Jacques Chardonne - Les Varais (Roman de l'enracinement).
Une grande déception dans la vie, c'est de vouloir rendre un être heureux sans y parvenir ; et c'est l'autre qui vous ne le pardonne pas.
Pour vivre, il faut admettre autour de soi une zone de tranquillité artificielle, où tous les évènements sont considérés comme inoffensif ou favorables. Celui qui ne respecte pas ces bornes est un anxieux, un malade.
La littérature ne dure pas.
C'est triste à dire quand on est écrivain.
Un stock de cognac est plus sûr.
Je sais aujourd'hui que le génie des hommes ne m'apportera rien, si je ne trouve d'abord mon contentement dans ma vie intime et spirituelle, dans mes sentiments, mes gouts vrais, mes amours.
C'est l'argent qui vous oblige à vivre comme tout le monde, qui vous pousse sur les chemins battus, dans les endroits courus, parmi les mêmes gens qu'on n'a pas choisis. J'aime les sentiers que j'invente, les relations inutiles, les choses sans renommée, et tout ce qui ne vaut que pour moi.
Trois de mes amis se sont tués, ces dernières années : Robert Massicot en 1940, Stefan Zweig en 1942, Drieu La Rochelle en 1944. Ils ont cru que le monde qu'ils voyaient poindre ne serait pas supportable. A mon tour, j'ai balancé, puis j'ai opté pour une voie souterraine.
Un instant, je voudrais retrouver la joie de la vie. Je ne veux pas mourir de mauvaise humeur...
On vit avec une imagination et une femme. Ce n'est pas toujours facile de les faire coexister, même si l'on est pourri de bon sens comme vous et moi. Ajoutez l'honneur (qui est une forme particulière de l'imagination, douloureuse en tout cas quand on ressent fortement l'humiliation) et tout se complique encore.
C'est la mode chez les écrivains de maudire les bourgeois.
Je ne sais de qui ils parlent ; eux non plus bien sûr ...
Dès le premier repas, je comprend la félicité de mon existence ; je n'ai jamais reçu que des amis de mon choix, ou bien je mange seul et vite. C'est là mon luxe. J'ai oublié qu'il existe des gens ennuyeux avec qui j'ai peu de patience.