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Citations de Jacques Brault (35)


Jacques Brault
Vieillirons-nous ensemble au pas de la porte
Têtes couvertes de branches blanches et de corbeaux oubliés
Plaies confondues sous un soleil pâle mains effilées
Momies d'un amour qui nous ressemble
Ton bras à mon bras
Mon épaule contre la tienne
Merveille alors de s'éveiller comme on ressuscite
Le matin n'a pas une ride sur la peau des draps
Viens
Sortons au grand jour la rue n'a point d'âge
Pas encore
Tu ne dis rien
Près de tes lèvres le souffle se fait rare
J’écoute pour la millième fois le commencement du monde
[…]

Est-ce l'hiver
Est-ce l'été nous ne le savons plus
Entre nous l'instant tombe
Des moineaux fusent de rire, les journaux crient à tue-tête
Nos veines si bleues se répondent
Tremblerons-nous ensemble au bout du trottoir
Transis de nous voir enfin ombres illuminées.
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Jacques Brault
Suite fraternelle


Extrait 8

Voici l’heure où le temps feutre ses pas
Voici l’heure où personne ne va mourir
Sous la crue de l’aube une main à la taille fine des ajoncs
Il paraît
Sanglant
Et plus nu que le bœuf écorché
Le soleil de la toundra
Il regarde le blanc corps ovale des mares sous la neige
Et de son œil mesure le pays à pétrir

O glaise des hommes et de la terre comme une seule pâte qui
  lève et craquelle

Lorsque l’amande tiédit au creux de la main et songeuse en sa
  pâte se replie
Lorsque le museau des pierres s’enfouit plus profond dans le
  ventre de la terre
Lorsque la rivière étire ses membres dans le lit de la savane
Et frileuse écoute le biceps des glaces étreindre le pays sauvage


Revue « Parti Pris. N°2, Novembre 1963 »
Montréal (Québec), 1963
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Les hommes de paille - extrait
   
« Laissez-nous doucement réapprendre la vie », Nelly Sachs.
   
Chacun, dans des jardins mal délimités, avait le génie de façonner un épouvantail qui fût à l’image de ses rêves. ...
   
Ceux-ci bientôt allaient se dresser en croix, hilares et souffreteux, portant chapeau, veste, pantalon. Certains arboraient chemise, cravate, lavallière, gants et même cigare et lorgnon. D’autres, en robe, avec ou sans mantille, assuraient une espèce d’équilibre écologique de la tendresse : épouvantailles imprévues et qui par des mariages non publiés, des alliances nocturnes, des épousailles de petit jour, parsèmeraient les champs de fleurs cruciformes, épouvantaillots, épouvantaillettes, que les oiseaux de toutes humeurs et de tous plumages adoptèrent du haut de leur vol étonné.
   
Un peuple vivait, sans bornes ni frontières. Fiché en terre, exposé au ciel. Sans passé, sans avenir. Mais la saison était bonne à vivre. ...
   
Et ils marchent soudain, ces immobiles. Vers le ciel autant qu’à ras de sol, dans le profond du terreau comme dans le fin fond des mois et des années. Ils pensent, ils rêvent, ils ont des penchants obscurs et des relevailles subites. À notre semblance, ils n’ignorent ni la joie ni la souffrance; ils languissent, ils éclatent. Et savent se taire.
... hommes-oiselés
têtes-corolles
buissons de silence
plaies empaillées ...
   
Et tombe la neige.
Il n’y a plus sous tant de ciel blanchi aucun geste de branches ouvertes ou tendrement qui retombent. Il n’y a plus de bras en croix qui se détachent sur un bleuté d’opaline; bras piégeurs d’ombres et de lumières, mais non pas d’oiseaux qui rafistolaient l’espace déchiré puis se posant parfois sur ces bras osseux en faisaient pousser des harpes de feuilles sonores.
   
Tombe la neige. Pays de blancheur étale.
Peuple enfariné ...
   
Cette nuit est soyeuse et pulpeuse comme les lèvres d’une blessure ouverte. Vers quel pays déraillé ces hommes de paille vont-ils s’envoler en exil? Où êtes-vous déjà en allés, mes amis contristés, mes frères de liberté-tournesol?
   
Et soudain la nuit se défit. Avant bien des années plus tard, comme maintenant où j’écris.
Et vous me faites signe d’un soleil bref, frères presque humains. Et vous éveillant vous bâillez sous tant de ciel pour donner rire aux oiseaux. Je vous aime, morts-vivants. Je vous aime de plus loin que mon enfance; je vous retrace, citadins aux champs d’insouciance.
   
arbres-humains avec des tiges de pluie
en guise de branches
avec des éclats de soleil pour feuillée
les oiseaux
trouant le silence
vous cherchaient querelles d’amoureux
   
Vous ai-je perdus à tout jamais? Vous retrouverai-je, par je ne sais quelle transmutation, moi aussi devenu épouvantail? Me perdre en votre espèce disparue, mon désir m’y pousse; il m’appelle à cette merveille innommable et tant décriée.
Mes épouvantails se sont enfuis épouvantés. Vers où? Les oiseaux jusqu’à ce jour ont gardé le secret.
...
Les champs vagues ont disparu
carrelés de maisons vagues
embrumés de désirs disparus
entre un hiver long et un plus long hiver
des semblants d’humains vont et viennent
l’espace d’un été bref
comme un feu de paille
...
Saurons-nous un jour de folie venteuse, et comme les pissenlits neigeux et tenaces, nous envoler vers un autre nous-mêmes? — en patrie profonde.
   
'Jour et Nuit', pp. 14-20
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je t’ai cherché(e) sachant que je ne suis rien ni personne
sans toi et que tu n’existes pas sans mes gestes
qui tâtonnent autour de ce que tu fus seras
un peu de temps perdu nous sépare nous trépasse

je te cherchais déjà au détour de l’enfance et couvert de pâleur
par les ruelles chasseresses de vieilles rengaines clôtures déchiffrées
petite larve délavée d’insomnie j’étais trop tard dans ma vie

je te cherchais jusqu’à la sortie bouche édentée gloire de poussière
je te ferai folie de ce voyage on aura peine à plier mon bagage

et tu viendras chercheuse toi aussi de mon peu de corps
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Jusqu’où nous conduira la main de mémoire jusqu’où parmi des hommes fichés dans leur hébétude et qui
regardent à longueur de servitude passer le fleuve royal
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Novembre s'amène nu comme un bruit de neige et les choses ne disent rien elles frottent leurs paumes adoucies d'usure
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Ce pays que j’aime dans la gêne du silence ô mon amour mon amour je n’ai pour toi que cette dérision de chansonnette je n’ai pas de nom pour toi et qui sonne clair et fringant lorsque le petit matin piaffe dans la rue je n’ai pas le soir de nom idiot et tendre à poser au creux de ton épaule

Alors je te prends et te berce et nous sommes là vieillards nous écoutons les voix d’ailleurs et qui ont pleine la bouche de leurs amours.
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tu es comme je t’aime telle que je te fais
avec mes mains retrouvées sur ton corps
et l’espérance goulue de chaque jour
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Au petit matin...


Au petit matin
sous la pluie
le pavé luisant
fait des moires

Dans les flaques
tremblent les maisons
plus claires


Plus mouillées    les ombres
aux yeux des hiboux
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Nos morts ne dorment pas croyez-m'en
ils se rongent et font un froissis de feuilles
dans notre sommeil
Aussi je t'accueille mémoire et j'écoute ta
voix monter dans notre dos comme un soleil
qui donne de l'ombre
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Jacques Brault
Suite fraternelle


Extrait 4

Et voici que tu meurs Gilles éparpillé au fond d’un trou mêlé aux morceaux
  de tes camarades Gilles toujours violenté dans ton pays Gilles sans cesse
  tourmenté dans ton peuple comme un idiot de village

Et perdure la patrie comme l’amour du père haï pays de pâleur suspecte pays
  de rage rentrée pays bourré d’ouate et de silence pays de faces tordues et
  tendues sur des mains osseuses comme une peau d’éventail délicate et
  morte pays hérissé d’arêtes et de lois coupantes pays bourrelé de ventres
  coupables pays d’attente lisse et froide comme le verglas sur le dos de la
  plaine pays de mort anonyme pays d’horreur grassouillette pays de cigales
  de cristaux de briques d’épinettes de grèle de fourrure de fièvres de torpeur
  pays qui s’ennuie du peau-rouge illimité

Cloaques et marais puants où nous coltinons le mauvais sort
Oh le Livre le Livre où c’était écrit que nous grugierons le pain
  dur que nous lamperions l’eau moqueuse


Rare parchemin grimoire éculé hiéroglyphe savantasse écriture
  spermatique obscène virgule tu nous fascines tu nous façonnes
Quel destin mes bêtes quelle destinée la rose aux bois et le prince
  qui n’y était pas


Revue « Parti Pris. N°2, Novembre 1963 »
Montréal (Québec), 1963
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De bon matin j'ai ouvert la porte
À mon ombre. Elle grelottait d'étrangeté
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Tu m'écris enfin mais l'encre trop pâle
m'empêche de lire ou peut-être est-ce
la lampe qui vacille dans mon dos
ou encore mes yeux qui s'en vont à la dérive
loin de moi et aussi loin de toi
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Tristesse de brunante sur la route boueuse empreinte d'hiver un corbeau bleu à la lisière du noir débouche dans son cri
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Que c'est étrange Venise…


Que c'est étrange Venise
Montréal va s'éveiller
toute noires de gondoles

La folie revient
on dirait une nuit
blanche


À travers les larmes
le sommeil en haillons
se mêle au jour
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C'est ta vie qui passe la main à ma vie je te mets dans
mes mots dans mes gestes pêle-mêle avec moi et dans nos silences
qui vibrent encore à Paris rue du Douanier Rousseau
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Ce n'est pas la belle la grande vie c'est une existence de papier
et de mémoire un peu d'amour un peu de haine
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Qui parle de se taire qui se refuse de
mourir à son silence
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Jacques Brault
Suite fraternelle


Extrait 7

Tu n’es pas mort en vain Gilles et tu persistes en nos saisons remueuses
Et nous aussi nous persistons comme le rire des vagues au fond de chaque
  anse pleureuse

Paix sur mon pays recommencé dans nos nuits bruissantes d’enfants
Le matin va venir il va venir comme la tiédeur soudaine d’avril et son
  parfum de lait bouilli

Il fait lumière dans ta mort Gilles il fait lumière dans ma fraternelle
  souvenance
La mort n’est qu’une petite fille à soulever de terre je la porte dans mes bras
  comme le pays nous porte Gilles


Revue « Parti Pris. N°2, Novembre 1963 »
Montréal (Québec), 1963
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Jacques Brault
Suite fraternelle


Extrait 6

Je te reconnais bien sur les bords du fleuve superbe où se noient mes
  haines maigrelettes
des Deux-Montagnes aux Trois-Pistoles
mais je t’ai fouillé en vain de L’Atlantique à l’Outaouais de l’Ungava
  aux Appalaches
je n’ai pas trouvé ton nom
je n’ai rencontré que des fatigues innommables qui traînent la nuit
  entre le port et la montagne rue Sainte-Catherine la mal fardée
je n’ai qu’un nom à la bouche et c’est ton nom Gilles ton nom sur
  une croix de bois quelque part en Sicile c’est le nom de mon pays
  un matricule un chiffre de misère une petite mort sans importance
  un cheveu sur une page d’histoire

Emperlé des embruns de la peur tu grelottes en cette Amérique trop
  vaste comme un pensionnat comme un musée de bonnes intentions
Mais tu es nôtre tu es notre sang tu es la patrie et qu’importe l’usure
  des mots
Tu es mon beau pays tu es vrai avec ta chevelure de fougères et ce grand
  bras d’eau qui enlace la solitude des îles
Tu es sauvage et net de silex et de soleil
Tu sais mourir tout nu dans ton orgueil d’original roulé dans les poudreries
  aux longs cris de sorcières


Revue « Parti Pris. N°2, Novembre 1963 »
Montréal (Québec), 1963
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