AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


Sur le Pré Lally, en plein milieu de la Forêt de Tantrevalles, se trouvait le manoir de Trilda : un édifice de bois et de pierre situé là où le Ruisseau de Lillery, émergeant de la forêt, allait se jeter dans la rivière Douce Yallow au bout du pré.
Trilda avait été construit un siècle avant sur l’ordre du magicien Hilarion, lassé de sa résidence précédente, la Tour de Sheur, sur un îlot étroit et rude au large de la côte nord du Dahaut. Il traça les plans avec grand soin et engagea une troupe de charpentiers gobelins qui se déclarèrent hautement qualifiés. Hilarion voulut discuter des plans avec leur contremaître Shylick, mais celui-ci y jeta un coup d’œil et sembla assimiler instantanément le moindre détail.
Les charpentiers se mirent au travail ; ils creusèrent, fouillèrent, taillèrent et scièrent, martelèrent, pilonnèrent, meulèrent et ajustèrent, tirèrent de longues bandes de leurs varlopeuses, tant et si bien que le travail fut terminé en une nuit, jusqu’à la girouette en fer noir sur la cheminée.
Comme les rayons de l’aurore apparaissaient sur le Pré Lally, Shylick le maître charpentier essuya la sueur sur son front et, d’un grand geste élégant, présenta sa facture à Hilarion en exigeant un paiement immédiat, car ses troupes avaient une affaire urgente en un autre lieu.
Hilarion était un homme prudent. Il loua Shylick pour sa diligence, mais voulut absolument inspecter les lieux avant de payer. Shylick protesta, puis accompagna Hilarion de mauvaise grâce.
Presque aussitôt, le magicien découvrit des négligences. Le devis prévoyait des « gros blocs de pierre de taille de qualité supérieure » ; les blocs inspectés par Hilarion s’avérèrent des simulations préparées à partir de bouses de vache enchantées. Poussant plus loin ses vérifications, il s’aperçut que les « poutres robustes de chêne bien sec » prévues par le descriptif étaient des tiges de fenouil séchées déguisées par un autre enchantement.
Hilarion fit remarquer ces défauts avec indignation et exigea que le travail fût accompli correctement et selon les critères définis. Shylick maussade argua qu’une précision totale était inconnue du cosmos. Les gens raisonnables, affirma-t-il, acceptaient une certaine latitude dans l’interprétation d’un devis, puisque l’imprécision était inhérente au processus de communication.
Hilarion demeura inflexible et Shylick frappa le plancher de son grand chapeau vert. Selon lui, la distinction entre « apparence » et « substance » n’était qu’une subtilité philosophique ; presque tout était l’équivalent de presque tout le reste. Hilarion répondit d’une voix grave :
– Dans ce cas, je vous réglerai mon compte grâce à ce brin de paille.
– Mais non. Ce n’est pas tout à fait la même chose.
Hilarion traita les arguments de Shylick de purs sophismes.
– Ce manoir a belle apparence, je vous l’accorde. Mais les enchantements de cette sorte sont fugitifs et tendent à s’éroder !
– Pas toujours !
– Assez souvent ! À la première pluie dense, tout cet édifice construit de bric et de broc risque de s’écrouler sur mon dos. Il vous faut recommencer tout l’ouvrage depuis le début en utilisant des matériaux standard et des méthodes de construction normalisées.
Commenter  J’apprécie          30





Ont apprécié cette citation (3)voir plus




{* *}