Jacques Dor fait son Godard
On devrait se dépouiller de tout, presque tout. Se suffire d'une valise, d'un lit, d'un manteau, d'un dessin d'enfant sur le mur. On devrait s'alléger chaque jour de tous nos poids accumulés : mauvaise mémoire, faux amis, bibelots inutiles, vestiges de vies éculées, d'espoirs anéantis encore si blessants... On devrait revenir à l'essentiel, juste ça, rien que ça. Une table, quelques livres... Faire toute la place à ce qui vient, à ceux qui arriveront, qui arrivent, afin qu'ils ne se sentent cernés d'aucune foule : vieux démons, anciens fantômes, trésors finalement hostiles entassés sur des étagères... Foules si étrangères à ce présent qui s'invente. Il faudrait se dépouiller de tout, ne garder au beau milieu de soi qu'une furieuse envie d'espace, de vrais désirs, de souvenirs à venir, de luminosité, de plumes et de bras ouverts.
Ce qui manque le plus à nos vies, c'est l'émerveillement. Rencontrer ceux qui s'émerveillent encore, d'un rien, d'un papillon, de la pluie battante, d'un coquelicot, du chant d'un oiseau. Presque rien. Beaucoup.
Et comment va votre désamour de la vie ? Et comment vont vos rêves brisés ainsi que vos élans de garnement assagi ? Comment va votre tristesse infinie ? Votre cœur en friche ? Vos mains vides ? Vos passions de bougies éteintes ? Vos flammes d'incendies charnelles noyées dans l'œuf ? Elles vont bien je crois, elles se portent comme un drame. Tout reste donc à rallumer : les étoiles et les bateaux en papier, l'envie des choses, l'envie de soi, l'envie des autres, la confiance absolue en ce qui ne l'inspire pas vraiment, pas une seconde. La joie est pourtant de ce monde, aussi éphémère, aussi fragile et surprenante, aussi rare et précieuse qu'un mot d'amour écrit sur un mur. Ne le cherchez pas ce mur, construisez-le. Reconstruisez-le.
La vraie mélancolie,
C'est quand la vie vous manque
Alors que vous l'avez encore.
Sans le corps de l'autre occupant l'espace de son parfum et de son rire d'étoile filante, sans le corps de l'autre emplissant nos yeux et la paume de nos mains, nous restons sur la rive de nos supposées pensées. Depuis cet endroit nous tentons de le rendre "existant", ce corps fait d'absence, ce corps que nous effleurons abstraitement, en rêves ; pétales de nuit et de sentiments en verre soufflé dans le vide de l'espace. Sans corps nous sommes orphelins de l'autre. Orphelins du plus proche et du plus intime de son existence, du plus proche et du plus intime de la danse singulière que sculpte son corps au beau milieu des choses. Sans ce corps resté au loin, nous ne portons dans le cœur qu'une simple photo de l'autre. Et c'est depuis cet arrêt sur image qu'il nous regarde comme on aime, qu'il nous sourit comme on aime. Bras ouverts.
Devant la mer tu redeviens, sans fin tu redeviens ; premier atome des premiers émois, bain dans le cœur absolu, bain dans le don déjà liquide des promesses et des baisers. Devant la mer tu redeviens un amant du vivant, ce bercé d'immortalité, de solitude et de pure insouciance.
Je n'ai pas prévu
De mourir jeune
Je n'ai pas prévu
De mourir vieux
Je n'ai pas prévu
De mourir
Quand elle me démarche au téléphone, je lui dis que je suis occupé, je raccroche. Quand elle m'envoie un mail, je le mets dans "indésirable"... Quand elle insiste, j'alerte la CNIL, le défenseur des droits, je fais un courrier au procureur : je porte plainte contre la mort ! Je ne me laisse pas faire, ne vous laissez pas faire. La mort c'est comme le reste, quand tu lui dis non, c'est non. N'hésitez pas à user de votre envie de vivre, de vos relations, de vos recettes de grand-mère.
Rappelez-vous que la mort n'est ni un droit, ni un devoir.
Promenez-vous toujours avec votre attestation sur vous : "je soussigné Machin Truc, confirme par la présente, ne pas autoriser la mort à m'emporter brutalement, contre mon gré et par surprise".
Datez et signez...
(Si ça ne suffit pas, c'est qu'en plus d'être injuste... Il lui manque peut-être de savoir lire).
Ce qui manque le plus à nos vies, c'est l'émerveillement. Rencontrer ceux qui s'émerveillent encore, d'un rien, d'un papillon, de la pluie battante, d'un coquelicot, du chant d'un oiseau. Presque rien. Beaucoup.
A présent, il y a 50 ans que j'écris, alors forcément les murs de mes mots sont montés très haut tout autour de moi. Ils font de l'ombre, me font de l'ombre, j'écris depuis cette ombre profonde, cachette et refuge et plus j'écris et moins je suis visible. Plus j'écris et plus la reconnaissance qui ne viendra jamais, s'éloigne, s'éloigne encore ... et moins je m'en offusque. Dans ce monde d'images frelatées et d'hommes sandwichs, dans ce monde d'usurpateurs chroniques et de fabriqués de toutes pièces, je serais passé sur la pointe des pieds, par la porte dérobée, elle même sur la pointe des pieds ; et de pointe en pointe, j'aurais atteint, avec une lenteur librement exquise, mon sommet : le sommet de quoi ? De mon ombre vive.
C'est un oiseau très doux qui chante en vous. Vos larmes ne découragent aucune de ses branches. L'une va jusqu'à mon cœur et par elle je vous sens parfois si proche que c'est mon cœur à moi qui devient plumes.
22 septembre 2021
-
On ira s’asseoir sous un bel arbre
On oubliera qui on est
On oubliera qui ils sont
On écoutera le temps se perdre
On écoutera le creux du vent
On se remplira le cœur
De lumières pas même éclatantes
Tellement plus que la promesse
De nos ténèbres sans fond
On donnera la fin des biscuits aux moineaux
On donnera notre âme au diable
Aux fougères d’utopie
Aux cymbales des pétales qui teintent
En couleurs
On oubliera un moment qui on est
Et tout alentour
Tout
nous reconnaîtra
7 août 2020