Suite fraternelle
Extrait 4
Et voici que tu meurs Gilles éparpillé au fond d’un trou mêlé aux morceaux
de tes camarades Gilles toujours violenté dans ton pays Gilles sans cesse
tourmenté dans ton peuple comme un idiot de village
Et perdure la patrie comme l’amour du père haï pays de pâleur suspecte pays
de rage rentrée pays bourré d’ouate et de silence pays de faces tordues et
tendues sur des mains osseuses comme une peau d’éventail délicate et
morte pays hérissé d’arêtes et de lois coupantes pays bourrelé de ventres
coupables pays d’attente lisse et froide comme le verglas sur le dos de la
plaine pays de mort anonyme pays d’horreur grassouillette pays de cigales
de cristaux de briques d’épinettes de grèle de fourrure de fièvres de torpeur
pays qui s’ennuie du peau-rouge illimité
Cloaques et marais puants où nous coltinons le mauvais sort
Oh le Livre le Livre où c’était écrit que nous grugierons le pain
dur que nous lamperions l’eau moqueuse
Rare parchemin grimoire éculé hiéroglyphe savantasse écriture
spermatique obscène virgule tu nous fascines tu nous façonnes
Quel destin mes bêtes quelle destinée la rose aux bois et le prince
qui n’y était pas
…
Revue « Parti Pris. N°2, Novembre 1963 »
Montréal (Québec), 1963