Voici une évocation d’une figure plutôt oubliée : Nana de Herrera (1905 - 1991), surnommée "la gitane de Montmartre", danseuse et chanteuse ayant exercé ses talents dans le monde entier.
Je ne sais pas vous, mais moi, la simple évocation des artistes de Montmartre des années 1930 m’attire irrésistiblement. J’ai aussi une certaine fascination pour la danse espagnole alors, remarquant ce livre dans les nouveautés des éditions l’Harmattan, avec sa belle couverture, j’ai pensé que ce livre était fait pour moi. Les spectacles inspirés par la musique espagnole sont habituellement hauts en couleur, des danses féeriques emportant loin dans le rêve : tristesse, courage, rythme, douceur, sensualité...
Ici les termes utilisés ont vite refroidi mon rêve : « le goût d’un certain standing », « bâtir ses chorégraphies », « organise sa carrière », « politique de relations publiques », « elle entend poursuivre sa route¬ [...] quand bien même les circonstances feraient obstacle à ses projets ». Les circonstances, ce n’est... que l’envahissement de la France par les nazis... « contingence qu’elle ignore ». Je pense à ce moment-là à l’attitude héroïque de Joséphine Baker malgré des difficultés gigantesques : enfance difficile, racisme, exil ! N’est-pas héros qui veut mais quand même. Et que penser du titre de chapitre « Pendant l’Occupation, les artistes s’occupent » ?
« L’année 1947 sera pour Nana de Herrera une année de sollicitations de toutes sortes, gratifiantes, voire valorisantes, qu’elle saura sélectionner selon des critères de temps et d’argent, d’utilité et d’opportunité. »
Nana de Herrera a de l’ambition. En femme libre elle veut réaliser son rêve de gloire et je pense que pour une femme, à cette époque, c’était une tâche particulièrement difficile. D’origine péruvienne, elle vit avec sa mère, se lie avec des hommes au gré de ses tournées, peut-être de ses intérêts. Elle vit dans le quartier des artistes qui regorge encore aujourd’hui de lieux de légende : Chagall, Modigliani, Soutine, Picasso, Max Jacob, Kisling... Un monde d’hommes où les femmes sont au mieux muses et modèles, si ce n’est la célèbre peintre Tamara de Lempicka qu’elle va rencontrer. Elle posera pour elle. Avec à la clé, un tableau torturé, évoquant le cubisme, tableau actuellement en la possession de la chanteuse Madonna... Nana a posé plus tard pour la SEITA (Société nationale industrielle des tabacs et allumettes), photos à l’origine de l’illustration des paquets de gitanes.
Nana donne des conférences sur les spécificités des fandangos et des soleares et sur les compositeurs classiques espagnols avec des séances de démonstration. L’auteur précise qu’on l’interrogeait alors sur « le rôle des castagnettes et celui des claquements de main (les palmas) » ! Accessoire qu’on retrouve ensuite pour une anecdote curieuse. Un de ses amis lui demande des castagnettes pour une de ses connaissances enseignant la danse classique. Celle-ci les utilise pour rythmer ses enseignements musicaux et a brisé une des siennes. Nana donne gracieusement une paire de castagnettes qui seront jugées mauvaises au final par cette enseignante. Hypothèse de l’auteur : Nana se serait débarrassée à bon compte de vieilles castagnettes usagées... Une simple anecdote mais révélatrice d’une artiste à la générosité peu présente, si j’en juge par cette biographie, et de faits trop ou pas assez évocateurs pour permettre d’entrer dans la réalité du personnage. Vous l’avez compris, je n’ai eu aucune empathie pour cette Nana là...
La multitude de noms et de notes de bas de pages peut constituer une base de recherche mais ne parvient pas à donner de la cohérence au récit. C’est une bonne monographie technique de collecte d’informations autour d’une artiste tombée dans l’oubli ainsi que des personnes célèbres qui l’on côtoyée.
L’auteur affirme en préambule « Si certaines gloires posthumes semblent injustifiées, certains oublis le sont tout autant ». Après avoir refermé cette courte biographie, je ne suis pas sûr d’être convaincu et même si j’ai découvert des éléments disparates de la vie d’une artiste, je suis loin d’avoir été conquis par son image. Reste l’évocation d’une carrière bien menée, des lieux de légende de Montmartre et de belles découvertes en cherchant des illustrations à cette chronique. L’Espagne est un pays de grande culture qui réserve bien des surprises ! Jugez-en vous-même en visionnant sur mon blog Bibliofeel la prestation époustouflante d'une soliste... aux castagnettes, tenant la réplique à un orchestre symphonique !!! ( vous tombez dessus en tapant Bibliofeel Nana dans le moteur de recherche...).
Ancien journaliste spécialisé dans les arts du spectacle, amateur d’arts plastiques et collectionneur, Jacques Lambert est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les peintres de l’école de Paris. Il a été le président du Centre culturel de la Jonquière, à Paris (17e), dont le directeur était Ramon Creixams de Herrera, guitariste, pianiste, chef d’orchestre, fils de Nana de Herrera.
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Pour finir Stephen Sevenair ne m'en voudra pas j'espère de citer son poème-commentaire :
Les sources de l’humanité
Elle était nomade
Elle était Gitane !
Et c’était une femme !
LA source de l’humanité !
Lien :
https://clesbibliofeel.blog