Roman plein de soleil, définitivement sous le signe de la danse, "Le Temps d'un Abrazo" vous est présenté par Isabelle Vouin, son autrice.
Un don n'est jamais facile à accepter ni à porter. Dès qu'on en prend conscience on se sent investi d'une responsabilité écrasante à laquelle on voudrait échapper. Alors on fuit. Car on veut être libre. Libre de choisir son destin, (…).
- Vous êtes pénibles tous les deux ! Toujours à parler d'armes, de combats. Vous trouvez qu'il n'y en a pas assez autour de nous ?
- Non ! Il n'y en a pas assez puisqu'on n'a pas encore la solution, (…).
- Et quand tout le monde sera mort, qu'est ce qu'on fera, hein ? Ca ne te suffit pas papa, maman, bientôt Ahmed et après toi et puis Aman ? Et moi ? Qu'est-ce que je vais devenir ? Vous vous en moquez ! Tout ce qui compte pour vous c'est de tenir une kalach ! Vous n'avez que ce mot dans la bouche.
Parfois, je me demande ce qui unit encore les hommes. Leur langue ? Les poèmes de Haruni ? La poussière de leurs ancêtres qui s'envole dans les tempêtes de sable ? Le Tout-Puissant qu'ils prient cinq fois par jour en se tournant vers le Nord ? Ou bien la soif de vengeance ?
Un jour j'ai demandé à Harouni.
- Toi qui es l'Eclaireur, dis-moi qui est le Tout-Puissant ?
- Aman, tu te poseras cette question toute ta vie ça le Tout-Puissant est la Quête absolue. Il est le Chemin. Il est le Mystère. Il est la main soutenant toute chose dans sa paume. Tu ne pourras jamais Le connaître mais tu peux Le rencontrer. Peux-tu faire entrer le vent du désert dans cette outs ?
- Non !
- En effet. De la même manière ton esprit d'homme est trop étroit pour y faire entrer l'Eternel. La poésie, la musique, la prière, le silence sont les moyens de communiquer avec Lui.
Je touche le fond de la cruauté du monde avec ce qu’il me reste de carcasse humaine. Depuis des semaines, nous parcourons des landes sans fin, grisâtres, lourdes de brouillard, emportés dans un mouvement de foules désespérées vêtues de guenilles et de stupeur. Personne ne sait faire rien d’autre que faire avancer ses os et ce qui reste de chair et d’instinct de survie. Des bêtes se seraient couchées pour regarder paisiblement la mort les envelopper et les délivrer. Mais les humains ne sont pas raisonnables. Ils se lèvent en rampant pour lui échapper. Même si chaque pas est une explosion de souffrance, c’est encore la vie.
J’ai douze ans et je suis le préféré de ma mère. Je le sais, car elle laisse parfois traîner son regard sur moi comme si elle était dans un rêve lumineux. Et là, à chaque fois, une boule de chaleur se met à grandir et à envahir mon corps. C’est doux comme une chanson fredonnée à la tombée de la nuit.
Ma mère, c’est la reine de Saba. Il est impossible d’imaginer une beauté aussi parfaite. Je déteste le regard brillant des hommes qui l’approchent. On dirait une lame acérée qui veut la pénétrer. Avec une grâce infinie, elle
s’en protège en couvrant son visage du voile bleu qui recouvre ses cheveux et elle devient inaccessible. C’est le moment que je choisis pour me blottir contre elle, serrer ses jambes fines et leur montrer à tous que c’est à moi
qu’elle appartient.
— Aman ! Cesse de t’agripper à moi comme un petit babouin, aime-t-elle me dire en essayant en vain de me détacher. Quoique j’hésite entre un babouin et une sangsue. Et dire que je t’ai appelé Aman parce que ça
signifie « la Paix ». Mais comment avoir la paix avec un tel animal ?
Pourquoi écrire dans l’absurdité de ce camp?
J’ai juste envie de le ( le livre Les Sables savants) ramener à Suzanne, comme un gosse ramène un bouquet de fleurs des champs à sa chérie. Là, ce sont des fleurs de champs de bataille. Des chardons. Elle se moquera de moi comme elle aime le faire. C’est de façon à elle d’être pudique.
- Mon chéri, voilà, tu reviens de captivité et la seule chose que tu es capable de me ramener c’est un roman. Ne me dit pas que même là bas, tu pensais au Grand Prix ?
- Si, mon amour.
- Et tu pensais plus au Grand Prix qu’à moi?
- Oui, mon amour.
Je la prendrai dans mes bras, je l’étoufferai, je sentirai chacune des ses côtes, de ses vertèbres, de ses hanches, je l’enfoncerai en moi, je me perdrai en elle, je
me couvrirai de ses cheveux, le la respirerai, je me l’incrusterai à vie.
Mon amour, je divague. J’ai chaud. Je tremble. C’est la fièvre. La peur aussi. Peur de te perdre. Peur de n’être pas celle que tu crois. Peur de ne pas être ce que je croyais être. Je suis la veuve d’ un mort-vivant. Et toi ? Tu écris, Je le sais. Tu écrirais n’importe où. Tu écriras dans la mort. Tes mots te survivront. Tu m’écris peut-être en ce moment. J’entends le raclement de la mine sur le papier de fortune. Ta main n’a pas oublié comment coucher les caresses que tu inventes pour moi. Les hommes les ont piétinées, mon Amour. Il n’y a plus de tendresse. Elle est morte avec la déclaration de guerre. …
Je m’enfonce dans la tourbe qu’ont remuée les nazis. Je ne supporte plus les regards gênés. Ce poids de la compassion. Cet air calculé pour être limpide mais dont on perçoit le trouble. Où est la Suzanne téméraire que tu as emporté dans ton baluchon de soldat ? Comment se relever lorsque tout son peuple est mis au ban de l’humanité ? Je creuse ma galerie comme un ver sous la terre épaisse piétinée par la foule. Ils y sont arrivés. Ils nous ont réduits à l’état de cafards.
[...] ta vie c'est ce que tu as de plus précieux, plus précieux que tout, même que ton pays !
Tous ceux qui l'ont porté ont été des poètes remarquables. Il sert à trancher les ténèbres pour ouvrir le chemin de la lumière. C'est le poignard de "l’Éclaireur".
Dans quel pays l'histoire se déroule-t-elle ?