Il vivait dans les livres, et quels livres ! Des romans d’aventures ! Deux placards de son salon en étant remplis ; ils débordaient dans la chambre à coucher.
— Des nids à poussière, ronchonnait la femme de ménage.
Les flots lui chantaient la bienvenue. Elle les écoutait rire ou fredonner, ou se perdre en longs bavardages. Elle leur trouvait la grâce des belles danseuses ; elle enviait les roseaux et les herbes qu'ils caressaient prestement, avec de charmants ressauts. Puis, elle devinait bien qu'ils renferment tout le mystère du monde vivant. Nous en venons, et aussi bien, nous découvrons en eux tous nos mouvements essentiels : ils palpitent comme des coeurs, coulent comme le sang, scintillent comme des yeux. Ainsi qu'en nous, toutes les choses s'y répètent. Ils ont, en reflets, ce que nous avons en sensations, en impressions, en pensées...
André choisit, comme séjour, une des parties les plus sauvages de la Bretagne, la pointe occidentale de l'île de Bréhat, où il découvrit une maison gardée par une vieille femme, comme un grand nombre de maisons dans cette île sans voleurs.
Ces Parisiens échoués sur la berge du lac d'Hossegor,parurent à tout le monde,dans la région ,des audacieux qui reprendraient bientôt leur vol...
On était loin de tout : il n'y avait même pas d'eau potable : les hautes marées en s'approchant des puits , traversaient le sable, salaient la nappe souterraine .
D'autre part , le village le plus rapproché se trouve à quatre kilomètres ;La grande ville, Bayonne , par la route est à cinq lieues.Le facteur nous apportait nos lettres de Saint Vincent de Tyrosse . Le plus souvent il les confiait à un passant quelconque et elles nous parvenaient au bout de quinze jours !...
Il semblait que l'on vécût au fond de la Russie!...
Entre Loguivy et I'Arcouest, sur ces petites routes de la côte bretonne qui permettent, lorsqu'on les parcourt au crépuscule, de voir les plus beaux couchers de soleil du monde, André suivait un chemin creux entre deux talus surmontés d'ormes ou de chênes... Ne rencontrant âme qui vive, et les routes s' ajoutant aux routes, il lui arriva de tourner en rond, de se retrouver à son point de départ. Pour s'orienter, il gravit un talus, chercha un repère.
(note personnelle : Rosny se permet, surtout au début de l'ouvrage, quelques digressions, dont voici deux exemples)
La servitude a pris, à notre époque, une forme plus douce sans cesser d'exister. L'instinct grégaire des hommes n'est pas un instinct heureux. Les guerres, les révolutions, l'ignorance des masses, leur crédulité a fait de nos sociétés un enfer. Beaucoup, et des meilleurs, pour échapper à la contrainte des lois civiles, aux misères matérielles, et surtout aux misères sentimentales, se réfugient dans des ordres religieux où ils subissent du moins un esclavage volontaire.
[...]
Mais poussez un peu plus loin, forcez la division du travail, faites de l'ouvrier un automate, de l'intellectuel un impuissant, du guerrier une brute, de tous, des libérés de la nature, diminués, corrompus, vicieux, et loin d'avoir rempli l'appel de la destinée, vous aurez abîmé un corps et déformé un esprit. Les essais collectivistes les plus récents sont arrivés à des résultats si déplorables que toute la haute humanité les rejette comme une honte.