Payot - Marque Page - Jack Finney - le voyage de Simon Morley
Vous est-il déjà arrivé de donner un livre qui vous avait énormément plu en éprouvant un sentiment d'envie parce que la personne va le découvrir et que, cette expérience, vous ne la ferez plus jamais ?

« Hetty, dis-toi bien que l'homme s'accommode mal du mariage. Nous avons été conçus pour engendrer des centaines d'enfants avec une variété presque infinie de femmes. », geste à l'appui en direction de quelques-unes d'entre elles qui se rendaient à leur travail. « Alors que toi, si adorable sois-tu, tu n'es jamais qu'une seule et même femme. Tu es une blonde d'un mètre cinquante-sept, plutôt bien faite quoiqu'un peu ronde, ai-je précisé avec malice. Tu as un visage agréable, respirant une relative intelligence. Crois bien que j'apprécie tout ça, rondeurs comprises. Mais ça veut dire aussi – pourquoi diable les femmes refusent-elles de l'admettre ? – que tu ne seras jamais une grande rousse aux hanches galbées, à la démarche ondulante. » J'ai désigné une grande rousse aux hanches galbées, à la démarche ondulante. « Malheureusement pour nous deux, tu ne seras jamais une brune élancée », ai-je ajouté en pointant le menton vers une brune élancée qui descendait d'un bus. « Ni une petite femme châtain bien en chair, ni une poupée chinoise, ni une Japonaise…» Sentant que je me laissais emporter, j'ai mis un bémol à mon enthousiasme.
J'entends bien résister à la tentation, d'ailleurs inexistante, de vous parler de mon travail et de mes occupations quotidiennes au bureau. Ça vous serait peut-être utile pour analyser la psychologie de mon personnage, mais j'aimerais mieux être pendu que de vous faire ce plaisir.
Afin d'éviter cliché, n'ai pas dit : « Suivez ce taxi ! » mais : « Veuillez emboîter le pas à cet individu. » Chauffeur : « De quoi ? » Moi : « Roulez dans le sillage de ce véhicule jaune. » Chauffeur : « C'est quoi que vous voulez dire ? » Moi : « Suivez ce taxi ! »
« Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le roi des tocards ?
— Toujours pareil, a répondu la voix grave et familière. Tu es au coude à coude avec un berger australien alcoolo et un usurier de Beyrouth. Mais on dirait que c'est toi qui tiens la corde. »
J'ai souri, affectant de croire que nos deux existences s'en trouvaient mutuellement enrichies. Je me suis juré de chauffer la pièce avec un briquet un de ces quatre. Une manière de lui rappeler qu'on n'a pas gardé les cochons ensemble.
Je lui ai adressé un sourire aussi franc et candide que celui d'un acteur en campagne pour les élections présidentielles. Ça marche aussi sur les chiens ; celui-ci m'a cru.
Elle s'est approchée du vaisselier branlant offert par sa mère, sans doute parce que l'Armée du Salut l'avait refusé avec indignation.
Le degré d'altération est généralement trop infime pour qu'on perçoive vraiment la différence. Et pourtant, ces minuscules changements quotidiens nous ont progressivement extriats d'une époque où, à la place des feux rouges et des pompiers de ce matin, vous auriez vu des champs, des arbres et des cours d'eau, des vaches, des hommes en tricorne et des navires britanniques à l'ancre sur une East River limpide et ombragée.
Pourquoi les frères Wright ont-ils eu envie de construire un aéroplane ? Pour créer des emplois d'hôtesses de l'air ? Pour nous permettre de bombarder le Viêtnam ? Non, tout ce qu'ils avaient en tête, c'était de savoir si la chose était possible. C'est sans doute pour la même raison que les savants russes ont placé le premier satellite sur orbite, malgré tous les mobiles officiels avancés à l'époque. Tout bêtement pour savoir s'ils en seraient capables, comme des gosses qui font exploser un pétard sous une boîte de conserve vide pour voir si elle va vraiment s'envoler. Et à mon avis, c'est une raison suffisante.