Jacques Cambry

Passons à Saint-Jean-Du-Doigt, sur le rivage de la mer. Cette chapelle est située dans une anse où des bateaux plats pourroient aborder aisément sur un beau fond de sable blanc. On demande dans la section de Tréhenvel une batterie de deux canons de 12 ou de 24 qui puisse en défendre l'approche. Là, 1800 habitants vivoient à l'aide des offrandes faites au doigt de Saint-Jean, de la dépense d'une multitude incroyable de pèlerins qui s'y rendoient de la Bretagne, de la Normandie, des provinces les plus éloignées ; malgré les chemins impraticables qui l'environnent, plus de vingt mille personnes de tout âge marchoient pieds nuds dans ce pèlerinage.
Le site est riant, agréable et borné ; la mer, pressée par deux montagnes, pénètre sur un lit de sable ; ses flots meurent sur des prairies coupées d'ormeaux et de sapins. Des haies d'épines blanches et de rosiers sauvages entourent quelques vergers, soutiennent des toits de chaume, et coupent agréablement ce délicieux paysage.

Quand je me suis trouvé sur les rochers sauvages de la Bretagne, dans un climat toujours battu par les tempêtes, sous un ciel noir et rigoureux, entouré de déserts, de sable, de goémon, n’ayant pour compagnon que les oiseaux de mer qui sifflent en pêchant, en dessinant des cercles dans les airs, en tombant du ciel sur leur proie ; quand le silence auguste et redoutable qui régnait sur ces vastes plages n’était interrompu que par la vague énorme qui se déployait en bouillonnant au milieu des rochers qui se prolongent dans la mer et se perdent à l’horizon ; quand je cherchais, dans une chaumière enfumée, quelque notice sur les moeurs, sur les antiques usages de la Bretagne ; que la misère la plus profonde, les instruments les plus grossiers, les vêtements des premiers âges, des habitations telles qu’on en trouve chez les Lapons, dans la Californie, étaient les seuls objets qui frappaient ma vue. (...) Les moeurs du pays sont pures, hospitalières ; on y prend soin de vous, de votre ami, de vos chevaux, en refusant presque toujours la rétribution que vous offrez. Ces bons campagnards vous donnent ce qu’ils conservent de meilleur : du lard, de la viande salée, du lait, du beurre, des crêpes, des galettes, etc . (...) Il faut être de fer pour résister aux tempêtes habituelles, aux vents forés, à l’air brûlant et corrosif des côtes du nord de la Bretagne. Le climat est moins rude dans l’intérieur des terres. Dans un espace de trois lieues, vous apercevez une différence très prononcée dans l’habitude des corps, dans la manière d’être, dans les traits des habitants du même pays. L’homme des terres à le teint frais, de la mollesse dans la démarche, une langue douce et sonore ; l’Armoricain a la voix dure, le regard perçant et assuré ; son front, ses joues sont sillonnés dès la jeunesse ; sa barbe est rude et son teint olivâtre. (...) Il est des fous pourtant qui ne veulent pas croire à l’influence des climats sur l’homme, et qui rejettent, comme un rêve, ce qu'Hipprocate, ce que Platon, ce qu’Aristote, ce que tous les anciens, ce que tous les hommes éclairés en ont écrit : j’aimerais autant qu’on soutînt que la Norvège et l’Irlande donnent les mêmes fruits, portent les mêmes fleurs que la Touraine et l’Italie. (...) Donnez du beurre à saint Hervé, vos bestiaux ne craignent rien des loups. (...) Sainte Gertrude, à Treffès, préfère les poulets à toute autre offrande. Elle guérit les rhumatismes et les maladies de langueur. (...) Saint Isidore fait mourir les taupes. (...) Saint Yves fait lever la pâte. SI le beurre se forme lentement, on a recours à saint Herbot. (...) Je multiplierais à l’infini ces récits bizarres ; j’ai cru devoir les rapporter : ils serviront comme tant d’autres à l’histoire de l’imagination. (...) Le climat le plus venteux, le plus humide de l’univers, est peut-être celui de Brest et de ses environs ; le ciel est toujours couvert de nuages.