Citations de Jacqueline Saint-Jean (32)
Mirage de janvier
étincelles de gel
où la prairie s'étoile
en cosmos matinal
L'arbre roide et nu
attend de renaître
sous l'écorce blessée
Et le dehors pénètre
au miroir intérieur
des mues et merveilles
" Sauver l'hiver" , Encres Vives n 505
je vois mes mains loin de moi
remuer jouer changer
comme branches de pêcher
il neige sur mes phalanges
et le majeur fait le mort
Les choses soudain m'échappent
je veux saisir leur rondeur
leur duvet leur densité
leur éclair ou leur fruité
mes paumes soudain s'effacent
je ne serre qu'une trace (p. 31)
Tu es dans le sommeil du livre
quelque part dans l'inachevé
là où les noms vivent la nuit
là où vont s'ouvrir
dans les bogues de l'ombre
les yeux humides des chevaux
là où tressaille
ce frêle visage en fuite
dans l'affolement des feuilles
Ici le fil des femmes
recoud la nuque et le temps
redresse la tête.
Tu longes les maisons désertes
prises dans le vieillissement des pierres
la pesanteur de ce qui vient
Le soir s'est vidé comme un lavoir
La dernière écolière à sa lucarne
attend peut-être son étoile filante
Et sur un évier blanc d'hiver
une main passe lentement l'éponge
sur des mésanges de carrelage.
Matin couleur de mouette
La mer est calme et ronde
Le phare blanc veille
ses troupeaux de barques
On écoute
le souffle lent de la marée
On laisse sur le sable
des empreintes nues
de commencement du monde
Ici à travers les tracés
La broussaille des signes
et les empreintes de passage
filtre une odeur de foin d'enfance.
Là-bas s'éloigne la montagne
où s'amenuise à distance
le pointillé des traversées
Entre dedans et dehors vibre
une cartographie secrète.
Dans la chambre cachée
une main sur la page
éveille les feuillages
La lampe ensommeille
son chemin de sable
Bruissement de mouettes
au fond du miroir
Derrière l'armoire
il y a la mer
Une phrase à bride abattue
galope dans le vent salé
vers l'océan tout chevauché
de mille cavaliers d'écume
Les mots s'essoufflent et s'arrêtent
sur la falaise fracassée
laissant tout à coup suspendu
le poème au bord de l'abîme
Reste une robe vermeille
qui court au dernier pont des fuites
Reste une sanguine
une encre qui s'obstine
au palimpseste du temps
Et je m'approche les mains aveugles
silencieuse comme une bruine
où s'échangent les formes
Je lève ton corps d'écorce
où vient se poser l'encolure
d'un cheval surgi de l'enfance
Derrière la clôture
je cherche la prairie ouverte
où l'instant foisonne
Langue lente la fable roule encore
dans les lourds sables rouges
Un nom revient dans les écumes
aux bouches ouvertes des épaves
Les dunes là-bas s'éboulent en silence
Langue immergée
flux et reflux sur tes épaules bleues
tes gestes échoués dans les algues du temps
ce rêve d'étrave ouvrant le corps du large.
J'attends de renaître
d'un rêve d'un regard
d'un fleuve d'un départ
de la fougère rouge
qui bouge au fond du corps
de la mémoire immense
où les cités se lèvent
de leurs eaux de leurs cendres
parfois de leur légende
CHEMINS DE BORD
L’œil questionne
L’œil questionne ce vieux rivage, de chocs,
de surrections, de blockhaus disloqués, rouges
sur le couchant.
La falaise ouvre ses archives de vertige. Ponctuées
de sternes et de cristes-marines.
Mots pris dans l’épaisseur du temps.
Des haillons d’écume cherchent le corps des vagues.
Surgi hors des eaux, saurien pétrifié, un îlot dressé
sur ses pattes, goélands à la gorge, nous fixe du
fond du crétacé.
p.17
Je marche
dans la vibration de la lumière
avec les caravanes de nuages
vers les points de suspension
de l'horizon.
Dans l'île, on écoute mieux
le silence
les syllabes qui volent
vec les goélands
les coquillages qui chuchotent
la légende du temps
es percussions puissantes
de l'océan.
Le matin n'est pas fini
soupire Alice à mi-voix
Il manque encore mais quoi ,
Une serrure une aubade
la carte des souterrains ?
Une tour pour voir très loin
des lendemains qui poudroient ?
Un train un astre une rade ?
les choses flottent perdues
dans ce pays incertain
Il manque toujours quelqu'un
(p.7)
Les mots fondent sous la langue
s'étonne Alice qui change
Ils voyagent dans les veines
pour resurgir très étranges
dans la forêt de mon corps
Au pays des mots troublants
je suis devenue -fougère-
En moi la lumière bouge
dans ces fourrés de lisière
où rôde entre roux et vert
l'ombre d'un frère ou d'un fou (p.40)
CHEMINS DE BORD
Où sont les récitants...
Où sont les récitants de ce rivage ?
Boucanier et poètes, conteurs de tempêtes
et d’eldorados.
Mirage d’écailles.
Quelques grappins pour la mémoire errante.
Cormorans hiératiques sur la falaise, cordons de cris
rauques.
Soldat oublié dans es casemates.
Peigne de soleil ou de laminak.
Mais en fin de parcours la lande ouvre on orbite
béante sur la même noyée dans son lit d’algues
rouges.
p.18
CHEMINS DE BORD
Inscrit dans cette écriture
Inscrit dans cette écriture côtière en proie à l’érosion,
on en suit la ligne brisée.
Chronique trouée d’éclats de visages, tessons de
voix blessées, éclipses et naufrages.
Au bout de la jetée déserte le signal d’un feu pâle.
Aucune île ici n’apprivoise le large.
Corps, continents enfouis. Haleine lente des marées.
Baleines gisantes.
Sur le fil de la falaise, les hampes dressées des roseaux.
Calames sur l’abîme.
p.19