Trois filles en colère de
Isabelle Pandazopoulos
[ Paris, mai 1968 ]
Les gens sont horrifiés par la violence avec laquelle la police et les CRS se ruent en plein jour et en public sur des jeunes qui sont seuls, à terre et désarmés, n'ayant que leurs bras pour se protéger des coups. Des passages à tabac sous les yeux des passants, des actes complètement gratuits, filmés et photographiés, dont ils ne se cachent pas, au contraire, ils se croient légitimes, on le sent, on sentirait presque aussi le plaisir qu'ils y prennent, d'être cinq ou six ou sept, d'être armés et de frapper ensemble sur un plus faible, sur un plus petit, sur un plus rien, sur une ombre ou même plus ! Les ordres qu'ils ont reçus sont clairs. Il leur faut faire la démonstration qu'ils ne sont pas du genre à se laisser emmerder par des mômes de vingt ans qui-n'ont-aucun-sens-des-responsabilités, des rêveurs, des parasites dangereux qui s'imaginent capables de menacer l'ordre social et que quelques coups suffiront à faire taire...
Quand je les vois, ces ombres sans visages vêtues de longues capes noires, avec leurs casques sur la tête et les poches lourdes de matraques et de grenades, quand ils s'alignent en se tenant pas la main, si convaincus d'eux-mêmes, de leur droit, de leur force, à chaque fois j'ai l'impression que ce n'est pas réel, parce que ces flics, comme ils sont là devant moi, déguisés en quelqu'un d'autre, on dirait des méchants de contes de fées, des ogres pour de vrai. Leur violence est comme celle d'avant la civilisation et d'avant la culture, et même d'avant la pensée, ces gens sont comme des animaux, mus par l'instinct le plus bas.
Je me mets en face d'eux et je cherche leur regard, et je sais qu'ils ressemblent trait pour trait à ceux qui ont torturé mon papa*, au nom de la loi, jusqu'à le rendre fou.
* père communiste, en Grèce
(p. 290-291)
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