué.
( Stock,2007, p.85)
On le sait depuis longtemps, depuis toujours, on mourra seul. mais Pascal aurait pu ajouter : "On vivra seul". Car, mêmes juxtaposés, les êtres humains demeurent séparés par des cloisons qui, fussent-elles de verre, n'en sont pas moins étanches et infranchissables. On se voit, on se regarde, on se touche, on dort ensemble, mais le contact de deux épidermes ne peut rester que singulièrement superficiel. Atteint-on, au-delà de l'enveloppe, la personne, la vraie, le cœur, l'esprit, l'être ?
"J'habitais dans la rue, certes, mais je restais la même femme. Je n'étais pas folle, ni mal élevée, j'avais un peu de culture et je savais réfléchir, j'étais capable d'échanger des idées, à plus forte raison de banalités. Mais non, personne ne désirait bavarder avec moi. Etait-ce parce que j'étais sale ? Mal habillée ? De quoi avaient peur ceux qui se détournaient, vaguement offusqués ? Ils vivaient dans un monde et j'en étais exclue, [... ]"
"Il me restait du vocabulaire, tout de même, les mots n'avaient pas tous disparu. J'ai continué, mais en réalité je tournais en rond. J'écrivais toujours les mêmes choses, je répétais ce que je savais encore dire, m'accrochant à cet exercice sans m'apercevoir que je n'avançais pas dans le reconquête de mon vocabulaire, bien au contraire."