Poésie - Le ciel de mon coeur - Jacques CHARPENTREAU
La chance ...
Si tu caresses le chat
Et qu’il ronronne,
Si tu effleures le la
Et qu’il résonne,
Si tu cueilles le jasmin
Et qu’il embaume,
Si la rose dans ta main
Est tout arôme,
Si le sable coule et chante
Entre tes doigts,
Si dans ta main l’eau brillante
Pleure de joie,
Si ta main s’ouvre sans bruit
Lorsque tu donnes,
Si dans celle d’un ami
Ta main frissonne,
Si pour l’eau de la mémoire
ta main se creuse,
Tu as de la chance d’avoir
La main heureuse
La lessive
Chaque semaine, mes parents,
Cinq tantes, dix oncles, vingt nièces,
Cent cousins, des petits, des grands,
Se pressent dans la même pièce.
Dans la machine, ils introduisent
Mille corsages et chemises,
Cent mille slips et pyjamas,
Un million de paires de draps.
Nylon, dentelles ou guenilles,
Chaque semaine nous avons
Cette habitude : nous lavons
Notre linge sale en famille.
Jacques Charpentreau ("Poèmes pour peigner la girafe)
La clé des champs
(expression : prendre la clé des champs)
On a perdu la clé des champs!
Les arbres, libres, se promènent,
Le chêne marche en trébuchant,
Le sapin boit à la fontaine.
Les buissons jouent à chat perché,
Les vaches dans les airs s'envolent,
La rivière monte au clocher
Et les collines cabriolent.
J'ai retrouvé la clé des champs
Volée par la pie qui jacasse.
Et ce soir au soleil couchant
J'aurai tout remis à sa place.
En voyage
Quand vous m'ennuyez, je m'éclipse,
Et, loin de votre apocalypse,
Je navigue, pour visiter
La Mer de la Tranquillité.
Vous tempêtez ? Je n'entends rien.
Sans bruit, au fond du ciel je glisse.
Les étoiles sont mes complices.
Je mange un croissant. Je suis bien.
Vous pouvez toujours vous fâcher,
Je suis si loin de vos rancunes !
Inutile de me chercher :
Je suis encore dans la lune...
À l’écoute
Ce que veulent dire les mots
On ne le sait pas quand ils viennent ;
Il faut qu’ils se parlent, se trouvent,
Qu’ils se découvrent, qu’ils apprennent.
Ce que veulent dire les mots,
Ils ne le savent pas eux-mêmes,
Mais les voilà qui se regroupent,
Qui s’interpellent, se répondent,
Et si l’on sait tendre l’oreille,
On entend parler le poème.
L'ascenseur
-Pour s’envoler jusqu’à la Lune,
- Il faut que la fusée s’allume.
- Pour aller s’installer là-haut,
- Il faut la cabine Apollo.
-Chacun choisira son voyage,
- Je m’arrête au vingtième étage.
-En orbite autour de la Terre,
- On ne voit plus quel est l’envers,
- On ne voit plus quel est l’endroit,
- Quel est le haut, quel le bas
-Chacun choisira son voyage,
- Je m’arrête au vingtième étage.
-Pour s’envoler jusqu’à Pluton,
- Il faut chevaucher un dragon,
- Cracher le feu à toute allure
- Pour Mars, pour Vénus, pour Mercure.
-Chacun choisira son voyage,
- Je m’arrête au vingtième étage.
-Pour s’envoler jusqu’aux planètes,
- Il faut des typhons, des tempêtes,
- Pour se hisser sur Jupiter,
- Il faut les flammes de l’enfer.
-Chacun choisira son voyage,
- Je m’arrête au vingtième étage.
-Pointe des pieds, pointe du doigt,
- Un petit bouton suffira.
- Pointe des pieds, pointe du cœur,
- Il suffira de l’ascenseur.
La chevauchée
Certains, quand ils sont en colère,
Crient, trépignent, cassent des verres...
Moi, je n'ai pas tous ces défauts :
Je monte sur mes grands chevaux.
Et je galope, et je voltige,
Bride abattue, jusqu'au vertige
Des étincelles sous leurs fers,
Mes chevaux vont un train d'enfer.
Je parcours ainsi l'univers,
Monts, forêts, campagnes, déserts...
Quand mes chevaux sont fatigués,
Je rentre à l'écurie calmé.
L'île des rêves
Il a mis le veston du père,
Les chaussures de la maman
Et le pantalon du grand frère
Il nage dans ses vêtements.
Il nage, il nage à perdre haleine.
Il croise des poissons volants,
Des thons, des dauphins, des baleines...
Que de monde, dans l'océan!
Écume blanche et coquillages,
Il nage depuis si longtemps
Qu'il aborde enfin au rivage
Du pays des rêves d'enfants.

Le laveur de carreaux
Suspendu comme une araignée
Au bout de son fil argenté
Le laveur de carreaux descend
Du haut de la tour. En passant,
Il dit bonjour aux habitants :
30 Le monsieur du trentième étage
Qui ne mange que du fromage.
29 Celui de l’étage au-dessous
Qui n'aime que la soupe aux choux.
28 Les gens qui viennent de Pluton
Et marchent les pieds au plafond
27 Le baryton de l’opéra
Qui se fait des œufs sur le plat.
26 Ceux qui ont semé du gazon
Pour rendre plus gai leur béton.
25 Ceux qui élèvent des lapins
Sur l’herbe d’un salon de jardin.
24 Ceux qui ont mis dans leur baignoire
Un bébé phoque blanc et noir.
23 Le chat qui vit seul, noir et blanc,
(Il a dû louer l’appartement).
22 Le vieil Auvergnat à moustaches
Qui che regarde dans la glache.
21 Le militaire en permission
Qui compte ses décorations.
20 La foule du vingtième étage
C'est la réception d'un mariage.
19 La receveuse de la poste
Qui ne grignote que des toasts.
18 L’académicien nostalgique
Qui s'amuse au train électrique.
17 L'élève de Napoléon
Qui range ses soldats de plomb.
16 Le collectionneur de timbales
Qui joue du violon à pédales.
15 Un abbé qui fait du trapèze
Sur un bâton entre deux chaises.
14 L’amateur de scie musicale
Qui coupe l’Internationale
13 Le passionné d’exploration
Qui chasse le tigre au salon
12 Deux bustes de marbre au nez grec
Qui contemplent un jeu d’échecs.
11 Un athlète en maillot de corps
Qui s'est allongé et qui dort .
10 La dame du dixième étage
Qui garde un sapajou en cage.
9 Plus bas une belle famille
Les parents et quatorze filles.
8 Des campeurs chantant à mi-voix
En rond autour d’un feu de bois
7 Un grand polytechnicien morne
Qui ne porte que son bicorne.
6 Un peu plus bas un éléphant
Prisonnier dans l’appartement.
5 Un couple se bat au cinquième
À coup de tartes à la crème.
4 La petite fille aux yeux bleus
Qui a les yeux verts quand il pleut.
3 La jeune fille du piano,
Qui se tricote un allegro.
2 La dentiste qui vient d’extraire
Une redoutable molaire.
1 Le petit garçon du premier
Qui fourre ses doigts dans son nez.
0 Tout est vide au rez-de-chaussée
La concierge est dans l’escalier.
On voit les secrets de la ville
Quand on descend au bout d’un fil.
("La ville enchantée")
En vair et contre tous ...
Mes demi-sœurs, ces maroufles,
Ont leur argent, leur orgueil,
Leur tralala, leurs fauteuils…
Mais qu’elles fassent leur deuil
De mes pantoufles.
Ma marâtre se boursoufle
Dans ses satins, ses brocarts.
Elle me tient à l’écart,
Mais je m’en moque bien, car
J’ai mes pantoufles.
Tous les courtisans s’essoufflent
Á vouloir me rattraper :
Ils ont voulu me happer,
Il a fallu m’échapper
Sans ma pantoufle.
Belles dames qu’emmitouflent
Vos robes d’or à panier,
Vos appâts sont trop grossiers :
N’entre que mon petit pied
Dans ma pantoufle.
CENDRILLON.