Isabelle Pandazopoulos a répondu à nos questions pour vous présenter son nouveau roman
Sasha et le cheval ailé !
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Cette fille incarnait la vie, l'insolence, elle me donnait la force d'envisager l'avenir. Loin d'eux. MA vie.
Elle continuait à se dénuder peu à peu.
J'ai reculé d'un pas.
Je l'ai contemplée, le souffle coupé, heureux que personne d'autre que moi ne puisse voir à quel point elle était belle.
Ma chère Ilse, ma chère épouse,
Je t'écris un peu en désespoir de cause puisque tu tournes la tête quand tu me vois et que tu refuses de me parler. Tu n'arrives même pas à prendre ton bébé dans tes bras. Ce qui t'arrive me fait peur. Les médecins parlent de dépression et je n'y comprends rien. [...]
Je perds souvent patience. C'est tellement incompréhensible pour moi, tellement loin de la femme que tu as toujours été... Comment peut-on ne pas vouloir de son propre enfant ? [...] Quand je te demande ce dont tu as besoin, tu ne réponds rien. Ou tu pleures. Il faut que tu arrives à reprendre des forces, ma chérie, s'il te plaît, fais-le pour moi, fais-le pour nous. Le psychiatre m'explique que ce n'est pas une question de volonté. Et que c'est le propre de cette maladie de ne plus rien vouloir. [...]
Longtemps, je me suis méfiée des mots. Quand j'ai eu besoin d'eux, ils manquaient. Ils se barraient, me narguaient, me snobaient et même ils me ridiculisaient. Alors si je parlais peu, c'est que je ne m'y risquais pas. Résultat, les gens ont toujours pensé que je n'avais rien à dire. Que ceux qui me ressemblent n'ont rien à défendre, rien dans le vendre et rien à déclarer. Mais ils se trompent.
Combien de fois avais-je rêvé de changer de vie ? Tout recommencer ailleurs, autrement, avoir une nouvelle chance. J'avais fait des vœux à chaque Nouvel An, les nuits d'été à chaque étoile filante, à la rentrée de septembre j'avais pris des tas de résolutions.
Y croire ou en rêver, ça suffit à redonner de l'élan. Mais quand ça arrive en vrai, c'est une tout autre histoire.
Je disais donc...que les mots seront vos outils, mais ces outils ne sont rien si vous n'avez rien à défendre ! L'essentiel, c'est d'avoir des idées ! Des envies ! Des convictions ! Et c'est ça qu'on va aller chercher. VOTRE singularité, VOTRE sensibilité, VOTRE manière de voir le monde.
Votre psy, il a parlé d’échec scolaire… mais j’ai eu mon CAP paysagiste, j’ai trouvé un patron pour mon stage qui m’a embauché après, même qu’il voulait que je passe mon bac pro… Vous trouvez que c’est un échec, ça ? Et que je serais passé pro dans la boxe s’il y avait pas eu tout ça, ça aussi, vous trouvez que ça demande pas des efforts ? Pour vous c’est rien alors, de la merde, hein, les gars comme moi, un Arabe des cités, ça peut pas « réussir », hein, ça va à la mosquée et ça tue son prochain, c’est ça que vous vous racontez ?
A quoi ça sert la vérité si la vérité fait si mal ?
– Pierreux ?
– Oui, c’est comme ça qu’on vous appelle ici, parce qu’il y a un truc entre vous, un truc un peu spécial, qui vient de ce métier, je crois… Vous n’êtes pas tout à fait comme les autres.
– Ca me va bien, je pense, d’être enfin avec des gens pas tout à fait comme les autres.

[ Paris, mai 1968 ]
Les gens sont horrifiés par la violence avec laquelle la police et les CRS se ruent en plein jour et en public sur des jeunes qui sont seuls, à terre et désarmés, n'ayant que leurs bras pour se protéger des coups. Des passages à tabac sous les yeux des passants, des actes complètement gratuits, filmés et photographiés, dont ils ne se cachent pas, au contraire, ils se croient légitimes, on le sent, on sentirait presque aussi le plaisir qu'ils y prennent, d'être cinq ou six ou sept, d'être armés et de frapper ensemble sur un plus faible, sur un plus petit, sur un plus rien, sur une ombre ou même plus ! Les ordres qu'ils ont reçus sont clairs. Il leur faut faire la démonstration qu'ils ne sont pas du genre à se laisser emmerder par des mômes de vingt ans qui-n'ont-aucun-sens-des-responsabilités, des rêveurs, des parasites dangereux qui s'imaginent capables de menacer l'ordre social et que quelques coups suffiront à faire taire...
Quand je les vois, ces ombres sans visages vêtues de longues capes noires, avec leurs casques sur la tête et les poches lourdes de matraques et de grenades, quand ils s'alignent en se tenant pas la main, si convaincus d'eux-mêmes, de leur droit, de leur force, à chaque fois j'ai l'impression que ce n'est pas réel, parce que ces flics, comme ils sont là devant moi, déguisés en quelqu'un d'autre, on dirait des méchants de contes de fées, des ogres pour de vrai. Leur violence est comme celle d'avant la civilisation et d'avant la culture, et même d'avant la pensée, ces gens sont comme des animaux, mus par l'instinct le plus bas.
Je me mets en face d'eux et je cherche leur regard, et je sais qu'ils ressemblent trait pour trait à ceux qui ont torturé mon papa*, au nom de la loi, jusqu'à le rendre fou.
* père communiste, en Grèce
(p. 290-291)
La maternité est un asservissement qu’aucun homme ne peut soupçonner.