AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Laumness


– Vous faites une nette différence entre écrire et devenir écrivain.
– Oui, tout le monde écrit aujourd'hui, c'est-à-dire veut se raconter, « s’exprimer » selon l’injonction du temps. Or, l’écriture comme art n’est pas un exutoire ni un document, mais une création singulière et une re-création de la réalité, avec la langue appropriée. Quant à se dire écrivain, il faut attendre que beaucoup d’encre passe sous les ponts : il faut un style, un univers très reconnaissable, une approche originale, c'est-à-dire qui n’appartient qu’à soi et bien sûr, quelque chose à dire de plus vaste que sa petite personne. Ainsi, quelqu'un peut être l’auteur de nombreux livres à succès sans être du tout un écrivain, sans mériter ce beau qualificatif. Comme tout véritable artiste, un écrivain touche à l’universel et s’inscrit dans l’intemporel, loin de se réduire à l’actualité. Et il œuvre toute sa vie durant. Tel l’alchimiste qui se partage entre l’oratoire et le laboratoire, il réfléchit, écoute, fait silence, médite longuement avant d’agir sur la matière qu’est la langue, avant de travailler les mots, le rythme, les sonorités. C’est une passion puissante qui réclame une longue patience ; c’est une tâche ardue qui parfois est visitée de la grâce et reçoit l’inspiration.
– Avez-vous une discipline particulière au travail ?
– Oui, lorsque j’entre en écriture, comme on dit entrer en religion, je ne me permets aucun arrêt, aucune récréation. Chaque jour que Dieu fait, ou que Thot accorde, je m’assieds à mon bureau, sept ou huit heures d’affilée, quel que soit mon état, sans m’accorder la moindre excuse. Le soir, parfois, j’ai rédigé trois ou quatre pages que j’estime achevées, bien travaillées, parfois seulement la moitié d’une. Et je sais que, le lendemain, je serai fidèle au poste, jusqu’à ce que j’aie terminé le livre.
– Avez-vous, comme l’on dit, l’angoisse de la page blanche ?
– Non. Non pas que je suis sûre de moi, mais parce qu’écrire dépend à la fois de moi, d’un travail assidu, et ne dépend pas de moi. J’ai une sorte de confiance, ou plutôt de sereine assurance qui ressemble à la foi : je sais que j’y parviendrai parce que je serai soutenue. J’y parviendrai au mieux grâce à une ascèse rigoureuse, à mes ressources personnelles, mais aussi grâce à ceux qui dans l’invisible veillent sur mon travail et parfois me soufflent à l’oreille… Je n’écris pas pour moi, pour me dresser une statue, ni pour devenir célèbre. J’écris parce que je le dois : afin de faire fructifier ce qui m’a été donné, et par là remercier. J’essaie de révéler ce que Albert Béguin nomme « l’infini derrière les choses ». La page blanche ne me fait pas peur, elle m’invite plutôt à une extrême délicatesse : l’art d’écrire ne consiste pas à « noircir » des pages, mais à y déposer des signes, des lueurs, telles les traces que les oiseaux laissent sur la neige.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}